Samedi grisâtre... Encore plongé dans mon chamanisme, traduisant les récits portant sur les anacondas hantant les lacs et les bras de rivières.
Pas fumé depuis huit jours, footing, légumes et fruits, écoutant Cassia Eller ("Admiravel gado novo"), reprise en main de l'organisme, grigris etc. tout pour émerger des brumes de l'Uaça et de ses vilains sorts perceurs de poumons et briseurs de moëlle épinière.
Je me plonge avec délectation dans les livres portant sur le Cénozoïque (Agusti et Anton), le paléolithique et le néolithique (Jean-Denis Vigne et Jacques Cauvin), successions de mammifères défilant comme par une lanterne magique où une seconde équivaut à deux millions d'années, où la domestication du blé et de l'orge s'étale sur deux millénaires, où les statuettes progressivement deviennent figures divines, femmes aux yeux étincelants dont le trône est soutenu par des panthères. Hommes ayant vécu parmi les fauves, hommes aux vastes espaces inexplorés, marchant, marchant des mois sans rencontrer personne, maîtrisant la taille du silex et de l'obsidienne jusqu'à obtenir des pointes et des tranchants parfaits, creusant leurs maisons, les toitures au ras du sol, premiers silos, premiers autels domestiques, il y a 11 000 ans de cela, premiers crânes couverts de bitume et de chaux, peints en vert et rouge, masques de pierre aux dents esquissées, élevant des chèvres, chassant l'aurochs, et les générations se succèdent, nous voilà plus graciles, prêts à quitter le Moyen Orient et les flancs du Taurus pour aller mettre la Terre en culture. Drôle d'espèce, vraiment. Lente dérive vers une discipline sociale tournée vers le travail. A quoi pensaient-ils ? De quoi parlaient-ils ? Qu'avaient-ils donc à dire ces hommes-là ?
Selon Jacques Cauvin, le néolithique introduit la hiérarchie des êtres, l'homme se situant à mi-chemin des bêtes et de la divinité. Conscience de soi, perte de contact avec le reste des créatures. On parle "d'hominisation" pour désigner le processus, mais le terme exact ne serait-il pas plutôt "animalisation" ? Le reste du vivant bascule dans l'indifférenciation, dans le mutisme. Si l'on a vu juste, les fresques de Lascaux, de Chauvet, de Rouffignac, traduisent une perception des chevaux, des bisons, des aurochs et des mammouths comme d'autres gens, d'autres clans avec lesquels existent des relations, fussent-elles de guerre et de prédation. Soudain cette perception disparaît - "soudain" comme dans l'expression "soudain la nuit tomba". La complexification du langage a entraîné une perte de communication fondée sur d'autres signes, langage corporel, gestuelle, odeurs, qui sait le monde de sens dont nous avons perdu la maîtrise à mesure que le vocabulaire fixait les choses sur un plan hors intuition, hors perception, et finalement hors de toute réalité immédiate.
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