Perplexités d'un anthropologue
Les lecteurs de ce blog ne sauraient taxer son auteur de sarkozysme, même à dose homéopathique. Mais est-il tolérable que lorsque le Président de la République d'une des plus grandes puissances de l'Union européenne, puissance fondatrice même (à la différence de la Grande Bretagne) - actuellement président de l'Union en outre! - spécifie expressément que compte tenu de la structure économique du pays qu'il dirige et qui a déjà souffert d'une désindustrialisation massive, laquelle a détruit sans rémission des centaines de milliers d'emplois industriels, dont l'agriculture et la pêche sont menacées en permanence au moment même où le monde souffre de pénurie grave en ce domaine, il s'opposera aux conclusions provisoires qui semblent émerger du cycle de Doha (négociations au sein de l'OMC),
... il se voit alors tancer par un "commissaire" sans aucune légitimité démocratique puisque élu par personne, qui se permet de lui rappeler que c'est lui et lui seul qui est en charge de la négociation?
Preuve s'il en est qu'il n'est d'Europe possible que des nations et des peuples ; et que ses instances décisionnelles soivent être issues du suffrage universel.
Et enfin, que la dévolution sans cesse grandissante d'éléments de souveraineté à des instances technocratiques sans légitimité démocratique (souvent d'ailleurs par la faute des politiciens ravis de ne pas avoir à prendre leurs responsabilités) est le meilleur moyen d'encourager le repli sur soi, voire la tentation xénophobe.
Eh bien, Benjamin, je ne suis pas d'accord.
Les commissaires européens ont la légitimité que leur confère le Parlement Européen, instance de représentation démocratique. Un commissaire européen n'est ni plus ni moins légitime qu'un ministre, et lorsqu'un gouvernement désigné, comme l'est la Commission Européenne, nomme un négociateur, on ne voit pas au nom de quoi un trublion lui mettrait des bâtons dans les roues du fait qu'il est élu, qu'il s'agisse du président de tous les Français ou du maire de Limoges.
La présidence tournante de la France ne signifie pas que Sarkozy est Président de l'Europe. La France préside, Sarkozy est son porte-parole. Et quelle parole porte-t-il ? Non pas la mienne, ni la vôtre, mais celle des agriculteurs et des pêcheurs (environ 2% de la population française). Est-ce ta conception de la représentativité, Benjamin ?
On dénigre souvent la commission de Bruxelles en arguant du fait qu'elle est la proie des lobbies. C'est d'une mauvaise foi patente. Les groupes d'intérêts ont certes voix au chapitre, mais à la différence du Parlement français, où cette voix est occulte, elle est publique à Bruxelles, et inclut TOUS les groupes d'intérêt. C'est-à-dire pas seulement les grands constructeurs d'autoroutes, mais aussi les opposants aux autoroutes. Pas seulement les grands céréaliers, mais aussi associations environnementales. C'est toute la différence entre une démocratie pragmatique et une oligarchie dissimulée.
Invoquer le risque du repli sur soi et de la xénophobie, Benjamin, n'est pas une menace en l'air, si j'en juge par le ton de ta note. Mais ce repli sur soi que tu invoques, n'est-il pas préalable à la remontrance de Mandelson ? N'est-ce pas précisément du fait de ce repli assumé que cette remontrance te semble une atteinte intolérable à notre souveraineté "bling-bling" ?
Je suis désolé d'afficher ainsi mon désaccord profond envers les nonistes. Les arguments évoqués à l'encontre de Bruxelles ne tiennent pas la route si l'on s'en tient aux implications réelles des directives européennes, qui ont eu pour effet, en France, d'atteindre en plein coeur le pouvoir des lobbies. Je te rappelle que le Non au traité européen s'est abreuvé, en France, du spectre du "plombier polonais" dont j'ignore s'il existe. Les épouvantails, les cris et grincements de dents se situent du côté du Non. Trop d'arguments irrationnels, un front trop ample pour être honnête, cela en invoquant tantôt le chômeur, tantôt le grand céréalier ou le patron de flotte, me paraît traduire, justement, un flottement du côté des principes et valeurs que vous défendez.
(Ajout du 13 septembre 2008) Je tombe sur cette chronique d'Alain Duhamel, "La myopie des souverainistes", publiée dans Libé il y a quelques jours. Elle décrit parfaitement les rodages de ces discours antieuropéens: http://www.liberation.fr/rebonds/chroniques/chronique_politique/351294.FR.php
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