Samedi : jour du ronron de machine à laver. Etre positif, voilà le secret. Pleurer et nicher sont deux actions fort différentes, on ne saurait les réunir sans secousse, sans fracas, sans frison (se dit d'un frisson qui se résout en frisottis).
Examinons la livraison de ce mois. Le premier - j'étais impatient de le lire - est l'ouvrage de Tedford & Wang illustré par Anton (2008): Dogs - their fossil relatives & evolutionary history, publié aux presses de l'Université de Columbia. Il s'inscrit dans une série ouverte par The big cats and their fossil relatives, de Turner et Anton (1997), qui comprend également Evolving Eden (sur la faune africaine) et Mammoths, sabertooths, and Hominids (sur la faune européenne). Voici donc les premier et dernier opus :
The Big Cats était réellement innovateur, reconstituant les milieux et les faunes, et se basant sur les comportements des félins actuels pour dresser à grands traits les processus biocénotiques (tous les rapports entretenus au sein d'un écosystème, prédation, commensalité, parasitisme, etc.). Cet abord menait Turner à envisager un écosystème comme étant composé de "guildes" - guilde des prédateurs, guilde des herbivores, guilde des charognards, etc. - proposition que j'ai reprise dans l'HDR en suggérant qu'on ne naît pas guépard, mais qu'on le devient en apprenant un métier - en l'occurrence, celui de guépard.
L'ouvrage était abondamment illustré par Mauricio Anton, du Musée de Sciences Naturelles de Madrid, l'un des illustrateurs les plus doués à l'heure actuelle. Non seulement revivaient sous nos yeux ces familles éteintes que furent les amphicyonidés (chiens-ours) et les nimravidés, mais les techniques de chasse des chats à dents de sabre (machairodontes européens et smilodons américains) étaient minutieusement reconstituées, en se fondant sur le degré de résistance des canines supérieures aux torsions. Pour ce faire, il fallait 1) déterminer le type de proies à disposition et 2) vérifier les efforts nécessaires à fournir pour les immobiliser avant de leur porter le coup fatal, sans risquer de se briser une canine.
NB: un ouvrage d'ampleur similaire a été produit sur les dinosaures, à la fin des années 80 je crois. Il s'agissait de "Dinosaurs : an heresy" de Robert T. Bakker, traduit en français sous le titre "Le Ptérodactyle rose". On voyait le même effort de reconstituer les modes de vie à partir de la conformation des milieux, les ratios proie/prédateur, etc. "L'hérésie" consistait à affirmer que les dinosaures avaient le sang chaud (endothermie) et qu'ils formaient une classe à part, donc n'étaient pas des reptiles, mais des oiseaux.
J'espérais un ouvrage similaire avec Dogs... mais la série a été victime de son succès populaire. L'effort de vulgarisation devient démesuré, les auteurs se répètent à l'envi, Anton fournit le minimum syndical (il plaque ses illustrations sur des photos paysagères) et le livre laisse en suspens nombre de questions.
Voyons à quoi il répond : les canidés sont apparus en Amérique du Nord il y a plus de 40 millions d'années, et la majeure partie de leur évolution s'y est déroulée. Ce n'est qu'à partir de 8 millions d'années environ que les chiens ont commencé à se répandre sur les autres continents (Afrique, Eurasie, et Amérique du Sud où l'on compte aujourd'hui le plus grand nombre d'espèces, certaines éteintes tout récemment). Des chiens domestiques ont essaimé en Australie il y a cinq mille ans seulement.
Les canidés ont occupé en Amérique du Nord les niches écologiques que remplissaient dans l'Ancien Monde les hyènes, scindées en espèces coureuses et charognardes (cursorial vs bone-cracking), avec des comportements sociaux similaires. Des trois genres initiaux de canidés (hesperocyoninés, borophaginés et caninés) seul le dernier, élargi récemment (fin du Miocène) a survécu. Il compte deux principaux sous-genres, Vulpes (renards) et canis (loups).
Les hesperocyoninés étaient de petits carnivores ressemblant à des civettes, vraisemblablement omnivores, comptant au menu des invertébrés. Les borophaginés ont connu une évolution convergente avec les hyènes. Ils étaient solidement charpentés, ont développé des espèces de grande taille occupant probablement la position de super prédateurs (illustration de couverture). Le développement des borophaginés est associé semblé-t-il à des espaces ouverts de prairie, comptant une faune d'équidés (Hipparion) et de camélidés. Leur existence s'est entièrement déroulée en Amérique du Nord. Ils se sont éteints à la fin du Pliocène (2 millions d'année)
Les caninés connaîtront une radiation évolutive à la fin du Miocène. Deux orientations vont apparaître, liées à un seuil critique dans la masse corporelle. D'après les auteurs et ceux qu'ils citent, 21 kg est le seuil en-deçà duquel les besoins alimentaires sont assouvis par des proies de dimension réduite (rongeurs, lagomorphes, batraciens, invertébrés). Au-delà de 21kg, il faut passer à des proies de dimension supérieure, bien supérieure aux chiens qui les chassaient; d'où l'adoption privilégiée de la chasse en meute, qui permet aux loups contemporains d'abattre des élans ou des bisons. La divergence loups/renards proviendrait de ce seuil critique, qui a donc des implications comportementales.
L'autre aspect traité, qui m'intéressait beaucoup, mais est un peu superficiel, est celui de la domestication du loup. Les premières traces remontent à 17 millions d'années, mais la recherche est faussée du fait que la morphologie des chiens (museau plus court, orbites plus grandes, ce que l'on appelle des traits pédomorphes - juvéniles) n'apparaît que tardivement, après un processus de sélection. Or la coexistence loup et homme peut être bien plus ancienne, 100 000 ans peut-être, sans que les loups soient passés par une modification phénotypique.
Les auteurs envisagent différentes hypothèses concernant la non-domestication des ours, des félins (survenue il y a seulement 9000 ans), des viverridés, etc. mais ils évacuent la question par une pirouette ("ils ne se prêtaient pas à la domestication"). Ils proposent un certain nombre d'hypothèses qui ont été débattues à partir des années 80 sur l'origine chinoise ou non de la domestication, le fait que celle-ci ait été accomplie une fois, en Eurasie (les hommes ayant franchi le détroit de Behring il y 20 000 ans emmenaient des chiens avec eux, et n'ont pas domestiqué d'espèce locale).
Pour comprendre le processus de domestication, largement envisagée ici comme un asservissement, la reconstitution des campements humains est nécessaire. On suppose que l'amas de déchets issus de la chasse aurait pu attirer des loups, les moins craintifs s'installant à demeure, et finissant de fait par garder le campement considéré comme leur propre territoire. Une telle coexistence a pu se prolonger durant des millénaires avant qu'un processus de domestication (avec modification comportementale) ait eu lieu.
Il me plaît d'imaginer les loups et les hommes partageant les mêmes espaces et les mêmes proies. De fait, ces deux espèces étaient en compétition, et possédaient les mêmes techniques de chasse en meute, avec rabatteurs et tueurs en fin de course. Il me semble qu'une partition des lieux de chasse a pu se produire. J'observe que les humains mâles urinent systématiquement, ou presque, debouts, contre un élément saillant (buisson, pierre, piquet, mur, etc.). J'ignore si cette pratique est générale (je ne le crois pas, Lévi-Strauss raconte que les Nambikwara ou Kaduveo urinaient accroupis en cherchant à amortir le bruit) et surtout si on la retrouve par exemple chez les chimpanzés - j'attends confirmation ou infirmation. Si les humains sont seuls parmi les primates à en user de la sorte, alors on peut penser qu'ils ont calqué leur comportement sur les chiens chasseurs, et ont, comme eux et contre eux, marqué leur territoire. Cette idée m'est venue en lisant le récit d'un éthologue parti étudier les loups canadiens et qui pour sa tranquillité avait uriné en cercle à quelque distance de sa tente: les loups respectèrent ce marquage, et urinèrent de l'autre côté.
Donc, plutôt que d'envisager un asservissement immédiat, on peut songer d'abord à une coexistence pacifique suivie d'une collaboration. L'adoption de campements communs, avec cette coutume qu'ont les loups de confier les petits, durant la chasse, à des nourrices, a pu provoquer toute sorte de dérives comportementales, chez les loups comme chez les humains. A l'inverse, on peut imaginer que les enfants-loups aient été fort répandus également au paléolithique. Pas de croisement génétique, donc, mais des croisements culturels, des emprunts mutuels fondés sur l'observation, la collaboration, la commensalité.
Voilà les réflexions que m'inspire cet ouvrage, que je trouve malheureusement incomplet. Je rends par ces lignes hommage au chien nommé Skyros, mort depuis quinze ou vingt ans déjà, qui ne s'est jamais comporté envers moi (et vice-versa) comme un subordonné ni comme un chef de meute, mais juste comme un ami.
Franchement, renoncer à la Vache qui Rit, ce n'est pas vraiment renoncer au fromage ... ce n'est pas comme si tu avais arrèté le Maroilles, le Munster ou l'Epoisse ... (et j'aurais pu remplacer Vache qui Rit par Emmenthal ou Raclette... T'es petit joueur sur le fromage!)
Rédigé par : Narayan | samedi 22 nov 2008 à 21:39
Aaaargh ! Tu commentes la note chats & chiens! J'ai pensé à mettre le Munster, et aussi le Valençay, mais une voix impérieuse m'y a fait renoncer.
Rédigé par : anthropopotame | samedi 22 nov 2008 à 23:00
oups!! voila ce que c'est de commenter un oeil sur le clavier un oeil sur le match....
Rédigé par : Narayan | dimanche 23 nov 2008 à 12:10
Plus sérieusement, peux tu combler une lacune culturelle? Tu dis que les chiens sont arrivés en Australie il y a 5000 ans. Qui les a amené? Y avait il des humains déjà sur place ? Les abos sont ils des mélanésiens ??? A lire mes questions je mesure l'étendue de ma méconnaissance de l'histoire humaine
Rédigé par : Narayan | dimanche 23 nov 2008 à 18:10
Les premières colonisations de l'Australie remontent à 70000 ans, avec plusieurs tentatives plus anciennes mais qui ont échoué (pas assez d'individus pour faire souche). Tu trouves ces infos dans Coppens & Picq, Aux origines de l'Humanité vol.1, publié chez Fayard en 2001-2002. Je crois que Jared Diamond en parle également dans Effondrement (Gallimard, 2005)et dans son précédent (Guns germs and steel, j'ai oublié le titre français mais c'est également chez Gallimard. Les premières tentatives (celles qui ont échoué) était d'origine du sud-est asiatique, celles qui ont réussi étaient mélanésiennes. Pour la référence sur les chiens (que je croyais plus anciens en Australie) je l'ai trouvé dans "Dogs" recensé ci-dessus. Ils sont bien entendus arrivés par bateau, amenés par des humains (échanges commerciaux?).
Rédigé par : anthropopotame | dimanche 23 nov 2008 à 20:14
Je crois avoir lu, il y a fort longtemps, le livre dont vous parlez, d'un ethnologue parti étudier les loups dans le grand nord canadien. Dans une version extrêmement vulgarisée, car dans une édition jeunesse, castor poche junior, de mémoire.
Je me souviens de cette histoire, et il me semble que l'ethnologue en question, qui ne cherchait pas vraiment à éloigner les loups puisqu'il souhaitait au contraire les étudier avait envisagé de "marquer" sa présence à leur façon pour entrer en contact avec eux, et non pour l'éviter.
Si mes souvenirs sont exacts, après avoir repéré le chemin par lequel au moins l'un des mâles arrivait toujours, il avait uriné AU TRAVERS de cette piste. Puis s'est installé tranquillement pour attendre de voir revenir le loup en question.
Toujours si mes souvenirs sont exacts, il décrit le loup s'arrêtant brusquement, comme se heurtant à "un mur invisible".
Pensez-vous que la "domestication" (s'il s'agit du mot juste pour ce cas précis, ce qui me semble incertain) du chat ait pu également se construire de la même manière ? Peut-être, non ? Dès lors qu'en Egypte, il a fallu organiser le stockage de l'orge ou autres céréales locales, les greniers ont du attirer les rongeurs, qui ont à leur tour attiré leurs propres prédateurs. Les egyptiens ne pouvaient voir que d'un bon oeil s'organiser la chasse de qui menaçait leurs réserves, et coexister paisiblement avec les chats, ces derniers faisant des territoires humains, au moins partiellement, leurs propres territoires de chasse.
Rédigé par : Fantômette | vendredi 26 déc 2008 à 14:23
Il est probable en effet que la domestication du chat se soit produite de cette manière, d'autant qu'avant l'arrivée du chat en Europe, on procédait ainsi avec les fouines, les furets et les genettes : les laisser s'installer, puis prélever des petits et les élever au foyer.
Mais dans le cas du chien cela va beaucoup plus loin, puisqu'il s'agit de deux espèces (loup et homme) occupant la même niche écologique et qui apprennent à collaborer. Ce ne serait pas un cas unique puisqu'il est de plus en plus certain que le loup et le corbeau avaient créé une forme de symbiose, la population de corbeaux dépendant étroitement de celle des loups. (J'enjolive peut-être, mais il me semble que les corbeaux repèrent les proies et guident les loups vers elles, puis se repaissent des restes). On peut imaginer qu'il y ait eu des chasses en collaboration entre loups et hommes, ce qui ne serait guère possible avec des chats.
J'espère que vous passez de bonnes vacances, Fantômette.
Rédigé par : anthropopotame | vendredi 26 déc 2008 à 15:40
Oui, c'est pour cela que j'hésitais sur le terme de "domestication" pour parler des chats.
Il me semble qu'en ce qui les concerne, s'est organisée une forme de coexistence à laquelle chacune des deux espèces a pu trouver intérêt, sans pour autant que l'on puisse dire du chat qu'il a été domestiqué comme on le dit du boeuf qui tire la charrue ou du chien qui aide l'homme à chasser.
Je n'ai pas de vraies vacances, juste les deux ponts, et je suis malade. J'essaye de trouver un extrait du règlement intérieur de la profession d'avocat qui imposerait à mes patrons de m'accorder des congés supplémentaires dans ce cas de figure, mais en vain. Snif. J'ai de la fièvre, je vais donc probablement poster un long commentaire verbeux et sans intérêt sous un précédent billet. J'espère qu'il fait un temps dégueulasse à New York ; à Paris, il a fait un temps superbe.
Rédigé par : Fantômette | vendredi 26 déc 2008 à 18:43
Peut-être faudrait-il parler d'apprivoisement pour le chat?
A New York, nous sommes passés par tous les temps possibles, du glacial à la tempête de neige au temps radieux. Belles promenades, et j'ai emmené trois fois mes neveux au musée d'histoire naturelle. J'ai eu ma dose de Hamburger pour l'année - heureusement, celle-ci est bientôt finie!
J'espère que vos vilains patrons tiendront compte de vos contributions à ce blog, qui doivent vous prendre du temps entre deux éternuements, chère Fantômette.
Rédigé par : anthropopotame | vendredi 26 déc 2008 à 20:25