Promenons-nous dans les bois et tendons l’oreille : les chants d’oiseaux sont ponctués de détonations. On se croirait en zone de guerre. La faune sauvage est maltraitée en France. Pour elle n’existe pas de trêve hivernale. Quand la vie est dure à mener, la nourriture difficile à trouver, les forêts sont parcourues de bataillons de chasseurs accompagnés de leurs chiens. Les zones non anthropisées rétrécissent. A mesure qu’elles rétrécissent et que les survivants se regroupent, les voilà plus aisés à tirer. Et nous avons été habitués à penser que cette situation était normale, habitués à croire que les chasseurs « régulaient », suivaient des « plans de chasse », et nous perdons de vue que la situation de la faune sauvage en France est dramatique, à cause de ces millions d’hommes déversant du plomb dans les sous-bois, qui « gèrent » les survivants, les populations reliquats, et l’opinion publique ignore ce qu’il en est réellement, intoxiquée par le discours bienveillant, traditionnaliste, des médias, qui fondent à la vue de bottes boueuses et de convivialité. Ceux-là qui ne font pas l’objet d’une chasse « sélective » sont traités en nuisibles – soit l’essentiel de la faune de micro-mammifères, martres, fouines, putois, blaireaux, loirs, lérot, lérotin, et bien sûr, les renards. A ceux-là sont tendus des pièges toute l’année, en toute légalité. Sans compter les oiseaux… Pies, choucas, étourneaux, et même les hirondelles de fenêtres qui disparaissent de nos villages. La France : plus vaste pays d’Europe. Mais à considérer la biodiversité française, en dépit de ceux qui proclament que 20% du territoire est boisé, le tableau est bien sombre. Considérons les extinctions locales, c'est-à-dire ces espèces qui ont disparu du territoire national, ou de la majeure partie du territoire, ou qui ne forment plus que des populations reliquats. Les prédateurs furent toujours et avant tout autre dans la ligne de mire des chasseurs et des éleveurs, cela en dépit du bon sens, et contre les intérêts des agriculteurs : ours, loup, lynx, chat sauvage, vison d’Europe, loutre, hibou grand-duc, grand corbeau, balbuzard fluviatile, aigle royal, faucon pèlerin, et j’en oublie. A ceux-là revenait de réguler les populations de cerfs, de chevreuils, de sangliers, de chamois, mais aussi de rongeurs, d’oiseaux… La disparition des prédateurs aurait dû permettre un essor de la faune sauvage. Mais cela n’est vrai que des espèces « gérées » (cerfs, chevreuils, sangliers), et des espèces introduites, comme le lapin, le ragondin. Car l’essentiel de la faune non carnivore est en déclin, et bon nombre d’espèces ont disparu également ou voient leurs populations singulièrement réduites : auroch, bison d’Europe, bouquetin des Pyrénées, mouflon, castor, lièvre, outarde, coq de bruyère, tétra lyre, alouette, faisan, perdrix, caille des blés, j’en passe et j’en oublie, et je n’ose même penser à la faune aquatique, habitants de marais ou d’estuaires, et les poissons, enfin, ayant à surmonter des pollutions permanentes ou intermittentes, les introductions incontrôlées par les pêcheurs du dimanche (perche soleil, écrevisse américaine). Nombre de chasseurs prétendent, par respect pour la faune locale, se contenter de faisans et perdrix d’élevage : bien sûr, ils n’ont rien laissé sur pied. De quoi se prévalent-ils ? Du fait qu’ils sont armés, qu’ils ont un pouvoir de nuisance, et qu’ils sont des électeurs. Or à la réduction drastique des habitats vient s’ajouter cette pression permanente et indiscriminée – car les chasseurs font-ils bien la différence entre un ours et un sanglier ? La preuve est faite que non ; que dire alors d’un oiseau protégé ? La faune sauvage s’enfuit du plus loin qu’elle voit un homme – le promeneur est donc sûr et certain qu’il ne montrera aucun animal, même de loin, aux enfants qu’il voudrait sensibiliser à la vie sauvage. Les lotissements étendent leur emprise : on ne songe là qu’à empoisonner les mammifères qui s’approchent des caves, les oiseaux qui s’approchent des arbres fruitiers, et l’on tue les souris, les insectes, et l’on déverse du désherbant, de la poudre à limace, du dératisant, des anti-taupes, les entrepreneurs à déverser leurs gravats et leurs produits toxiques dans des carrières revitalisées qu’ils achèvent de meurtrir. Que reste-t-il ? Quel espace accorderons-nous à ces animaux qui ont, comme nous, traversé les âges glaciaires, dont nous envahissons les derniers retranchements, dont nous couvrons les habitats d’aires commerciales, de zones industrielles, d’autoroutes, de parkings, et estimons en plus qu’il nous faut à tout prix parcourir ce qui reste de long en large, tonitruant, chassant, pétaradant, optant pour le hors-piste, la randonnée, et jouant à nous faire peur quand nous empiétons sur le territoire des ultimes ours et de loups-revenants ? Si le lien de la majeure partie de la population avec ce que nous appelons la nature et les bêtes est tranché (le lecteur connaît-il tous ces animaux que j'évoque, qui sont pourtant - ou étaient - familiers de nos campagnes ?), s’il n’est plus possible de secouer nos enfants trop pris par les émissions qui leurs sont destinées, alors décrétons que certains espaces seront définitivement alloués à leurs occupants primitifs. Restreignons la chasse, et en particulier celle qui consiste à canarder des oiseaux épuisés par de longues migrations, chassés de jour comme de nuit dans les zones qu’ils traversent. Nombre d’entre nous « ne sont pas contre » la protection des tigres ou des gorilles. Autant dire qu’ils s’en fichent. Que diraient-ils alors du crapaud sonneur ou des visons d’Europe ? De l’outarde ou du coq de bruyère ? Du chat sauvage ou du lynx ? Ainsi va le grand massacre : des préfets autorisent les déterrages de blaireaux, publient consciencieusement chaque année des listes de nuisibles. De braves rurbains éliminent toute trace de faune et flore originelles. De sympathiques promoteurs quadrillent le territoire et voient des lotissements, des marinas, des parcours de golf, et des présidents de conseils généraux veulent « désenclaver » des zones qui n’ont jamais été reliées à rien, c'est-à-dire faire émerger de nouvelles zones d’activités fondées sur le néant, des Vulcania et autres projets absurdes, donnant quatre cents emplois puis s’effondrant. Mais le mal aura été accompli. Nous vénérons les vieilles pierres, les protégeons, elles sont les hauts-lieux justifiant les parcours touristiques. Stèles, monuments, églises, qui pourtant ne vivent pas, ne souffrent pas, et cela nous le sanctuarisons. Mais le reste ? Ce qui vit, ce qui souffre, ce qui se débat dans un espace toujours plus restreint ? Cerfs harassés venant se réfugier dans les maisons, tués à l’arme blanche dans jusque dans la cuisine – le propriétaire n’est pas consulté. Sangliers pourchassés traversant les autoroutes, renards, faucons, chouettes et hiboux venus se dissimuler en ville, là où enfin ils trouvent la paix, à défaut de nourriture. Insectes disparaissant – combien en trouvait-on il y a trente ans, écrasés sur nos pare-brises ? Aujourd’hui, rien ou presque. Et les oiseaux insectivores, que deviennent-ils ? Et la pollinisation, comment se fera-telle ? Pourquoi ne pas inverser la logique ? Pourquoi ne pas respecter, au premier chef, les traités internationaux concernant la biodiversité, en cessant de maintenir sous perfusion des zones désertées, en ne les revitalisant pas avec des méga-projets fous et furieux, en limitant les espaces urbanisés, en concentrant l’habitat rural, en proposant, plutôt que de nouvelles autoroutes, des corridors biologiques reliant entre elles les zones à peu près préservées ? Laissons renaître les cycles naturels, apprenons à aimer ce qui nous entoure plutôt qu’à le pulvériser, nous nous en porterons mieux, et serons mieux placés pour peser lorsque des négociations vitales pour l’humanité entière s’annonceront.
La chasse ... vaste sujet. Perso, je ne suis pas franchement dans le camp des défenseurs des chasseurs ET des pécheurs (ces derniers ayant toujours pour une raison qui m'échappe meilleure presse que leurs collègues flingueurs). Mais comme disaient les Inconnus dans leur excellente "chasse à la Galinette cendrée", il y a le bon chasseur et le mauvais chasseur ;-)
Qu'est ce qu'un bon chasseur? celui qui rentre bredouille, mais qui aura cheminé accompagné de son chien dans les boccages ou les coteaux. Celui qui somme toute apprécie la nature et qui la respecte parfois mieux que les hordes de randonneurs ou de VT-tistes qui certes ne tuent pas de leurs mains mais par leur intrusion dans des zones sensibles vont perturber les nichées, ou effrayer les petits. Car ceux là, se manifestent aux beaux jours, en pleine période de reproduction. Quiconque est un jour passé dans le parc de la Vanoise comprendra ce que je veux dire.
Et je pourrai en rajouter en évoquant les stations de sport d'hiver, toujours plus haut, toujours plus loin, toujours plus ...
Rédigé par : Narayan | lundi 03 nov 2008 à 23:52
Yes. Mais j'en parle, de ces pistes de randonnée, et du hors piste, etc. Mais il est inutile de tirer tous azimuts, il vaut mieux aborder les problèmes les uns après les autres. Disons que les chasseurs sont actifs en hiver, moment où les animaux réduisent leur métabolisme afin de nécessiter moins de nourriture. Or l'état d'alerte permanente que leur impose la chasse les oblige à se maintenir en pleine activité physique. En été, moment privilégié par les randonneurs, le problème est différent.
Rédigé par : Anthropopotame | mardi 04 nov 2008 à 11:17