Rassurons nos lecteurs: tout s'est très bien passé hier soir ; contrairement à ce que je craignais, ce n'est pas mon terrible ami qui avait préparé le dîner, mais sa délicieuse épouse. Comme elle enseigne au collège, elle dresse un portrait assez sombre de ce qui nous attend à l'université d'ici quelques années: des élèves qui ne font rien et dont on ne peut rien faire, ni les punir ni les mettre dehors. Confortablement installés dans les salles de classe, ils attendent de voir leur professeur s'énerver. Habitués à ce que l'on n'exige rien, ils ne fournissent aucun effort.
J'ai ma petite théorie là-dessus, exposée dans une note intitulée "1984". On a dévoyé l'école de sa mission première qui était de former des adultes. Comme toute institution destinée à ménager un passage d'un âge à l'autre, d'un statut à un autre, l'école est un lieu de coercition. A défaut, les adolescents se prennent mutuellement pour modèle, n'aspirent à rien d'autre qu'à perpétuer leur état de béatitude dépourvue de contraintes et de responsabilités. L'adolescence, la jeunesse deviennent des fins en soi et tout le système d'enseignement se voue alors à inculquer vaille que vaille quelques chiffres et quelques lettres. Mais assez sur ce sujet.
Dans ma chambre d'hôtel j'ai regardé les éditions spéciales consacrées à la tempête. Lotissements inondés, solidarité émouvante, pompiers courageux. En moi donc a vibré la même fibre solidaire, et j'ai décidé de lancer un vaste programme d'adoption de petits Vendéens.
Le malheur a frappé leur département. Ils n'ont plus d'huîtres à manger. Leurs parents déboussolés ne sauraient, dans ces conditions, leur offrir un avenir. C'est l'occasion pour tous les couples désireux d'adopter d'arracher ces enfants aux brutes avinées qui les confinent dans d'hideux pavillons pour leur donner une vie décente, des soins, une éducation, des Playstations.
Leur existence eût été un désastre: barbecue entre amis, constructions d'abris de jardin en tôle et en parpaing, week-end passés chez Brico-Dépôt, Jardiland ou M.Bricolage. Ils n'auraient eu dans la vie d'autre choix que d'acheter des salles de bain en kit imitant le marbre de Carrare ou des mosaïques plastifiées à la romaine. Plongés dans l'hébétude de ceux qui fréquentent les zones commerciales qui encerclent nos villes, toutes bardées de pannonceaux, ils eussent perpétué l'effroyable misère à laquelle ces régions périphériques nous ont accoutumés.
C'est pourquoi j'ai décidé d'affréter des autobus, d'écumer les orphelinats et les salles de sport servant de refuge aux sinistrés, et de sauver ces petits malheureux en les couvrant de pansements et de bandages afin de les exfiltrer. Passée la frontière du département, des centaines de parents en souffrance recevraient leur bambin: ils le chériraient, lui ouvriraient les portes de notre civilisation. Ces enfants découvriraient alors l'abondance, la splendeur de nos cités, l'élégance de nos coutumes.
Il me semble que c'est un devoir qui incombe aux peuples les plus avancés que d'aider ceux qu'une malédiction maintient dans l'arriération et la misère. Un seul mot d'ordre, donc : adoptez !
Quel beau geste, d'une grande générosité!
Par contre, perso je préfèrerais adopter les pauvres huîtres arrachées à leur élevage, j'ai une grande baignoire et du bon sel de Guérande, je leur rendrai leur liberté quand elles seront remises du choc psychologique... C'est possible? :)
Rédigé par : Noémie | mardi 02 mar 2010 à 11:04
Mais Noémie, il me semble que ces huîtres ont déjà retrouvé la liberté!
Rédigé par : anthropopotame | mardi 02 mar 2010 à 11:26
Où je peux lire votre note intitulée "1984"?
J'ai 2 ados chez moi, l'un au collège et l'autre au lycée. En toute modestie, moi aussi, j'ai ma petite théorie sur ce malaise mais en découvrant d'autres opinions ça me permets de mettre de l'ordre dans mes tiroirs...
Rédigé par : Guga | mardi 02 mar 2010 à 16:47
La tempête, c'est un coup des Conventionnels, foi de revenant !
Rédigé par : Bardamu | mardi 02 mar 2010 à 17:32
Il est vrai que ce qui se passe dans la jeunesse est assez stupéfiant (en quelques années, les lycéens n'ont plus rien à voir, ça donne un coup de vieux !). Je pense qu'il faut toutefois distinguer en fonction des milieux : là où les parents continuent à réussir parce qu'ils ont réussi scolairement, les enfants ont intériorisé la discipline (la Sittlichkeit produit des effets parce que l'institution marche). Donc, plutôt que de produire une analyse morale, à laquelle répond aujourd'hui un ordre moral (air connu), je privilégierais l'économie : dans une société où la réussite n'est pas corrélée au classement scolaire (à quoi bon avoir un diplôme s'il ne sert à rien, même symboliquement), l'institution ne parvient plus à inculquer l'objectivité aux sujets singuliers. Partant, ce n'est pas tant l'école qui a changé (j'applique les mêmes programmes que j'ai subis) ni le rôle qu'on lui donne (c'est qui le méchant qui dévoie ?) que ses conditions d'effectivité.
Rédigé par : Bardamu | mardi 02 mar 2010 à 17:53
Mouarf ouarf ouarf (euh...se méfier des onomatopées) : il est vrai que je n'ai pas trop suivi l'histoire des haitiens adoptés mais ça donne envie de replonger le nez dedans !
Rédigé par : Kela | mardi 02 mar 2010 à 20:50
@ Guga : la note en question est : http://anthropopotamie.typepad.fr/anthropopotame/2009/04/1984-ou-la-construction-dune-personne.html
mais elle est un peu verbeuse.
Bardamu, tout à fait d'accord, ce n'est pas l'école qui a changé ces dernières années, c'est son public qui s'est adapté à l'absence de coercition. Qu'il existe une classe sociale en France adaptée aux exigences de réussite, c'est évident: c'est la raison pour laquelle le public des Grandes Ecoles, lui, n'a pas changé.
Rédigé par : anthropopotame | mardi 02 mar 2010 à 22:18
Comment ce fait il que je sois restéee si longtemps sans visiter son excellence Anthropopo!!!!????
Rédigé par : bergere | mercredi 03 mar 2010 à 16:03
Bergère, je me posais la même question. Sache en tous cas que j'en ai beaucoup souffert :(
Rédigé par : anthropopotame | mercredi 03 mar 2010 à 17:18
Dans les reportages (et oui on a presque la tele maintenant), j ai beaucoup aime la mention de cet éleveur qui avait perdu tous ces brebis (ou montons ça dépend des chaines) sauf 6 qui sont actuellement au salon de l'agriculture. J'ai aimé une fois, apprécié deux fois puis u bout de la 15ième j'en ai eu un peu marre de cette histoire de mouton.
J'aurai préféré que l'on s'attarde un peu sur le pourquoi de la tempête: dérèglement climatique et accroissement de la fréquence et de l'amplitude des événements extrêmes ou la Niña qui fait encore des siennes.
Un qui n'était pas au salon de l'agriculture est notre très cher président mais il n'était pas en Vendée non plus...
Rédigé par : mouton | mercredi 03 mar 2010 à 21:27