Voilà.
Je suis rentré hier à Paris, non sans avoir fait un détour par le champ pour montrer mon petit troupeau à mes parents. Comme Jérôme venait d'installer des vaches dans le champ d'à côté, champ planté de ray-grass tout neuf et appétissant, mes chéries se pressaient contre la barrière et faisaient connaissance avec leurs nouvelles voisines. Basilic tout ému grattait le sol et meuglait, d'autant que ces vaches étaient sans taureau.
Dès lors, mon irruption passait au second plan. Mes parents suscitèrent quelques secondes d'intérêt, de par leur nouveauté, mais ensuite elles repartirent toutes converser avec les arrivantes.
J'ai senti le pincement au coeur qui m'indique que je suis déçu. Je crois que j'espérais quelque chose, comme devenir ami avec elles. Mais elles ignorent les humains, ceux qu'elles connaissent ne sont pas tendres envers elles, aussi préfèrent-elles rester entre elles. Si elles tolèrent ma présence, elles ne la comprennent pas et ne voient pas ce que je pourrais leur apporter (ce en quoi elles n'ont pas tort).
A les voir ainsi en pourparlers avec les vaches du champ d'à côté, je comprends bien qu'elles forment société, que les humains sont des impondérables suscitant une légère curiosité, parfois muée en animosité. Mais aucune n'a grandi entourée d'affection et de caresses, et ce n'est pas à leur âge qu'elles en découvriront les bienfaits. Elles reconnaissent parfaitement les tracteurs car ce sont eux qui leur apportent à manger, à boire, changent leur litière, etc. Un humain est objet de curiosité jusqu'à ce qu'il soit connu et reconnu. Ainsi n'ont bougé que lorsqu'elles ont vu mes parents sortir de la voiture. Tant moi que la volvo faisons partie du paysage.
S'agissant de vaches à viande on voit mal les éleveurs les couvrir des baisers. Moi-même voyant le veau d'hier trébucher je n'ai pas éprouvé grand-chose. On sentait à le voir qu'il était condamné, peut-être est-ce la raison. Je me demande quel effet cela me ferait d'avoir dans mon assiette un morceau de Luisa, de Marta ou d'Eva. Je ne sais si j'en serais troublé.
J'ai pris un certain nombre de films que je dois regarder de plus près. Si je ne parviens pas à créer un minimum d'intimité avec elles je serai condamné à la surface des choses.
Voyons toutefois où j'en suis à ce stade: si la formation des groupes est aléatoire (l'hiver passé dans les étables, le printemps amenant à la formation de troupeau en fonction de la facilité à réunir telles ou telles), les vaches créent rapidement leur cohésion sociale. Cette cohésion est forgée bien davantage par des gestes de tendresse que par des menaces ou des coups de cornes. Les plus âgées dominent assez naturellement, mais la hiérarchie ne suit pas forcément l'âge, plutôt la timidité respective des individus. Carla n'est pas la plus jeune, mais c'est par exemple celle qui ne s'était jamais approchée de moi, jusqu'à avant-hier - donc moins audacieuse, moins affirmée que les autres.
Il est troublant d'observer leur synchronisation à certains moments. Deux explications possibles: leur champ visuel couvre quasiment 360°, elles sont donc capables de voir une consoeur réagir même quand elle est située bien en arrière. L'autre possibilité serait qu'elles communiquent, comme les éléphants, par infrasons. Je n'ai aucun moyen technique qui me permettrait de l'affirmer.
Je vois en tous cas qu'elles tissent des liens entre elles, que ces liens sont renforcés à l'heure de la sieste par l'emplacement choisi pour ruminer de concert.
Passionnant ! Le comportement des éleveurs est aussi intéressant que celui des bêtes : pas d'affect pour leurs animaux (ce n'est pas tout le temps le cas) ; on a l'impression, mais peut être que je me trompe, qu'il perd un veau sans rien tenter ; il obéit à la bureaucratie bruxelloise qui l'espionne par satellite contre subventions, il accepte de partager son eau avec des touristes -ce qui est annonciateur des choix qu'il faudra faire entre deux industries dévastatrices, le tourisme d'une part et l'industrie de la viande, toutes industries consommatrices d'espace et d'eau, ressources en voie de raréfaction. La note poétique sur le champ « qui fait avorter les vaches » rappelle que la pensée magique n'a pas déserté les campagnes malgré les BTS d'élevage !
Rédigé par : Hypathie | mercredi 26 mai 2010 à 11:06
Hypathie,
comme ce blog est ouvert à tous, y compris à Cyril et à ses parents s'ils souhaitent y jeter un coup d'oeil, tu me permettras quelques mots, bien qu'ils n'aient pas besoin de moi pour les défendre.
Concernant l'affect, il me semble qu'ils en ont, et beaucoup, sachant qu'ils étaient désolés de la morts de ce veau et qu'ils sont restés tous plus d'une heure autour de lui, l'ont massé, etc. Mais encore une fois ils élèvent des vaches pour leur viande et leurs rapports avec leurs bêtes sont complexes, et ce n'est pas en dix brefs séjours que je puis les appréhender.
Concernant les subventions: eh oui, ils sont bien obligés, les subventions bruxelloises étant là pour maintenir un semblant d'activité agricole dans nos campagnes.
Pour ce qui est des touristes, je ne vois pas trop ce qu'ils pourraient faire à part accepter de partager l'eau municipale. Personnellement je suis opposé au tourisme, je pense qu'il s'agit de la huitième plaie d'Egypte.
Rédigé par : anthropopotame | mercredi 26 mai 2010 à 15:43