18 juillet Arrivé huit heures. La canicule revient. Aujourd’hui c’est Jean qui est de garde (c’est dimanche) et il me fait faire le tour de l’exploitation. On inspecte, champ après champ, on règle le débit d’irrigation du maïs, et finalement, alors que nous nous extasions devant Basilic, arrive Madame le Maire qui fait son footing. Je lui explique à grands traits le projet que je souhaite mettre en place, je propose que sa commune nous serve de terrain. « L’idée c’est de voir comment les populations locales acceptent les directives européennes relatives aux trames bleues et vertes » - malheur, je n’aurais jamais dû employer le mot « directive », Jean embraye en disant qu’il y en a marre qu’on leur impose des trucs, alors j’explique qu’il faut plutôt entendre ça comme « direction pour la concertation ».. Je lui fais observer que c’est remarquable la manière dont il a immédiatement réagi négativement, il me répond qu’ils sont harcelés de toute part par les technocrates européens, la police de l’eau, la préfecture, qu’ils doivent laisser les bandes enherbées mais ne doivent pas les laisser venir en graine, que cela leur coûte de l’essence, qu’ils emploient des pesticides en doses homéopathiques et qu’on leur en demande bien assez. On remarque que les lièvres sont nombreux alors qu’ils avaient disparus, qu’il y a bien plus d’oiseaux qu’il y a dix ans, « tu vois bien que ça a servi à quelque chose » lui dis-je. « Oui mais encore faut-il qu’on le remarque, et qu’on ne nous dise pas toujours ce qui ne va pas. »
Je parle à la Mairesse de ce qu’on appelle « biodiversité ordinaire » : je donne l’exemple des ronces. « Oullala faut pas m’en parler, les ronces ça attire les vipères, et si quelqu’un s’amuse à en laisser dans son jardin je reçois un coup de fil des voisins ». Je suis stupéfait : des vipères ? Ca fait longtemps qu’elles sont exterminées, comment les gens peuvent-ils encore fantasmer sur les vipères ?
Bref, je suis reçu assez froidement et je préfère en rester là pour l’instant.
Je fais mon tour, Petite caresse sur le museau de Basilic couvert de mouches – je ne comprends pas pourquoi Basilic apparaît aussi sympathique. Spontanément, on trouve que c’est un gentil taureau, je ne sais pas à quoi c’est dû. Je me balade un peu dans son champ puisqu’il m’a fait bonne accueil. A peine me suis-je éloigné de quelques mètres que j’entends tout le troupeau se mettre en branle derrière moi. Je marche sans me retourner, toutes les vaches et leurs veaux sont en train de marcher à mon rythme, ou un peu plus rapide. Quand elles sont sur le point de me rattraper, je me retourne comme on joue à un-deux-trois soleil : elles s’immobilisent toutes en un vaste arc de cercle. Je ris tout seul dans le champ. Je reprends la marche, mais elles restent immobiles cette fois, Basilic à l’extrémité de l’arc.
Je retourne aux étables, visiter mes amies (qui se foutent éperdument de moi). D ans le grand champ où les vaches prêtes à vêler sont triées chaque jour (on les rentre, on sent la veine caudale, et si on la sent encore on les relâche), mes chéries sont mélangées à une trentaine d’autres vaches. Je passe au milieu d’elles, je m’accroupis devant Cristina, Alexandra, Luisa, elles s’approchent un peu, me reniflent, mais des vaches inconnues s’approchent aussi par derrière. Elles sont vraiment nombreuses aussi je marche très doucement au milieu d’elles pour ne pas créer d’affolement – même si je ne pense pas qu’elles m’écraseraient. Elles sont avec un taureau qui s’appelle Valézo, que je ne connais pas, et qui ressemble un peu à Polichinelle (il est un peu bossu, et a des boucles blondes presque crépues), mais qui m’ignore superbement. J’adore me faufiler entre elles sans les effrayer, en allant à leur rythme, en leur laissant le temps de tourner la tête et de me dévisager pour mesurer le danger que je représente.
Puis je vais voir Sonia, Manuela, Lucinda et Laura, qui ont eu leurs veaux. C’est remarquable de voir comme certaines vaches font du baby-sitting, gardant cinq veaux tandis que les autres sont en train de manger à l’intérieur. Mais une vache qui ne me connaît pas, me repérant de loin, sort toute affolée en appelant son veau. Bizarrement, les petits aiment se faufiler sous les clôtures et se tenir à l’écart des mères. Jean dit que c’est parce qu’ils aiment être tranquilles. Et de fait les veaux ne demandent pas trop souvent leur mère, ce sont plutôt les mères qui se préoccupent.
Alors que je retourne à la voiture, je vois Jean en discussion avec un agriculteur du coin, qui s’appelle François. Celui-ci m’a apporté une petite plante qu’il a trouvée dans son étang pour me demander ce que c’est. On la regarde, on voit des petits flotteurs et deux œufs translucides accrochés. Je lui dis que je l’emmène et que je lui dirai ça demain. Puis Jean propose qu’on boive l’apéro – il est onze heures du matin mais bon ! Dans son arrière-cuisine, avec un cubi de rosé, on se retrouve à discuter, tous les trois, puis avec Brigitte, puis Cyril et Amandine, puis Jérôme. On parle des malheurs de l’élevage, des impositions constantes, de la « police de l’eau » dont je n’ai pas compris de quel organisme elle émanait, puis Jean se tourne vers moi et me dis : « Bon, maintenant explique à François ce que t’as dit à la maire, parce que lui c’est le représentant de la FNSEA dans la région et si tu fais quelque chose il va forcément le savoir. » Comme François me regarde d’un air ironique je ne sais pas trop comment expliquer mon affaire, et le rosé n’aide pas. Je commence par leur parler des Plans de prévention des inondations : les plans ont été faits, les mesures non appliquées. Donc il y a un problème dans la prise de décision, qui fait que toute mesure venue d’en haut est mal perçue, et je prends Jean à témoin qu’il a mal réagi dès que j’ai parlé d’aménager des couloirs de circulation pour la faune. Mais en réalité, il y a de multiples intérêts à prendre en compte, et c’est à l’avantage de tous de partir des communes pour penser globalement la réhabilitation de la faune et de la flore sauvage.
« Mais le ragondin, hein, qu’est-ce qu’on fait des ragondins ? » J’explique que le ragondin est le type même d’espèce introduite par la connerie des humains, que dans le même temps on exterminait les loutres, les castors et les visons, ce qui a fait que les ragondins se sont répandus depuis les années trente. François ne sait pas ce qu’est une loutre ou un vison, il voit à quoi cela ressemble mais ne sait pas ce que ça mange, où ça vit, etc.
Il me reparle du sentiment d’être contrôlé en permanence ; comme ses enfants étudient, je lui dis qu’il doit être rassuré que moi aussi je sois contrôlé quand je fais mes cours, comme ça ses enfants n’apprennent pas n’importe quoi. « Mais l’agriculteur qui en a marre de se faire imposer des trucs, à la fin il réagit mal et il n’accepte plus qu’on vienne lui donner des leçons alors qu’on a fait un énorme effort ». « Je comprends, lui dis-je, mais au consommateur non plus on ne peut pas imposer quoi que ce soit, donc si les gens ne sont pas d’accord avec vos manières de produire, ils n’achèteront pas ce que vous produisez, c’est aussi simple que cela ».
Nous étions donc revenu à un partout la balle au centre, françois me regardant d’un air narquois, Amandine m’appuyant pour dire qu’en effet les gens ne connaissaient plus grand-chose en flore et faune, et Jean a appuyé en disant que tout un pan de savoir s’était perdu avec la mécanisation. Nous sommes tombés d’accord sur le fait que les particuliers utilisaient aujourd’hui encore plus de pesticide que les paysans, même pour un minuscule bout de jardin, Amandine, qui travaille dans une jardinerie, ayant pas mal de choses à dire sur ce sujet.
En tous cas le sujet est sensible, et je n’ai pas intérêt à préparer le terrain en parlant de « directives européennes » ou même de « ministère de l’environnement » parce que cela déclenche des crises d’urticaire…
Ouains mais déjà tu mets plus de photos, alors si en plus tu te mets à parler des agriculteurs... moi c'est les vaches que j'aime. :)
Rédigé par : Dodinette | mardi 20 juil 2010 à 00:30
Voyons Dodinette, je prépare l'avenir! Et puis tu ne peux pas, en deux commentaires, passer du statut de lectrice la plus fidèle à lectrice la plus exigeante :(
Ou alors tu formes un club avec Bardamu?
Mais bon, c''est d'accord, demain je reparle des vaches. Puis-je faire des parenthèses concernant les petits chats?
Rédigé par : anthropopotame | mardi 20 juil 2010 à 04:14
Je te propose plutôt de laisser les petits chats (et les chiens, et tout le reste) avec les vaches, et de mettre les agriculteurs dans les parenthèses. :)
Rédigé par : Dodinette | mardi 20 juil 2010 à 15:08