Le sens de la fête, ce qui pousse les humains à créer autour d'eux des conditions dites festives et à y participer, relève du mystère.
La question s'est posée à moi lorsque le Brésil a gagné sa cinquième coupe du monde, en Corée. J'étais à Salvador à l'époque, le match avait eu lieu à 9h du matin (heure locale), et la victoire une fois empochée des milliers de Bahianais avaient convergé vers le phare de Barra où étaient dressées les estrades.
Musique, bière, exclamations ("é Penta!"), danse, bière, musique, exclamations, danse, le tout se terminant vers treize heures et sous le cagnard. L'horaire inapproprié, la mollesse des chanteurs, la paresse des danseurs, l'inanité du cri de ralliement "é Penta", tout se combinait pour former un cliché en négatif de ces fêtes fleuries et musicales que nous avons en tête: le clair devient obscur, les pupilles sont blanches, le ciel est noir et les danseurs translucides.
Tout cela pour dire que je n'ai pas le sens de la fête, faute, précisément, d'en appréhender le sens. Me plonger dans une fête équivaut à me placer sur le mode "observation malveillante", un peu comme la pratique le héros des Notes du Souterrain.
Voyons deux exemples de fêtes particulièrement manquées (je ne parlerai pas de celles où j'ai, en plus, été malade):
- Un bal costumé dans la banlieue de Lisbonne. J'avais enfilé un imper, avais dessiné à la craie un M sur mon dos, et nanti d'un chapeau je m'étais présenté comme assassin d'enfants. Evidemment, n'importe quel cinéphile eût aisément compris l'allusion à Fritz Lang. C'était le cas, hélas, d'une infime minorité. Je fus donc ostracisé dès le début de la fête par des gens que je ne connaissais pas, et qui passé d'ailleurs le moment dit de la "reconnaissance des travestis", n'avaient rien d'autre à faire que boire et manger. Moi, dans mon coin, je les regardais s'ennuyer en costume, mais je dus attendre que mes amis finissent de s'empiffrer.
- Une fête d'anniversaire organisée par deux amis cinquantenaires. J'étais de mauvaise humeur dès le départ, en partie à cause des multiples consignes dont nous avaient bombardé leurs compagnes respectives. La fête devait respecter un déroulement précis, dont le clou serait une leçon de salsa dispensée par un éphèbe portant le bouc et monté sur des ressorts (Noter que les professeurs de tango portent, eux, un katogan, ce qui n'est pas mieux). Enfin bref, voilà nous autres invités forcés de nous mettre en rang et d'obéir aux injonctions du jeune coq: il ne m'en fallait pas plus pour exploser et sortir de l'alignement pour contempler la scène en ricanant. Mais le ricanement était outré, car en mon for intérieur j'étais agité par cette question terrifiante: qu'aurait donné le grand rassemblement de Nuremberg si Hitler, au lieu d'être un peintre raté, avait été un danseur de salsa manqué?
Ce qui nous amène au point de conclusion. Qu'est-ce donc qui ne va pas chez les humains pour que la fête soit ainsi considérée comme moment de joie et de socialité, quand aucune fête ne peut se tenir sans profusion, gaspillage et feintise? Pensons aux fêtes de fin d'année: l'esprit de Noël souffle comme le vent biblique et sur son passage c'est un holocauste de millions de dindes, de canards, d'esturgeons, dont les peines ne seront pas commuées. Ailleurs ce sont des moutons qui payent le prix de nos célébrations. Comme si, voulant détruire Sodome et Gomorrhe, Dieu avait par mégarde exterminé les gens de passage, commis voyageurs, aimables touristes, bédouins égarés.
Songeons un instant à ce que signifie une rave en pleine nature, comme il y en eut sur le plateau du Larzac: des milliers d'abrutis allumés par les cachets, suintant l'alcool, sautillant ou titubant, tassant l'herbe sous leurs pieds, balançant des cannettes en pleine campagne, vomissant sur les orchidées et laissant derrière eux des champs dévastés, après avoir cassé les oreilles de la faune sauvage qui n'y comprenait goutte. Quand je vois des scènes de rave-parties filmées depuis un hélicoptère, je suis frappé de voir combien tout cela ressemble à un champ de bataille, avec ses tanks sonorisés et sa pagaille, cependant qu'une fête rangée, canalisée, s'apparente davantage au défilé de l'armée allemande sur les Champs-Elysées.
Voilà pourquoi les "fêtes" que j'organise sont généralement peu prisées: car elles sont austères et j'invite mes invités à ne pas se laisser aller. Le mot "fête" figurant sur l'invitation est une ruse destinée à les attirer. Je crée dès les premiers instants une atmosphère propice à l'observation mutuelle, aux regards suspicieux ("Permets-moi de te présenter un véritable ami") et donc au contrôle des pulsions, de crainte d'être moqué, raillé, reconduit. Je mets la musique très bas et bien souvent mes invités doivent travailler s'ils souhaitent accéder aux boissons ou aux maigres denrées que je dispose en des lieux difficiles d'accès. Je sélectionne soigneusement des invités disparates dont je sais qu'ils n'auront rien à se dire. Moi-même je ne fais que passer, donnant des tapes dans le dos, sans prêter attention aux mots polis que m'adressent des individus hagards, désemparés. Ceux-ci, après une heure de temps, estiment avoir assez donné.
A onze heures, tout est terminé. Mais j'ai, durant ce laps de temps, reconstitué ma cave, et je puis durant quelques jours me nourrir de succulents cakes et de tartes salées.
Heu ami, j'espère que tu ne qualifies pas de fête notre dernière rencontre ... Bonne journée d'anniversaire avec ou sans pull, mais ne prends pas froid !
Rédigé par : evelyna | samedi 18 déc 2010 à 12:18
Je qualifie ma rencontre avec toi et Narayan de fête particulièrement réussie et comme je les aime :) Le reste: beurk comme toi!
Rédigé par : Dr. CaSo | dimanche 19 déc 2010 à 05:41