Dans "Route de nuit", le philosophe Clément Rosset parle de ses années de dépression avec un détachement que je lui envie. Il égrène la pharmacopée et son évolution - cela a duré des années - et raconte ses rêves, non pas ceux qui le touchent, mais au contraire "ceux qui ne lui disaient rien". Son esprit était parasité par des rêves qui ne s'adressaient pas à lui.
Etre quelqu'un d'autre, devenir quelqu'un d'autre. C'est de cela qu'il s'agit, avec cette nuance qu'il ne s'agit pas de "Quelqu'un". C'est quelque chose d'informe et de flasque qui ne saurait recouvrir ce que nous qualifions d'individualité, d'identité.
Je me souviens de mes efforts pour aller, venir, m'alimenter. Je marchais dans la rue comme dans une tranchée. Des sons me parvenaient, ouatés. Des gens m'adressaient la parole et je voyais leur bouche bouger, j'entendais quelques intonations, mais quels que fussent mes efforts je ne parvenais pas à trouver la position spatiale ou temporelle qui m'aurait synchronisé.
La pharmacienne hochant la tête, me jetant un regard après avoir lu la liste figurant sur l'ordonnance, et voyant mes yeux vides. "Je vais le faire", dit-elle. Prenant les documents que j'avais en main, m'expliquant et réexpliquant ce que j'avais à faire, puis me tendant le petit sac. Comme un oiseau tombé du nid: je la regardais comme si elle était posée, là-haut, à jamais hors d'atteinte.
"Là-dessous", "En-bas": deux romans que Huysmans n'a pas écrit. Lui qui parlait de l'Enfer et du Pacte avec le Diable, il l'a toujours situé au niveau de la Souffrance, en catholique.
Les Grecs, comme d'autres, le situaient du côté de l'Oubli - on s'enfonce d'abord sous terre, et il faut encore franchir un fleuve. Les morts passent de l'autre côté, ils oublient, et seules restent l'anxiété et l'attente sans objet.
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