Il y a quarante-cinq ans, Paul Ehrlich publiait un livre, "La Bombe P." comme Population. Il estimait que la plus grande menace pesant sur la planète était l'explosion démographique, incontrôlable et toujours incontrôlée.
A la suite d'un article publié dans Science (Accelerated modern human–induced species losses: Entering the sixth mass extinction), montrant que même dans une perspective optimiste les espèces connaissent un déclin alarmant, des journalistes scientifiques s'amusent des Cassandre aux prédictions incontrôlables. Et de rappeler le cas de Paul Ehrlich et de sa bombe P, qui utilisait, selon l'un de ces journalistes, la terreur comme argument de vente. Et de souligner que la catastrophe annoncée par Ehrlich ne s'est pas produite, grâce à la Révolution Verte, qui a quintuplé les capacités productives de la planète.
On connaît le résultat de cette révolution: pollution des cours d'eau et des littoraux, disparition d'espèces, industrialisation de l'élevage, OGM, risques sanitaires, écrasement des systèmes locaux de production, perte de biodiversité génétique, émissions de méthane, déforestation...
Et quant à la population croissante, c'est une chose de pouvoir la nourrir, autre chose de nier son impact. Qu'un humain, notamment dans un pays pauvre, consomme peu, n'empêche nullement qu'un milliard d'humains consommant peu, cela finit par faire beaucoup. Et si les riches "détruisent la planète", comme le dit Hervé Kempf, ils le font grâce à l'immense marché dérégulé qu'est devenu la terre, où la production de biens de consommation peut augmenter exponentiellement, grâce à la faible durée de vie des objets et à l'augmentation de la population. (C'est d'ailleurs l'argument des producteurs de porc et de poulet industriel que de dire que sans eux, une forte proportion de la population française, trop pauvre, ne mangerait jamais de viande).
Mais lorsqu'un journaliste se moque des prédictions de Paul Ehrlich, il néglige le fait que celles-ci se sont déjà en partie réalisées. Malgré tous nos efforts intellectuels, nous ne parvenons à penser l'environnement qu'à l'échelle de la vie humaine, ou sur trois générations tout au plus...
Le débat est biaisé en France, puisque toute les réflexions environnementales (sauf celles de Yves Cochet par exemple) évitent soigneusement le sujet de la démographie et de la limitation des naissances. A entendre ses (et mes) contradicteurs, nous n'aurions de choix qu'entre politique nataliste et dictature de l'enfant unique. Or limiter les naissances ne signifie pas pratiquer l'avortement systématique ou l'infanticide. Il suffit de ne pas les encourager, donc renoncer à soutenir la croissance de la population. Les allocations sont une forme de subvention. Lorsqu'une subvention a un effet pervers, on doit reconsidérer son utilité.
Que des Français de classe moyenne aient trois enfants, a priori, ne semble pas affolant. Cela ne le devient que lorsqu'on songe aux lotissements pavillonnaires qui sortiront du sol, vingt ans plus tard, pour les loger, avec la voiture qui va avec, et l'écran à plasma, et la production de déchets, etc. le tout multiplié par trois à la génération suivante.
La stratégie des anti-malthusiens consiste toujours à changer d'échelle, de l'individu à la population. Oui, un enfant de plus ne consomme pas grand chose, notamment au Bangladesh. Oui, la consommation par tête d'habitant est incomparablement plus grande aux Etats-Unis qu'en Inde. Mais ce n'est pas sur ce jeu de comparaison qu'il faut baser une politique. Il faut une décroissance de la consommation individuelle, mais cette décroissance sera de toute façon rattrapée par la croissance de la population, comme on l'a constaté lorsqu'on a fabriqué des voitures moins gourmandes en carburant. Si les voitures consomment 4 litres au lieu de douze auparavant, mais que leur nombre est multiplié par dix, la décroissance de la consommation n'est réelle qu'au niveau de la voiture individuelle.
Comme beaucoup, je me console aujourd'hui comme je peux. J'ai enfin compris que tous nos efforts seraient vains pour sauver ce qui peut l'être. Et que si nous entraînons notre planète dans un gouffre, nous y serons engloutis avec le reste. Et que de nouvelles espèces surgiront dans de nouveaux écosystèmes, que nous ne connaîtrons jamais et ne pouvons même imaginer.
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