Certains pays, tel le Brésil, ont eu la sagesse de préconiser la création de corridors biologiques, de manière à favoriser la circulation des espèces végétales et animales d’un lieu à l’autre, évitant ainsi les isolats génétiques.
La nature et l’homme peuvent coexister, dès lors qu’on laisse à celle-là l’espace minimal nécessaire à sa reproduction et sa pérennité. Le mitage accompli par les lotissements pavillonnaires, où chaque maison comprend un jardinet totalement artificiel – gazons, espèces exotiques décoratives -, les réseaux routiers, ferrés, autoroutiers, les retenues d’eau, constituent autant d’obstacles à la circulation des espèces tant animales que végétales, celles-ci étant propagées par celles-là. Nombre d’oiseaux sédentaires, tels le rouge-gorge, le troglodyte, ne circulent pas d’une zone à l’autre si des obstacles sont dressés. Chaque espèce territoriale a besoin d’un espace vital, de quelques mètres carrés à des milliers d’hectares, comme les loups ou les lynx. La circulation de ces espèces dans des couloirs aménagés (les bords de rivière étant à cet égard les meilleures options) permet de concilier présence humaine et maintien de la biodiversité.
Au Brésil, la loi exige des propriétaires le maintien en l’état d’une partie significative des propriétés rurales, allant de 20% sur le littoral à 80% en Amazonie. Cette loi est difficilement applicable, faute d’une logistique adéquate pour les contrôles, et faute de prévenir le morcellement frauduleux des terres de manière à réduire la part préservée. Mais c’est là certainement un moindre mal, si la philosophie de cette loi consiste à ménager des espaces naturels susceptibles de reconquérir rapidement les terres dévastées. Cette loi est particulièrement stricte en ce qui concerne la préservation des cours d’eau : interdiction de déboiser les berges, protection des sources.
L’idée des corridors écologiques est de rendre compatible activités humaines et conservation des milieux naturels. Ils garantissent le renouvellement génétique et donc la pérennité des populations animales et végétales. Leur mise en place s’accompagne logiquement de la création de zones protégées, reliées entre elles par ces corridors, dont la finalité est de permettre le passage d’une zone à l’autre. Les zones préservées sont à la fois des pépinières et des viviers : les mangroves sont l’exemple emblématique de la nécessité d’offrir aux poissons, mollusques et crustacés un lieu de reproduction où les alevins puissent grandir avant de constituer des bancs et d’affronter la haute mer. La mangrove garantit également la pérennité du littoral, de même que les forêts garantissent la pérennité de l’approvisionnement en eau.
L’angle utilitaire est celui-là : préserver l’air et l’eau. C’est moins spectaculaire que « les remèdes de demain », mais c’est indéniablement l’enjeu partagé par les humains et les autres êtres vivants. On pourra toujours trouver des aliments alternatifs puisant aux sources les plus improbables. Mais on ne pourra substituer l’air et l’eau.
En France prévaut une vision utilitaire à petite et grande échelle : à petite échelle, les espaces naturels sont affectés au délassement de la population : randonnées, VTT, chasse. L’espace est pensé en termes humains, un peu à la manière des anciens jardins zoologiques ménageant d’agréables parcours au visiteur grâce aux cages exiguës. La place des Vosges, à Paris, est l’exemple achevé d’espace vert assimilé à un désert biologique : herbes rases, arbres plantés sur sol battu, aucun buisson ou herbe folle.
A moyenne échelle, les espaces verts sont pensés comme moyen d’absorber la pollution générée par les villes – la forêt de Rambouillet peut ainsi être aussi polluée que la rue de Rivoli, par la grâce des vents dominants. Les promeneurs du dimanche perturbent les cycles naturels, dérangent la nidification, éloignent la faune. Exemplaire à cet égard est le tourisme de masse au Kenya et en Tanzanie : les lions et les guépards sont suivis en permanence par une meute de 4x4 et de minibus qui compliquent leur chasse et la rendent souvent improductive. Les chasseurs français, à la poursuite de trophées, abattent les chefs de hardes et désorganisent les groupes de cerfs ou de sangliers, qui suivent alors des individus dont la faible expérience compromet la survie du groupe tout entier.
A grande échelle, la vision utilitariste perdure : la préservation de la biodiversité est envisagée comme source de revenus – ressources génétiques ou puits de carbone négociables dans le cadre des accords de Kyoto. Cette vision est dangereuse car la déception guette : que faire des vastes forêts de la Guyane s’il s’avérait que les espoirs placés en la diversité génétique s’effondraient ? Qu’adviendrait-il de ces forêts si les substances découvertes, une fois synthétisées, permettaient de se passer de l’organisme qui les produit ? Enfin, chacun sait que le stockage du carbone par les forêts est sujet à caution : une forêt constituée de jeunes individus va absorber du carbone qui sera progressivement relâché avec le vieillissement de l’arbre. La décomposition des végétaux produit du méthane et du gaz carbonique, et les incendies de forêt libèrent tout le carbone laborieusement stocké.
Il faut donc s’abstraire de cette vision utilitariste et penser la nature pour elle-même si elle doit être préservée.
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