Voilà.
Nous sommes là tous les cinq dans une chambre d'hôtel à Oriximina, Para.
Nous avons réuni nos affaires avant d'aller pendre nos hamacs dans le bateau pour Santarém.
10 jours à Campo Alegre, un ensemble de lacs et de criques comptant un peu plus d'une centaine d'habitants, où l'on accédait en remontant le fleuve Cuminã, affluent de l'Erepecu, lui-même affluent du Trombetas.
A présent tout le monde dort.
Je repars mercredi au Brésil, pour une longue période de terrain.
Avant de partir, je livre à la sagacité de mes lecteurs ces quelques réflexions en vrac, espérant qu'ils les trouveront à leur goût.
Réflexion numéro 1: A quoi sert la musique aujourd'hui?
A s'isoler dans le train, la rue, le métro. A mendier. A faire résonner sa voiture. A rien d'autre.
Réflexion numéro 2: Pour un quota d'obèses dans les films américains.
Si la population des Etats-Unis est frappée, à près de 20%, par l'obésité, comment se fait-il qu'il n'y ait pas 20% d'obèses dans les films? Pourquoi, lorsqu'il faut jouer un obèse, recrute-t-on un non-obèse (Eddie Murphy, Gwyneth Palthrow) alors que les acteurs obèses sont au chômage?
Réflexion numéro 3: Promotion des vertus du Panda géant.
La demande émanant de Chine et du Vietnam ruine les efforts de protection des tigres, des éléphants, des rhinocéros, dont certains sous-produits sont parés de vertus dans la pharmacopée locale. Je suggère, aujourd'hui, de promouvoir les vertus du Panda (Ailuropoda melanoleuca). Une véritable panacée: l'os de panda, nourri de bambou, rend flexible; la bile de panda rend paisible; un tapis en peau de panda, avec son marquage en Yin et Yang, est le summum du Feng Shui.
Peuples d'Europe! Encouragez le braconnage du Panda Géant issu de Chine, le seul, le vrai, avec attestation d'origine. Lancez des milliers de crève-la-faim prêts à tout dans les bambouseraies de Chine de sud, ruinant tous les efforts de protection, cela pour un peu de poudre d'os et quelques gouttes de sucs vitaux.
Réflexion numéro 4: Promotion du Dessein stupide.
La théorie de l'Evolution est pleine de trous, c'est évident. Elle ne permet pas d'expliquer qu'une espèce se comporte en propriétaire terrien, ravageant tout ce qui bouge, et niant, qui plus est, sa responsabilité. Une seule réponse: cette espèce est bel et bien irresponsable, au sens juridique du terme. Seule une créature parfaitement idiote a pu produire une telle espèce. Il est temps, donc, de concevoir que le monde n'a pas été créé par hasard, pas plus que la scène où se déroulent nos gesticulations dépourvues de sens. C'est pourquoi j'adhère, dès aujourd'hui, à la Théorie du Dessein Idiot, qui répond à toutes mes questions.
Réflexion numéro 5: Retour à Schopenhauer.
J'ai fréquenté Schopenhauer pendant dix ans. Il y a dix ans, j'ai voulu réagir. J'ai voulu contredire son argument selon lequel "les hommes étant ce qu'ils sont, il est vain de vouloir les changer. Dès lors, toute philosophie et toute action politique ne saurait déboucher que sur l'échec et le néant."
Je me suis donc engagé dans la recherche amazonienne, pendant dix ans. Lassé de déplorer sans cesse les destructions, j'ai cru que des études bien menées auraient quelque impact, déboucheraient sur quelque chose.
La destruction s'est accélérée, aujourd'hui à cause de grands barrages, hier à cause du boeuf, demain à cause de je ne sais quel produit en vogue qui parachèvera le grand massacre. Dix ans ont donc passé depuis cette espérance. Il est temps d'en revenir à Schopenhauer. A présent que j'ai mûri, je comprends enfin, et non par coquetterie, qu'il avait raison.
Lorsqu'on a fini de ressasser ses échecs et l'éventuelle décision de tout laisser tomber, il ne reste plus qu'à ressasser le fait que l'on ressasse.
J'ai donc décidé d'innover un peu en développant un petit scorbut, cela quatre jours avant mon départ pour le Brésil. Mes dents se déchaussent, mes plombages cèdent sous l'effet de ce déchaussement.
Je n'attends même plus d'être en Amazonie pour me délabrer.
Dîner ce soir avec une agent secret autrichienne. Sans doute cherche-t-elle à connaître les orientations stratégiques adoptées à la dernière réunion à Neverland.
Je lui parle de mon projet de parrainage des animaux de zoo par les enfants des écoles. On commencerait par une journée portes ouvertes à la Fauverie du Jardin des Plantes. Une fois accoutumés à ce régime, les fauves pourraient aisément absorber les élèves surnuméraires. Pour les écoles élémentaires, l'avantage serait certainement les portions individuelles, et l'absence d'os pointus susceptibles de se ficher dans un gosier.
Mon amie agent secret approuve en son for intérieur. Elle se demande toutefois si rester assis chez moi à regarder des séries idiotes est un bon moyen de me tenir informé des secrets d'Etat. Non, lui dis-je, mais au moins ne vais-je pas emmerder les Somaliens avec des projets à la noix.
Nos bières s'achèvent, nous marchons rue de Bretagne, je la raccompagne chez elle. Et voilà.
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