Jour du départ (samedi).
Interrogations finales et conclusions provisoires :
1) Il semble exister un flux contradictoire au sein de la RDS.
Les enfants des extractivistes tendent à recevoir un soutien ou tout au moins ont des facilités pour poursuivre des études, au moins jusqu’au lycée. Ils se voient donc offrir des opportunités de travail hors de la RDS. Les collecteurs pallient ce manque de main d’œuvre en recrutant des saisonniers à Laranjal do Jari, qui sont issus de milieux similaires (ribeirinhos) mais qui n’ont pas poussé leurs études au-delà de la huitième, voire de la quatrième série. Autrement dit, la RDS exporte des « lettrés » et importe des gens de moindre niveau d’étude, qui épousent les filles des castanheiros. Au final, il y aurait renouvellement de population mais stabilité du niveau d’éducation. Il ne s’agit que d’une hypothèse.
2) Quelques pistes pour appréhender les réseaux de sociabilité.
- d’une part, je constate qu’il y a une forte tendance à la patrilocalité ; toutefois, lorsque les habitants évoquent les liens de parentés, c’est presque toujours la lignée maternelle qui surgit en premier.
- ensuite, la période de collecte semble être, paradoxalement, le moment privilégié du lien social. Cela mérite explication.
La Vila de São Francisco est récente, les maisons sont relativement dispersées ; la tradition locale, qui remonte au temps des colocações comme lieu de résidence, a probablement créé une tendance à l’autonomie voire l’autarcie de chacune des familles. Si l’on excepte les fêtes (qui avaient lieu également au temps de l’éparpillement des familles), je ne suis pas sûr que l’on voie, dans la Vila, se former des agrégations ou des chemins de visites parcourus indifféremment par tous les membres de la communauté.
Pourquoi la période de collecte serait-elle donc le moment privilégié du lien social ? D’abord parce que, comme nous l’avons constaté, le départ pour les castanhais s’accompagne d’une certaine effervescence dans les préparatifs et d’un grand enthousiasme – période de chasse, de pêche, vie au grand air, tranquillité, etc. Les familles, ainsi que les gendres et les belles-filles partagent un campement favorisant la promiscuité durant deux à trois mois d’affilées. Il n’est pas d’autre distraction que les conversations vespérales et les visites d’autres castanheiros en route vers leurs colocações plus éloignées. Ces visites sont perçues comme des distractions et nombre d’activités sont alors programmées en commun : partie de chasse, dîner ; les enfants sont ravis de partager leurs jeux avec des compagnons de leur âge ; les visiteurs se prêtent volontiers à un coup de main pour charger les noix ou pour coudre les sacs, réparer un moteur, rafistoler un abri, pour repartir généralement après avoir passé la nuit sur place.
L’autre fait essentiel est que c’est durant la montée puis la descente de la rivière Iratapuru que le fait de former communauté prend tout son sens. Le franchissement des sauts serait impossible si les équipages ne s’attendaient pas mutuellement, prêts à se porter secours. C’est ce qui permet à une famille réduite (parents jeunes, enfants en bas âge) d’accéder à leur colocação malgré la lourdeur des batelões : ils préviennent de leur départ, s’enquièrent des trajectoires des uns et des autres, et généralement attendent l’arrivée d’autres castanheiros dans les abris aménagés près des rapides et des sauts.
Conclusion: C'est l'activité même de collecte qui crée la solidarité communautaire, par les besoins qu'elle engendre, par la convivialité qu'elle autorise dans les campements en forêt. On ne peut donc appréhender les liens qui unissent les habitants de la RDS en ne s'intéressant qu'à la Vila de São Francisco et aux infrastructures qu'elle abrite. C'est paradoxalement au moment où les familles se dispersent dans leurs sites respectifs que sont ménagés des moments d'échanges, des visites ponctuelles, qui sont de fait indispensables à l'approvisionnement, au chargement et au transport de la récolte.
Mais tant François-Michel que moi-même constatons que les familles qui s'agrègent leurs saisonniers, ou qui connaissent une dynamique telle qu'elles ont des facilités pour en engager et payer les études de leurs enfants, deviennent en fin de compte des familles de patrons: ils tendent à contrôler toujours davantage les flux d'hommes, d'argent et de marchandise. "Retour par la fenêtre d'une réalité chassée par la porte", comme le disait Roberto Araujo...
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