Pourquoi observe-t-on un tel décalage entre les alertes des chercheurs, la prise de conscience collective, et la décision politique ? A deux reprises seulement, au cours des soixante dernières années, les scientifiques surent s'organiser pour influer sur les modes de gouvernance. En 1954, à l'UNESCO, une conférence internationale, à laquelle participèrent Métraux, Leiris et Lévi-Strauss, enterra officiellement le racisme scientifique. En 2007, le Groupe d'Experts Internationaux sur le Climat (GEIC) parvint à exposer, de manière consensuelle et publique, l'état catastrophique du réchauffement planétaire.
Soyons optimiste : aucune fatalité n'interdit aux chercheurs d'être entendus. Il nous manque cependant une interface institutionnalisée, qui permettraient à nos conclusions de pénétrer le débat public. Ce rôle incomberait aux diverses Académies ; elles ne jouent pas ce rôle.
Ma proposition, adressée à mes confrères, chercheurs en sciences humaines, sociales, naturelles et exactes, est que nous élaborions ensemble un protocole d'intervention dans le débat public. Nous chercherons à éviter le piège pointé par Bruno Latour, qui consisterait à nous draper dans nos certitudes en négligeant les particularités du débat démocratique, qui nécessite de prendre en compte d'autres groupes d'intérêt. Le lobbying, forme ultime de la démocratie ? Peut-être.
A l'intention du public non spécialisé, je commenterai certains événements récents, liés en particulier à la protection de l'environnement (ou à sa destruction), en mettant en évidence les réseaux de stéréotypes qui filtrent la réalité nue. J'exposerai aussi les faits marquants de mes missions de recherche en Amazonie, recherches qui portent sur l'implication des populations locales dans les projets de développement durable.
Mes sentiments à l'égard du développement durable sont plus que mitigés. A mon sens, une telle politique a pour principal mérite de sauver ce qui peut l'être en attendant qu'une réaction collective permette à l'espèce humaine de retrouver un équilibre parmi les autres espèces animales et végétales.
Une urgence : la manière la plus courante de penser les autres êtres vivants (en particulier ceux qui sont les plus proches de nous en termes d'organisation sociale et de développement cérébral) est en retard de trente ans. Il est inquiétant que nous en sachions davantage sur les loups depuis 1970, qu'au cours des dizaines de millénaires durant lesquels nos deux espèces se sont côtoyées. Il est surtout incroyable que les découvertes des éthologues, qui aboutissent à une véritable révolution copernicienne dans le domaine des formes de conscience, soient à ce point ignorées. Nous continuons à claironner "Sommes-nous seuls dans l'univers ?" comme si nous étions vraiment seuls sur la Terre. Pauvres de nous qui n'avons su trouver des interlocuteurs - ou qui les avons transformés en viande boucanée, en trophées de chasse, en huile de lampe et en pièces d'ivoire sculpté.
On comprend que Ptolémée ait été enseigné concurremment à Copernic durant des décennies : absence d'une "opinion publique", pas de grands médias, imprimerie balbutiante, pression de l'Eglise, ce que l'on voudra. Mais aujourd'hui ? En 1992, année du sommet de Rio où s'exprima enfin une préoccupation internationale à l'égard de l'environnement, Luc Ferry publiait son Nouvel ordre écologique, pamphlet essentiellement dirigé contre Michel Serres, dans la droite ligne de Descartes, Kant et Rousseau, comme si tous trois représentaient l'ultime stade des recherches, comme s'ils étaient les mieux qualifiés pour parler de la nature dans son état actuel, et cela, de la part de Ferry, en toute bonne foi... Entendre: foi chrétienne, foi positiviste également.
Depuis lors, les ouvrages puisant à ces idées, à peine remâchées, continuent de fleurir. Citons Philippe Breton, 2000, la Parole manipulée; Alain Roger, 1997, Court traité du paysage. Je reviendrai sur ces ouvrages pour les commenter. Pourquoi ceux-là ? Parce qu'ils me sont tombés sous la main.
Bonjour Florent
J'adore, c'est trop bien ce que tu écris j'ai le profond sentiment que tu devrai coatcher Wayki Village pour essayer modestement qu'une minuscule entreprise que tu connais puisse tendre vers tes réflexions
A bientôt Florent
Bruno
Rédigé par : SOLIGON | dimanche 02 déc 2007 à 02:06