24 août retour hier à Oiapoque.
Logement de l’IBAMA. Je lave du linge, devenu bleu car j’ai lavé mon hamac en même temps.
Remontrances à Josinei, Indien karipuna qui a un contrat temporaire avec l’IBAMA, qui laisse le logement dans un état déplorable : farine de manioc partout, cotons-tiges par terre, assiettes non lavées, chasse d’eau non tirée… Il a énormément grossi et tousse de manière inquiétante.
La ville, boueuse pendant les pluies, est maintenant poussiéreuse. Seule la rue principale est goudronnée. De ci, de là, des canalisations fuient en toute tranquillité. Environ vingt mille habitants vivent ici, de petit commerce, de "bicos" (petits jobs), de prostitution. La plupart viennent du Para (ville de Santarém) et du Maranhão. La dynamique économique vient des échanges avec St Georges, en Guyane française. Le déséquilibre économique (coût de la vie et de la main d'oeuvre supérieur à St Georges, protection sociale et santé inférieures à Oiapoque) est compensé par un équilibre social (presque tous les habitants, et surtout les Indiens, ont des liens de compérage ou de sang des deux côtés du fleuve).
Concernant ce blog, je me suis écarté du projet initial qui était une réflexion sur les enjeux du développement durable.
Redresser la barre : il me semble qu’il faut réfléchir à la question de l’impasse – ou non – du maintien d’activités traditionnelles, revalorisées de manière à favoriser le développement. Tout le monde n’avait d’ailleurs que ce mot à la bouche : le « développement », pourquoi le gouvernement ne développe pas la Guyane…
Or le développement, pour l’appeler ainsi, est un état de civilisation, et pas uniquement un seuil technologique ou technique. Je m’explique : la distribution de tronçonneuse facilite certainement la tâche de charpentiers locaux et d’artisans en améliorant leur productivité. Mais cette amélioration n’est viable qu’une fois tous les enjeux soigneusement pesés : contrôle des naissances, connaissance technique nécessaire à l’entretien de la tronçonneuse, autorégulation du nombre d’arbres abattus, pour éviter destruction, etc… Cela est valable pour toute amélioration technique. Je repense à tous les tracteurs en rade à Ouanary, ou à toutes les lumières allumées de nuit dans les villages : l’absence de conscience collective, l’ignorance du circuit des produits et des biens, tout cela provoque un gâchis, un mépris pour tout ce qui est supposé améliorer le quotidien.
L’autre question est celle de la politique de Lula, qui après une présidence tournée vers les questions environnementales, semble estimer en avoir assez fait et prend le parti des lobbies physiocrates : investissement dans les centrales hydroélectriques, dans l’éthanol, etc. Posture tiers-mondiste absolument odieuse. Il se coule dans le discours anti-protectionniste, s’allie à la China, accuse l’Europe d’étouffer la production agricole brésilienne et le paysannat, quand les seuls qui soient en mesure d’exporter sont les mégaproducteurs de soja et d’agrumes.
Les restrictions à l’importation proposées par l’Union Européenne me paraissent en mesure de freiner la destruction du Brésil par le bœuf et par le soja : il s’agit de considérer l’impact environnemental d’un produit et d’adapter le montant des taxes diverses en fonction de cet impact. Cela seul semble en mesure d’imposer des techniques de production vertueuses.
Le soir, dîner avec Alexandre Goulard et Fernando Bittencourt de la TNC (The Nature Conservancy, ONG environnementaliste américaine). Ils sont ici pour voir s’il est possible de redresser les finances de l’Association des Peuples Indigènes de l'Oyapock (APIO, créée en 1992). Il y a deux problèmes majeurs : l’APIO est endettée au point qu’un ex-employé, furieux, a obtenu le blocage de son compte : tout ce qui entre lui est versé à titre d’indemnisation. Il y a aussi beaucoup d’ardoises chez différents commerçants, combustible, etc. Par ailleurs, il y a eu défaut de présentation des comptes: si j’ai bien compris, l’entreprise à qui l’APIO sous-traitait la comptabilité a fait défaut. C’est là le principal obstacle juridique à la récupération de l’association.
Notre dîner au resto Tempero Nativo a assez mal commencé : Alexandre m’a irrité en m’appelant « francês » et en plaisantant à la paulista tout au long de chemin. Tous deux se sont définis comme « indigénistes environnementalistes» - j’ai découvert que Fernando Bittencourt était un ami de François-Michel Le Tourneau, et qu’il avait travaillé 11 ans à la CCPY (Commission Pro-Yanomami). Alexandre a quant à lui fait ses premières armes dans l’Acre, Alto Juruá, dans le projet piloté par Manuela Carneiro da Cunha. Il est formé en économie et sciences sociales. Leur idée est de sous-traiter au Iepé - Institut d'Etudes et de Recherches sur l'Education Indigène, ONG indigéniste dirigée par Dominique Gallois - une série d’ateliers (oficinas) sur le développement durable, dont Chico Paes, actuel assesseur du Musée, aurait la responsabilité. Ils souhaiteraient aussi voir adopter un statut spécial pour les agents environnementaux indigènes, qui sont actuellement recrutés sur la base de contrats ou de bourses d’extensão. Les agents modèles sont les Kaxinawá. L’obstacle à cette proposition est que tout poste dans la fonction publique doit passer par un concours ouvert à tous, indiens comme non-indiens. Il y a donc une astuce juridique à trouver pour que des agents locaux puissent rester sur place.
Je leur ai, entre deux bières, présenté ma position, leur ai expliqué que j’étais, moi, un environnementaliste. J'ai passé en revue les différentes tentations que pouvaient connaître les Indiens de l'Oyapock, du fait principalement de la proximité de la Guyane française où le commerce de viande de brousse et d’œufs de tortues est légal. Je leur ai dit également mon inquiétude face à la multiplication des projets dont la finalité n’est pas la réussite mais la simple mise en place. Deux projets de la TNC sont en rades: le projet "andiroba" (création d'une coopérative d'extraction d'huile de Carapa Guianensis) et le projet "tracaja" (Podocnemys Unifilis, une tortue aquatique dont les effectifs sont en chute libre. Un biologiste de la TNC, Fabio Maffei, doit revenir ces jours-ci pour relancer le projet d'écloserie). Mais j’ai trop parlé peut-être car du coup ils se sont sentis inhibés. Si Fernando m’a semblé approuver ce que j’expliquais, Alexandre, lui, a noyé le poisson, rétorquant qu’ils en étaient à une phase de recommencement et de concertation générale, donc pas en phase de décisions.
Je me sens un peu gêné face à eux. Je ne suis pas sûr qu'une fusion progressive des activités de la TNC dans celles du Iepé soit une très bonne chose, car on aboutit à une confusion des genres peut-être dommageable à l'un comme à l'autre aspect. Ce n'est pas une énième officine sur les catégories indigènes qui remettra en cause ce simple fait: les Indiens que j'ai vus chasser ici tuent autant de gibier qu'ils ont de cartouches.
Je sors de là abattu. Et je ne parviens pas à déterminer si ma vision pessimiste de ces projets est due à mon état général ou si, vraiment, je perçois quelque chose qui serait de l'ordre du brassage de vent généralisé.
Rédigé par : |