La maison d'Alardicio est la plus grande du village: 12 mètres sur 8, deux étages, le premier en brique, le deuxième en bois. Les plafonds sont si hauts que l'on se croirait dans un loft.
Alardicio est professeur, fils de Dona Elsa, la cantinière. Il a fait son service militaire (les Indiens en sont dispensés, mais ils peuvent se porter volontaire) ce qui le rend plus jovial et communicatif que la plupart des hommes de son âge.
Comme je m'extasie devant la vaste pièce principale, Alardicio confesse que sa maison a suscité des jalousies: elle est plus grande même que celle du cacique Evandro, bâtie sur le même modèle (on peut voir cette maison à droite sur la photo:)
Mais, dit-il, c'était mon choix que de créer une "area de lazer" - un espace convivial pour recevoir les amis autour d'un churrasco, un barbecue. Il a poussé très loin le concept: sa maison n'est pas reliée à l'eau courante, mais en prévision de ce jour, il a fait construire deux salles de bain, pour homme et pour femme.
Sa préoccupation du moment est précisément le churrasco qu'il compte organiser le 7 septembre, fête de l'Indépendance, pour lequel l'école se mobilise (défilés, hymne national, etc.). Alardicio interroge un pilote de la Fondation de la Santé pour qu'il lui rappelle le nom des pièces de boeuf que l'on sert traditionnellement chez les civilizados: picanha, filé, alcatra. Le pilote explique que dans telle boucherie d'Oiapoque, le kilo est vendu 6 reais (2.50 euros). A ce stade j'interviens: mon cher Alardicio, en tant qu'indien tu dois être sensible à la déforestation. Or, si tu trouves de la viande de boeuf à ce prix-là, tu peux être sûr que l'éleveur n'a pas respecté la réserve légale (préservation de 80% de la propriété). La viande est peu chère parce que la terre ne lui a rien coûté.
Alardicio ouvre de grands yeux, il appelle ses amis pour venir m'écouter. J'explique en détail le processus par lequel on convertit de la forêt primaire en pâturage, puis en rien. "Je ne savais pas cela!" "Il faut absolument que X et Y entendent cela!". On se réunit, on m'écoute, on me presse de questions.
Comme la vodka a déjà pas mal circulé, je ne mesure pas exactement l'impact de mes explications. Une chose est sûre: le 7 septembre, Alardicio n'a pas organisé de churrasco. Comme je lui demandais pourquoi, il me répond, dépité, que la viande était trop chère: 12 reais le kilo.
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