27 août. Lundi
Réunion au Musée, à laquelle cette fois j’ai été convié. Il s’agit de mettre à plat les différents projets en suspens qui détermineront l’avenir de la région. Les particpants sont l’IBAMA (Marcos Cunha), la TNC (Alexandre Goulard et Fernando Bittencourt), le SEPI (Secrétariat d’Etat aux Peuples Indigènes, Vitória dos Santos) l’Iepé (représenté par Chico Paes), la Compagnie Eletronorte (représentée par l’anthropologue Ana Lange, chargée de négocier les compensations pour le passage de la ligne à haute tension sur la terre indigène), l’APIO (Kléber dos Santos) et enfin, la FUNAI (représentée par Estela dos Santos, administratrice, et Domingos Santa Rosa, ex-administrateur de la Funai).
De fait, tous les représentants indigènes sont Karipuna (Domingos est Galibi-Marworno de naissance mais vit depuis 25 ans à Manga, village karipuna) et trois appartiennent à la même famille.
La réunion portait officiellement sur le zonage de la terre indigène (c’est-à-dire la délimitation de zones d’usages spécifiques concernant la chasse, la pêche, l’extraction de bois), officieusement sur l’avenir de l’APIO, dont le destin fut évoqué hier, lors d’une réunion à huis-clos.
Les négociations avec l’Electronorte sont menées par une commission ad hoc, la Comissao dos Povos Indigenas do Oiapoque, dont sont membres Paulo Silva et Macsoara Narciso, pour les Galibi Marworno, Luciano dos Santos pour les Karipuna (j’oublie qui est le représentant Palikur). L’idée est de demander 10 millions à titre d’indemnités, déposés sur un compte qui rendrait 150 000 réaux d’intérêt mensuel, de quoi financer des projets et créer une bourse d’étude. Par ailleurs, l’Electronorte s’engagerait à racheter certaines fazendas des alentours, dont celle de Taperabu, dont la vocation serait de rester des fazendas.
Enfin, le projet qui mobilise toutes les énergies consisterait à amplifier la Terre Indigène en reliant la TI Uaçá au Parc Tumucumaque : c’est le projet Uaça III. (Voir document annexé Téléchargement corredor20do20amapa.pdf : le projet Uaçá III couvrirait l’espace vide entre la pointe orientale du Parc Tumucumaque et la partie occidentale de la TI Uaçá, complétant ainsi le « couloir de biodiversité d’Amazonie » qui s’étend jusqu’au Pérou :
La situation des associations indigènes est de grande fragilité, tant AGM (Association Galibi-Marworno) qu’APIO (les autres n’ont pas de mouvement financier), à cause de la faiblesse de la gestion. L’idée de la TNC est de contracter un consultant pour évaluer la situation de l’APIO, dont il faut sauver le capital symbolique, afin que l’adhésion de la base ressuscite. Il faut cependant, dit Fernando, que l’APIO se réforme en profondeur si l’on souhaite que quelqu’un investisse à nouveau. Chico intervient : pourquoi faut-il sauver l’APIO ? Parce qu’elle va fêter ses quinze ans, parce qu’elle a beaucoup fait pour les communautés, et elle est la seule qui soit représentative de l’ensemble des communautés indigènes. Estela affirme que c’est la responsabilité des peuples indigènes que de perpétuer une même association plutôt que de l’abandonner pour en créer une autre. Important de montrer que le contrôle social fonctionne (cette expression reviendra souvent, elle ne sera pas explicitée avant la fin de la réunion). L’APIO n’est pas Kléber, dit-elle, elle appartient à l’ensemble des Peuples Indigènes, et celui qui en prend la tête n’est que leur représentant.
Alexandre aborde l’ordre du jour : compensation de l’Eletronorte, mesures visant à minimiser l’impact du goudronnage de la route nationale BR 156 (déplacement des villages, créations de postes de contrôle, création de dispensaires équipés dans les principaux villages).
Il propose d’aborder ces points en utilisant le schéma FOFA : Fortalezas/ Oportunidades/Fraquezas/Ameaças (Forces/Opportunités/Faiblesses/Menaces):
Parmi les forces, la qualité de l’environnement, la capacité d’organisation, le diagnostic socio-environnemental déjà fait, les partenariats consolidés avec l’IBAMA, la Police Fédérale, l’Electronorte, la FUNAI, le IEPE, le CIMI (Conseil indigéniste missionnaire) et la Paroisse d’Oiapoque.
Parmi les opportunités: des agents environnementaux indigènes déjà formés, fort potentiel de ressources naturelles propres à êtres exploitées durablement.
Parmi les faiblesses : l’absence de contrôle social (c’est-à-dire le faible investissement des communautés, qui ne suivent que de loin ces projets), la fragilité institutionnelle des associations indigènes, le manque de personnel formé à la gestion et au contrôle des comptes, le manque de communication entre les différentes communautés.
Les menaces, enfin : la Route Nationale, la ligne à haute tension, les fazendas, la croissance urbaine.
Marcos fait observer que l’arrivée de l’électricité 24h/24 peut transformer la pression environnementale à cause de la possibilité de congeler du poisson. Craint aussi (avec Domingos) que l’accès permanent à la télévision modifie les comportements et l’activité. Estela observe que Manga, seul village alimenté en électricité 24h/24, a maintenant un rythme de vie urbain. Domingos Santa Rosa déplore cette évolution. Il trouve que la jeunesse se décaractérise, ne s’investit pas dans la vie collective, ne cherche que le confort du Hi-Fi et du DVD. Il y a gaspillage d’électricité, désintérêt pour les réunions ; il cite le cas d’un cacique qui voulait débrancher tout le village et ne laisser de lumière que dans la salle de réunion pour forcer les conseillers à y participer.
Concernant les routes secondaires d’accès à la BR156 : les Palikur ont dit à Marcio Meira, lors de sa visite, « même si vous vous opposez au projet de liaison, nous l’ouvrirons quand même – ils ont déjà ouvert un layon d’une trentaine de mètres de large, sur une distance de 36 km.
Concernant la gestion des tortues et des caïmans noirs (dont l’explosion démographique menace la population humaine), toujours Domingos : « un vieux qui ne sait pas lire, ne peut absorber de nouvelles informations, ne va pas savoir préserver, il enseignera à son fils les lieux et techniques de chasse qu’il a toujours pratiqués ». Pour lui, les professeurs et d’autres qui ont les idées plus larges doivent s’investir davantage. Beaucoup sont toutefois hostiles à l’idée de se restreindre. Ils craignent que le zonage soit une manière de les contrôler.
La question de la superposition avec le Parc National du Cap Orange n’est toujours pas réglée, d’où la présence de Marcos (les zones en débat sont indiquées en rouge). Marcos dit que la résolution de la superposition pourrait satisfaire tout le monde car c’est l’IBAMA qui contrôle, en saison sèche, l’accès au lac Maruani depuis le fleuve Cassiporé (principale voie d’accès à l’intérieur du Parc National), évitant ainsi les intrusions.
Estela suggère que soit officialisée (ai-je bien compris ?) l’accès de touristes payant pour chasser et pêcher, qui sont généralement des amis d’amis. Malentendu exposé par Estela : l’IBAMA souhaite protéger le lac Maruani à cause de son potentiel touristique, mais les Indiens entendent par « touriste » justement ces amis d’amis (conseillers municipaux, membres de la Police Militaire, officiers et sous officiers de l’armée) qui viennent pour chasser et pêcher dans la TI en compagnie d’un Indien.
Selon Marcos et Chico, la classification de l’aire pressentie comme Uaça III en Forêt d’Etat vient buter sur l’impossibilité qu’a l’Etat d’Amapá d’exercer un contrôle réel sur ces vastes territoires. On ne peut contrôler l’avancée simultanée de l’eucalyptus, des exploitants forestiers et miniers. Un Groupe Technique (mission d’expertise) sera bientôt mis en place pour étudier l’expansion de la TI vers l’Ouest pour former Uaça III. La FUNAI sollicite la TNC pour financer les consultants (elle payera, quant à elle, les salaires journaliers, la nourriture et le combustible pour une expédition d’un mois). Chico Paes est pressenti pour l’expertise antrhopologique. L’objectif est de blinder le nord de l’Etat contre l’avancée du front pionnier. La TNC pourrait également financer le recrutement d’un technicien environnemental. Il est demandé à l’IBAMA de fournir un hélicoptère pour des missions de reconnaissance et d’appui.
Je fais observer que du coup la ville d’Oiapoque sera entièrement enclavée dans la Terre Indigène, ce qui peut susciter des problèmes de viabilité sociale et économique de la ville. Chico m’oppose qu’Oiapoque ne se soutient qu’à cause de l’orpaillage, qu’elle n’a pas vocation à devenir une frontière agricole. Ana Lange affirme que, de toute façon, seul le tourisme amené par le futur pont vers la Guyane rendra l’économie locale viable. Je me demande bien d’où elle tire cette certitude. Après la pause-déjeuner, Ana Lange profite de l’absence de Marcos Cunha pour déclarer, devant les représentants indigènes, qu’il n’est pas question de négocier les superpositions avec l’IBAMA, car il suffit d’invoquer le principe d’antériorité du droit indigène inscrit dans la Constitution de 1988.
Sur ce, je quitte la réunion pour aller faire une sieste imméritée.
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