25 octobre Je suis allé voir Carol à l'IBAMA et nous avons discuté de mon futur article, je lui ai dit que je n’étais pas venu ici pour me faire des amis mais pour atteindre à une forme de vérité. Elle s’en est offusquée.
Je lui ai dit que probablement nous ne nous reverrions pas, elle m’a dit « mais si ! » et m’a tourné le dos.
26 octobre, 6h30, vendredi
Le tube fluorescent de l’alojamento vit ses derniers instants. Un petit chat miaule sans cesse depuis trois jours, sa mère l’a abandonné.
Dîner chez Rona hier, picanha dure comme du cuir, Rona lui-même était au service par manque de personnel (trois employés ont la malaria et les autres n'osent plus venir). Il m’a demandé si je voudrais faire une fête de despedida, mais je lui ai dit que si c’était le cas, personne ne s’y présenterait.
17h10. Quasiment pas quitté l’alojamento de la journée. Ce matin, après que Kelly m’a annoncé que Marcos ne reviendrait pas, j’ai été terrassé par une vague de tristesse.
Mon attitude défie la gentillesse que l’on pourrait me montrer. Pour ajouter à ma peine j’ai lu le CV de M. dans mon ordinateur, j’ai lu les titres et résumés de ses articles, rédigés de sa main, ses résultats aux différents concours qu’elle a passé, sa capacité à mener tant d’activités différentes, confrontés à mes propres faiblesses, limitations: et voilà comment on s'enfonce un peu plus, à peu de frais.
Plusieurs jours de solitude devant moi. Si Rona ne m’avait un peu remonté le moral en me racontant ses histoires d'orpaillage, je me serais fait sauter le caisson. Je ne comprends pas à quoi riment les démarches que j’ai entreprises ici. Je ressemble à l’homme du souterrain de Dostoïevski qui s’invite à une soirée d’anniversaire pour insulter les invités. Je ne sais si mon organisme aura la force de réagir, je ne sais si le nombre de cigarettes que je fume me laisseront le temps de recommencer, de commencer quelque chose de nouveau. Je me suis fermé les terrains brésiliens, je crois même que je viens d’enterrer en moi le Brésil.
Dimanche, 28 octobre, alojamento
7h45. Travaillé toute la matinée d’hier à mon rapport pour l’IBAMA. Rien fait de spécial, parlé à personne sauf une courte promenade avec le jeune Palikur Hélio Labonté. Je devais aider Rona avec ses essaims d’abeilles mais cela ne s’est pas fait.
Mon malaise vient de la perception de notre fameuse victoire sur la nature. Je revois sans cesse les aigrettes, les hérons, battant des ailes, tentant des demi-tours, se cognant sur les troncs, dans leur tentative de s’éloigner de la rive et du bruit de notre moteur. Passage triomphal des hommes, l’hélice du bateau déchirant les poissons, les tortues. Encore n’avions-nous pas de fusils.
15h00 Ces quelques jours de repos, quasiment cloîtré dans l’alojamento, me font un bien fou. Je mets en marche l’air conditionné et je reste tranquille, écrivant, lisant, regardant des âneries à la télé. Dans trois jours je serai en Guyane et si Dieu le veut, dans l’avion pour Paris. Je ne sais ce qui m’attend, je me rappelle juste qu’avant mon départ je me bourrais de Lexomil.
29 octobre, lundi, 13h30
Retour de chez Rona (Ronilson Lima da Silva) : manejo de abelhas (italianas africanizadas – italiennes venues avec Jésuites, africaines fruit d’une expérience ratée en 1952). J’enfumais l’essaim tandis que le jeune Adriano éliminait les faux-bourdons. Rona me paiera en miel pur !
A présent je dois finir le rapport pour partir après-demain.
J’allais oublier mon étrange conversation avec Hélio, fils de Manoel Labonté, hier chez Rona. Il voulait me parler en privé, en fait pour savoir ce qui s’était passé à Kumarumã. M’a confirmé que l’ambiance là-bas est horrible, qu’il a assisté à une scène où quelqu'un a accusé Jaizinho de l’avoir frappé, ce qui s’est terminé en pugilat pour lequel on a voulu l’envoyer, lui Hélio, faire une faxina… Il m’a raconté l'éloignement de Chico du musée. M’a confirmé que le personnel du musée ne m’aimait pas (est-ce depuis l’expo Cap Orange à Macapá ?). M’a expliqué que Chico avait interdit à Jaizinho de sortir de la salle quand je lui avais demandé de venir me parler – me laissant ainsi poireauter dehors. M’a dit que Nilo (vice chef de poste de Kumené) manoeuvrait en permanence pour placer ses proches. Et finalement, m’a dit que je ne devais pas abandonner ma recherche, si importante pour eux – il pensait que j’étais géographe. J’étais touché de sa sollicitude. Je n’en peux plus de cette atmosphère insupportable. S’il n’y avait Rona et la vendeuse de Midiã, à qui j’ai fait mes adieux aujourd’hui, il ne me resterait pas grand-chose.
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