Mardi, 23 octobre, Oiapoque
8h30. Malade toute la nuit, empoisonnement ou je ne sais quoi. Le voyage du retour s’est bien passé, après un sermon à Zecao (José Narciso) qui s’était pris une cuite d’alcool à brûler sur le flutuante. Au point où j’en suis d’hostilité, je n’ai plus à me gêner. Je prends mes aises au milieu de la méfiance générale.
Exemple : j’attends Antonio sur la place, hier soir. Comme il ne vient pas, et que je sais qu’il est avec Simone Vidal et Chico, j’appelle Simone pour savoir où ils sont. Je ne suis pas sûr qu’elle a compris qui j’étais, mais si oui, voici qu’elle me ment, me dit qu’elle est déjà rentrée, qu’Antonio est parti. Je descends la rue et voici que je les rencontre tous les trois, Antonio allant devant. Chico couvre Simone de son corps, ils discutent à quelques mètres sans nous saluer, puis s’engouffrent dans un taxi. Scènes indéchiffrables ; ici, tout le monde a ses secrets, ils semblent tous travailler dans des organes différents (FUNAI, Musée, Iepé) mais finalement vont tous dans la même direction. Je ne saurais dire laquelle. Et moi je suis le méchant-dont-on-ne-sait-pas-très-bien-ce-qu’il-fait-là, je suppose.
13h30 : Rona me dit : bien sûr qu’ils t’évitent et qu’ils ont quelque chose à cacher, s’ils ont cette attitude envers toi. Or comme c’est moi qui lui raconte les scènes, elles sont déjà imprégnées de ma propre paranoïa.
24 octobre, mercredi. Oiapoque
7h30. Tous mes défauts auront surgi au cours de ce voyage, m’ont entouré et soutenu jusqu’à m’étouffer, comme un figuier étrangleur. Je ne me sens pas du tout apte à rentrer.
15h30 voir ce que dit Nilo à propos de l’échec assoc palikur : Zildo le cacique insiste pour que ce soit personnes sans poste et fonction qui assume direction, résultat : personnes incapables car manque de personnes capacitées. En fait extrêmement révélateur de l’accaparement des postes et fonctions par les lettrés : ils entretiennent sciemment le cercle vicieux qui leur garantit toujours plus de postes et de pouvoirs à mesure que se multiplient les institutions, associations et autres. A la première oficina, il n’y avait qu’un agent ambiental palikur, Henrique, qui est cacique de Tauari. Les deux autres étaient Zildo, cacique Kumené, et Gilberto, agent de santé, qui a déjà participé au cours de formation (GTZ) à Imperatriz, Maranhao, en compagnie de Simone Vidal et de sa sœur Sandra. Ces deux derniers ne sont pas agentes ambientais il y en a pourtant trois à Kumené, mais ils ont été négligés au profit de ceux qui ont déjà toutes les clés entre les mains. Pourquoi les organisateurs de séminaires ont-ils intérêt à laisser perdurer le système ? Parce que l’intelligentsia qu’ils ont créée est devenue leur interlocuteur: au final nous assistons surtout à la création d’un terrain d’entente que nul n’a intérêt à dénoncer. Ma mise à l’écart, vue sous cet angle, apparaît comme inéluctable : ne prétendant pas travailler au nom d’un idéal commun, remettant en cause, par mes questions, l’évidence du mécanisme, je deviens un importun.
Voir aussi la perméabilité du milieu : Evandro, cacique de Kumarumã, va vraisemblablement passer au Musée, Chico s’appuie sur la FUNAI (majoritairement karipuna) pour ne pas être évincé du musée (majoritairement Galibi Marworno). Au final il y a lutte entre familles plutôt qu’entre ethnies : famille dos Santos (Karipuna) contre famille dos Santos (GM) et Silva (GM). Lutte classique entre clans, tant indiens que blancs sont invités à s’affilier à tel ou tel réseau.
16h30 Conversation avec Chico. Il me confirme que Simone s’est dissimulée derrière lui com vergonha de m’avoir menti au téléphone. Le secret du sacré : c’est que le sacré au fond peut n’être qu’un vide, l’important étant le secret pour écarter et unir. Chico se sent à merveille dans cet univers : il voudrait exercer sur moi un pouvoir qui viendrait de ce qu’il pourrait –ou non – distiller des informations, en me titillant : une belle recherche, il y a beaucoup de choses à découvrir. Il se moque de moi et de mon ingénuité. Puis visite à la FUNAI : Domingos, l'ancien administrateur, reparle de sa préoccupation devant la destruction provoquée par les Indiens, balançant entre « nao têm culpa » et « nao querem saber ». Pour lui il faut expliquer, trouver des alternatives, mais il me dit avoir passé 18 ans no Manga sans éveiller les consciences (peu après me dit que lui-même n’avait pas conscience, vivait tranquillement, dormait bien à l’époque, chegou a pesar 95 kg). Pour moi les Indiens ont subi un lavage de cerveau : on leur a tellement dit qu’ils respectaient la nature qu’ils s’en sont persuadé, et qu’à présent ils la détruisent pénétrés de respect pour elle, à la différence des blancs, irrespectueux. Le problème pour la nature est qu’être détruite avec ou sans respect ne change rien pour elle. Cela change qq chose uniquement pour les anthropologues indigénistes
17h, je viens d’annoncer ma décision de stopper ma recherche à Estela, l'administratrice de la FUNAI. Elle me raconte qu’à Kumarumã les choses se calment. Jessica (petite-fille de Paulo) est à Manga, en arrivant là-bas (à midi) s’est déclenchée une nouvelle crise qui a touché simultanément quatre autres personnes, restées là-bas. Selon elle, c’est Paulo qui assume le leadership effectif, au point qu’Evandro s’en plaignait – la dernière de Paulo : chercher à évincer Roberto le directeur de l’école et frère de Coaraci pour y placer sa propre fille.
Elle me dit aussi qu’il est émouvant de voir à quel point les adolescents se sont pris en main, et ont pris en charge leurs camarades souffrants – je lui ai rétorqué que ce pouvait aussi être le signe d’une profonde défiance vis-à-vis des adultes.
Elle est restée sans voix quand je lui ai annoncé ma décision, mais j’ai déjà remarqué que ce qui ne les concerne pas directement ne parvient pas à pénétrer leur esprit (ex, si j’essaye de raconter à Domingos ma pneumonie). (En y réfléchissant à posteriori, je me demande s’il n’y a pas lien entre crises de ces adolescents et question du sida évoquée par Manoel Labonté. L’irruption d’une nouvelle maladie a toujours été ferment de changement, que ce soit rougeole en 55, ou étrange maladoe décrite par Labonté dans années 40, ou celle que décrit Gilberto no Flecha fin années 80)
Sortant de là je croise Chico au marché Midiã, dégustant un bâtonnet glacé, main sur la hanche, me regardant avec un air de défi. Et je suis obligé de me demander la légitimité de mon attitude, quand les gens d’ici luttent simplement pour leur survie. Chico est assesseur du musée, il fait un travail que je ne puis évaluer mais il est certain que le musée, comme centre d’activité, fonctionne, reçoit des séminaires, des conférences, des visiteurs, etc. Je m'interroge, qui sait, simplement parce qu’on a cherché à me tenir à l’écart.
Cette réserve étant posée, il est clair que le système ne fonctionne pas exactement de manière transparente. Les lettrés cumulent les fonctions et les formations, avec cette excuse que nul autre qu’eux-mêmes n’a la capacité d’en tirer parti et de donner le « retorno » à la communauté. Cet entonnoir formatif se perpétue par crainte de voir le partenariat dénoncé, menace que les indiens brandissent de manière récurrente. Les indiens d’ailleurs cherchent à multiplier les appuis de manière à pouvoir se retourner, ou à contrer l’influence d’un clan, d’une famille ou d’une ethnie adverse : voir Felizardo et Paulo s’ouvrant les portes du gouverneur Goes grâce à l’appui d’un député de l’Etat (estadual) pour contourner le pouvoir de Vitoria, c'est-à-dire de l’APIO, etc.
A présent nous avons dépassé la phase « moteurs » et « voadeiras » - et motorista de voadeira (qui a suivi celle de « vigilante » et « merendeira ») pour entrer dans la phase capacitation : la première vague fut celle des profs et agents de santé, la nouvelle est celle de gestionnaires et administrateurs d’organismes créés pour cela, c'est-à-dire l’AGM, le Musée, la CPIO (deux GM, deux Karip ??), l’OPIMO, l’AMIM… Et bien sûr la FUNAI. L’assoc palikur a échoué car n’ont pas su se mettre d’accord sur qui serait nommé aux postes de direction.
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