Vendredi cinq octobre, Kumarumã
7h30. Antônio et Maciel sont allés récolter des œufs à la fazenda Soraimon. Hier soir, avec Maciel, nous sommes allés rendre visite au cacique José Luís. En chemin, Maciel Filipe répète le stéréotype appris chez les crentes : « religiao nao salva ninguém, é a fé que salva », Manière pour les crentes d’expliquer la multiplication des églises comme un errement de la foi, ou au contraire de justifier la fondation de leur propre église. Il m’apprend ensuite qu’il a dix enfants, qu’il gagne 3000 reais par mois entre le service à la TNC, la boulangerie, la construction et la scierie (il « mexe com motoserra » - je suppose qu’il en a une). Son père est de Sta Isabel, sa mère du Bailique.
Vers 20h30, nous sommes arrivés chez José Luis, il discutait avec son frère le pasteur. Le pasteur nous explique comment sa foi l’a guéri. Vivait à St Georges, a éprouvé douleur violente au mollet, resté sans bouger pdt quinze jours. Ses sœurs voulaient quérir un pajé, a refusé : je suis fils de Dieu, je ne veux être guéri que par Dieu, ou mourir par lui. On fait appel à pasteur Palikur : récite des prières en palikur (détail à explorer…Un pasteur pajé, pasteur fonctionnant sur mode pajelança ?) puis lui attache plusieurs lien à hauteur des articulations. On le raille : serait-ce que dieu le punit d’avoir attaché tant de caïmans ? Enfin se rend vaille que vaille à Oiapoque, entre à l’IURD. Le pasteur et son orador prient, enfin expulse le démon en oignant son mollet : guéri. Pour savoir ce qui lui est arrivé, il va voir la pajé Lucília : celle-ci voit le problème de sa jambe, lui annonce que ce sont deux hommes et une femme de Kumarumã qui lui ont jeté le sort. Lui demande s’il veut qu’elle les tue ; tu peux vraiment les tuer ? Tu peux les aligner tous les trois devant moi ? Si c’est le cas, je te paierai. Elle lui assure que oui – finalement, il s’esclaffe : bien sûr je plaisantais.
Noter qu’il ne supportait aucune interruption dans son histoire. Il a fini par retourner voir la pajé, non pour être guéri, insiste-t-il, mais pour qu’elle lui raconte tous les détails de sa vie.
Enfin nous nous retrouvons seuls avec le cacique. Nous avions déjà attendu en vain l’arrivée d’Aniká, qui avait prévenu : je viendrai ou à midi, ou à 18h – au-delà, ne m’attendez que le lendemain. Pourquoi tarde-t-il alors qu’il était à 6h hier matin à Encruzo ? Parce que, m’explique Paulo sur le ponton, Aniká se déplace en famille, il aime à s’arrêter pour pêcher et camper sur les rives. Ses karuãna aiment le poisson. D’après les caciques, Aniká demande 2000 réaux, probablement y aura-t-il collecte. Aniká a annoncé que son traitement serait collectif et durerait une nuit, durant laquelle lui et son paliká (il a choisi Ludivaldo, fils de Lucivaldo, et père d’une petite possédée) devront boire 5 litres de cachaça en parcourant le village d’une pointe à l’autre, après le coucher du soleil. Il a réclamé couvre-feu. Il a annoncé qu’il y avait beaucoup d’esprits mauvais dans la communauté, cela trouble José Luís, qui ne sait à quel saint se vouer. Noter que cette crise survient alors que la communauté est minée de l’intérieur par la question des gangs, des vols et des violences, on parle même de prostitution. Y a-t-il une forme de résolution collective sous forme de crises individualisées ? A cela s’ajoute le désir manifesté par famille de Felizardo de se réinstaller à Suraimon. Scission mal vécue ?
Conversation avec José Luis. Les fièvres se sont répandues progressivement : petite-fille du pajé d’abord, qui se révèle impuissant : il ne voit dans ses chants qu’un homme au buste de fauve. Les symptômes sont effrayants : la petite parfois voit le dono qui approche : voilà le pajé, voilà le Dono annonce-t-elle, qd c’est le cas, elle repose doucement et tremble. Quand c’est un karuãna qui approche, elle se métamorphose : se jette sur le sol et retombe à l’extrémité de ses ongles en rugissant si c’est un jaguar.
Quand la maladie s’est répandue, Firmino a prétendu qu’il savait qui avait jeté le sort. La famille de Paulo et de Lucivaldo ont décidé de le punir. José Luís a alors convoqué réunion ; il a prévenu les autres : je vais convoquer les pajé, et si quelque chose transparaît je vous ferai signe ; il ne faudra pas trembler ou hésiter, il faudra se jeter sur lui, l’attacher, l’envoyer à Oiapoque, de là à Macapá, de là à Belém, de là encore plus loin pour qu’il ne remette plus les pieds ici.
On annonce Leven, José Luís l’interroge. Leven est bouleversé, il tremble, annonce qu’il est « à une seconde de se chier dessus ». Manifestement ne comprend pas ce qui se passe. On annonce Firmino. José Luis élève la voix et prévient : écoutez-moi les pajé, la communauté vous autorise à faire vos remèdes, à chanter et à recevoir vos esprits. Mais je ne veux pas entendre d’accusations contre Untel ou Untel (manifestement il y a un problème politique grave et la crainte d’une explosion sociale ; les pajés ne seraient pas ignorés, comme je le pensais, ils seraient contenus, contrôlés. NB il y a quinze jours environ, le pajé Uraté est mort). Firmino refuse de dire le nom du malfaisant au nom de la sécurité de sa propre famille, et on finit par le relâcher.
Les symptômes les plus troublants, dit JL, sont la communication entre les malades. A présent sept maisons sont atteintes. Chez Careco (conseiller Raimundo) ce sont deux personnes, Raimundo et son fils de criaçao Milton). Ce qui survient chez l’un arrive chez l’autre. Ils annoncent les horaires des crises : Ola eu aviso, às 5 horas vai chegar nova crise, então às quatro já ta todo mundo se preparando pra segurar. Ils se mettent à huit pour tenir la personne, sinon le possédé court dans tous les sens et veut se tuer. Ils sont sensibles aux odeurs : si quelqu’un passe une lotion et s’approche de leur maison, ils disent : Mae, Fulano ta chegando pra ca, vai chegar agora mas nao deixe entrar, que ele passou um cheiro que me incomoda. Idem pour le tabac.
Bref, explique José Luis, il a assumé en juillet la fonction, et depuis « é muita dor de cabeça », deux mille personne à gérer, avec cela le problème de la gestion d’Evandro. Il suggère qu’Evandro a détourné des fonds (pour son traitement de colites néphrétiques ?) car à son départ a laissé des dettes à l’égard du pilote du bateau, du commerce Midiã et autres. L’argent de la communauté provient des chefs de famille : chacun verse 10 réaux par mois, une partie va à l’entretien du bateau, l’autre à l’entretien du générateur (lubrifiant plus salaire mécanicien). Les hommes non mariés ne payent rien car ils n’ont pas de maison propre. José Luís annonce qu’il tient note de la contribution de chacun, et qu’il a réglé toutes les dettes.
Retour de nuit, village obscur car moteur cassé : chuchotis dans les maisons, circulation fugitive des hommes d’un coin à l’autre du village.
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