Le promeneur de la forêt de Fontainebleau, en quelques leçons de chose, reconnaît la plupart des plantes et des animaux qui y vivent. La faune et la flore européenne sont en effet bien pauvres si on les compare aux écosystèmes tropicaux, voire même à ce qui reste de la forêt chinoise ou nord-américaine. Cette faible biodiversité s’explique par la catastrophe géologique que furent les glaciations. L’Europe, qui jusque là avait bénéficié d’un climat subtropical, changea radicalement de régime climatique. Jusqu’à l’extrême sud de l’Espagne, jusqu’à la pointe de l’Italie et de la Grèce, les glaces avancèrent, détruisant toute vie sur leur passage, sauf dans quelques îlots tels les Ardennes. Faune et flore reculèrent jusqu’à se retrouver bloquées par la Méditerranée. Ainsi confinées, bien des espèces disparurent. Il y a environ vingt mille ans commença la reconquête, alternant avec de nouvelles périodes froides. Rares furent les espèces qui parvinrent à s’adapter aux saisons marquées, du glacial au tempéré. La mégafaune, fortement associée à la « steppe à mammouth » - prairies de graminées dans une atmosphère sèche – se vit toujours plus confinée et disparut – mammouths, rhinocéros laineux, lion des cavernes – ou se réfugia dans des régions septentrionales (rennes), semi-désertiques (chevaux). Aujourd’hui encore le passage de l’hiver est une gageure pour nombre de mammifères ou d’oiseaux sédentaires, qui ne pratiquent pas l’hibernation.
Les arbres ayant réussi cette adaptation, par la caducité, sont peu nombreux. Ils ont su coloniser avant les autres de vastes espaces, l’arbre emblématique à cet égard étant le chêne, aidé dans sa reconquête par un petit corvidé, le geai, qui se chargea de la dissémination des graines.
La flore européenne constitue ainsi un ensemble assez pauvre, où prédomine parfois une seule espèce ligneuse, comme c’est le cas en montagne. Cette flore est donc moins sensible au risque d’extinction, car elle ne comporte que peu d’espèces endémiques. L’instabilité millénaire a favorisé le brassage des populations, avançant et reculant, développant des stratégies de survie complexes qui se révélèrent payante, l’adaptation au froid et au manque de lumière durant les mois d’hiver en particulier.
Une forêt tropicale n’a pas eu besoin de développer ces stratégies : poussant en milieu stable, créant progressivement les conditions de son épanouissement et de sa survie, les espèces qui la composent ont pu évoluer ou se stabiliser durant des dizaines, voire des centaines de milliers d’années. Les biotopes variant légèrement selon l’hygrométrie, le sol ou l’altitude entraînaient des spéciations particulières à chaque condition. Sur d’immenses territoires, les espèces sédentaires, à faible mobilité, entreprirent également de se diversifier. De grands ensembles forestiers, temporairement isolés par l’avancée des savanes, suscitèrent l’apparition d’espèces endémiques, chez les végétaux et les petits animaux en particulier.
En contrepartie, chaque espèce nouvelle se vit allouer une faible répartition dans l’espace, et les nombreuses espèces végétales, incapables de coloniser à elles seules de grandes étendues, misèrent sur la dispersion des semences, ce qui fait qu’un type de végétal peut subsister alors même qu’il compte moins d’un individu à l’hectare.
Plus une forêt est diversifiée, plus elle est fragile. L'idée répandue selon laquelle la nature est plus forte que tout ne doit pas dissimuler qu'une rupture d'équilibre dans un milieu fragile entraîne la disparition de nombre d'espèces végétales et animales, au profit de quelques espèces opportunistes, mieux armées que les autres. Une spécialisation infime, une symbiose fragile entre une plante et un insecte peut être rompue, l'une et l'autre disparaissant à jamais. L'impact des activités humaines n'a donc pas la même portée en Europe et sous les tropiques: là-bas, dans bien des cas, elles sont irréversibles.
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