Plus gravement, un mode de gouvernement fondé sur la fabrication de stéréotypes (le plombier polonais, l'enseignant absentéiste, le Malien polygame, le jeune de banlieue, le chômeur qui triche, le chercheur qui ne trouve pas, etc.) est-il vraiment sain ? D'une part, il court le risque de se voir ébranlé par d'autres stéréotypes (le politicien corrompu, le sénateur absentéiste, le ministre ignorant les réalités citoyennes), d'autre part - et je renvoie à Thucydide - le fonctionnement démocratique exige que la société soit pensée et vécue comme un ensemble solidaire si l'on veut qu'elle perdure.
Jacques Chirac parlait de "délitement" de la société française, il y a quelques années, et il n'avait pas tort dans son diagnostic. Mais l'étiologie de ce délitement repose précisément sur le fait que toute réforme que les gouvernements souhaitent engager est précédée d'un travail de sape et de désolidarisation. Certes, il faut savoir diviser pour mieux régner, mais nous ne sommes pas dans un régime monarchique. Pour gouverner, il faut unir. Soit on admet que la France n'est que la juxtaposition de catégories socio-professionnelles, auquel cas nous devons changer notre mode de représentation politique ; soit notre pays est constitué d'individus dont l'appartenance à la collectivité prime l'appartenance catégorielle ("République une et indivisible") - et il serait bon d'ajuster la façon de gouverner à cette réalité-là.
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