Tout le monde connaît le syllogisme "Ce qui est rare est cher ; un cheval bon marché est rare ; donc un cheval bon marché est cher."
Eh bien, ce syllogisme s'applique presque à l'identique à la question du boeuf et du soja au Brésil. (Oui, oui, j'ai tenu compte de tes récriminations, Gérard, j'en reviens à mon développement durable).
Ce qui se passe à très vaste échelle dans le Mato Grosso se déroule actuellement, à petite échelle mais exactement selon le même schéma, dans la région de Santarém, sur le fleuve Amazone, à l'extrême ouest de l'Etat du Para. (Crédit carte : Instituto Socioambiental)
J'ai assisté aujourd'hui à l'exposé de Ruben Valbuena qui décrit le processus ayant suivi les rumeurs de goudronnage de la BR 163, reliant Santarém à Cuiaba, capitale du Mato Grosso. En 2003, un port destiné à l'exportation du soja fut construit à Santarém par l'entreprise commerciale Cargill, afin de trouver un débouché plus rentable pour le soja du Mato Grosso. Mais cette installation portuaire a entraîné un nouveau front d'expansion du soja, à partir de Santarém même, repoussant plus avant les fazendas de bétail et les petits exploitants (posseiros) en un phénomène bien connu de domino.
Le prix de la terre est ainsi passé de 25 réaux l'hectare en 1999 (environ 10 euros) à 2500 réaux en 2005 (environ 1000 euros). Outre la croissance anarchique de la ville, comptant désormais 200 000 habitants (dont nombreux sont les petits exploitants ayant vendu leur terre et devant s'empiler dans les favelas), c'est toute la zone qui entoure Santarém qui s'est anthropisée en 6 ans seulement, y compris au nord de l'Amazone, de l'autre côté du fleuve. Cargill peine en effet à emplir ses bateaux et incite à la production du soja dans la région et la supervise. Voici la situation, d'après l'exposé de Ruben :
Il convient de se demander où va le soja ainsi produit. Eh bien, l'essentiel de la production exportée par Cargill depuis Santarém va en Europe (la production qui part de Santos, Etat de São Paulo, va partie en Europe, partie en Chine). Mais à quoi sert ce soja ? Sous forme de tourteau, il ira remplir les assiettes de nos poulets en batteries et de nos porcs et de nos vaches laitières (vendues ultérieurement comme viande hachée et comme biftek). Une partie ira également dans la pisciculture.
En d'autres termes, la viande bon marché, grâce à une alimentation animale bon marché, sur des surfaces réduites, nous permet à moindre coût de porter atteinte à l'environnement des deux côtés de l'Atlantique : déforestation là-bas, pollution aux nitrates ici.
Je ne suis pas végétarien et j'espère ne pas être un fanatique. Mais quand je vois le coût indirect de la viande "pas chère", je me dis qu'il est possible, après tout, de ne pas faire figurer de la viande à chaque repas. Nous ne sommes pas conçus pour cela, notre métabolisme ne peut traiter les gigantesques rations de protéines que nous engouffrons.
Il en va de la viande comme des produits laitiers ou des eaux minérales : un matraquage publicitaire nous fait croire qu'il en faut, chaque jour, je ne sais quel pourcentage, litre ou calorie... C'est une absurdité, comme si nos estomacs devaient se conformer à la contenance moyenne des emballages exposés dans les supermarchés - comment expliquer autrement que la juste mesure d'eau journalière soit précisément 1.5 litres ? Comme l'avait très justement fait observer un représentant du lobby agro-industriel (MacDonald's, en l'occurrence) : "Nous ne sommes pas là pour bien nourrir les gens" - sous entendu, et c'est juste, nous sommes là pour vendre nos produits. Pensons au coût induit d'un dé de lardon avant d'en glisser dans toutes nos salades.
Tout à fait d'accord avec le ton général de cet article.
A noter que la viande consommée au Brésil est d'ailleurs fabriquée à partir... d'herbe pour l'essentiel.
Rédigé par : Benjamin | mardi 08 avr 2008 à 20:01
Oui, mais Benjamin, tu sais que le problème est similaire au Brésil. La viande de boeuf n'y coûte rien parce qu'aucun éleveur ne respecte la réserve légale de 80%. Il coûte moins cher de détruire un hectare de forêt (environ 100 euros) que d'utiliser des surfaces déjà déboisées. Là-bas aussi, on pourrait considérer qu'une taxe sur le coût environnemental de la viande locale permettrait de rééquilibrer l'offre et la demande.
Rédigé par : anthropopotame | mardi 08 avr 2008 à 20:21
Encore qu'il existe des millions de Brésiliens si pauvres que le principe de la taxe me semble inconcevable: eux ne mangent pas "trop de viande" parce que même si elle ne coûte effectivement rien selon nos critères, là bas cela fait beaucoup.
Ou alors il faut intégrer des "bons de viande" aux éligibles à la "bolsa familia"
Et bien évidemment, surtaxer les latifundias non exploitées (le Brésil, ce n'est pas que l'Amazonie!)
Rédigé par : Benjamin | vendredi 11 avr 2008 à 13:53
Je ne fais pas allusion à des gens qui risqueraient de "manger trop de viande" mais à des gens qui n'en mangent quasiment pas, et qui souffrent même d'un gros déficit en protéines. J'en connais.
La dénutrition est certes en recul au Brésil, mais la malnutrition est en constante augmentation. Les gosses obèses il y a une quinzaine d'années, on les trouvait chez les mômes de "bonne famille". De nos jours, ils sont dans les favelas.
Rédigé par : Benjamin | lundi 14 avr 2008 à 20:47