Roger Pol-Droit n'intervient que rarement dans Le Monde. Aussi est-il dommage, quand il le fait ("Météocratie", 26 juin 2008), que ce soit pour écrire une bêtise.
"[La] météo, de fait, est en passe de prendre le pouvoir. Dans les esprits, c'est fait depuis longtemps. Dans les institutions, les instances de décision, le processus est en cours. Pour sauver la planète, nous dit-on de tous côtés, il faut préserver le climat et non le dégrader sans retour. C'est placer la météo au coeur du politique. Il se pourrait donc que la présence croissante des nuages à la "une" ne soit encore qu'un tout petit commencement. On nous imposera, et dans pas si longtemps, de bien plus sévères mesures que les bonus malus pour automobiles. Il ne faut pas être grand météorologue pour lancer, sur nos vies quotidiennes, et sur nos libertés actuelles, un avis de tempête.
Faudrait-il donc conseiller aux jeunes ambitieux de délaisser l'ENA, ou même Sciences Po, au seul profit de Météo France ? Les climatologues seront-ils les dictateurs de demain ? Devra-t-on demander aux futurs candidats aux élections un climat minimum garanti ? Il faut l'envisager. Avec un secret espoir : quelques-uns, dissidents ou réfractaires, finiront bien par oeuvrer, résolument, au réchauffement du climat. Le seul qui compte vraiment, le climat entre les peuples."
Outre la confusion habituelle "météo/climat", on dirait l'illustration d'un discours qui se soutient lui-même, faisant fi de la vulgaire réalité. Le mot "compensation" est à la mode. Compensons, donc, la dislocation de la banquise par le fait que USA et Corée du Nord brisent la glace ! Compensons la montée des mers et océans avec cette pensée réconfortante qu'un beau jour Palestiniens et Israéliens seront cantonnés aux mêmes plages, ne cessant de rétrécir ! S'ils fraternisent, alors, cela aura valu la peine que le monde entier connaisse une pénurie d'eau potable par la disparition des glaciers. Humanité, humanité über alles !
J'adore cette phrase : "le seul qui compte vraiment, le climat entre les peuples". On l'a vue surgir sous de multiples formes : pour décrier l'astronomie, s'exclamer "le seul mystère qui compte vraiment, la formation d'un embryon humain" ; pour blâmer l'éthologie, proclamer, avec Pascal Keller (Libération, 24/11/2006) :
"En s'échinant à regarder les bêtes au fond des yeux afin d'y découvrir la clef de notre humanité, ils risquent d'y perdre les valeurs qui la fondent. Car ils font mine de tenir pour nul et non avenu l'unique témoignage de notre existence humaine : notre parole."
Cela ne veut strictement rien dire. Mais comme cela soulage. Des réfractaires, d'éternels fils de Prométhée, manifestant leur rébellion millénaire en s'achetant des 4x4 et en faisant des bras d'honneur aux cyclistes. "L'unique témoignage de notre existence humaine, notre parole" - ma foi, l'effondrement de la biosphère me paraît un témoignage acceptable de notre passage sur terre. Et les éthologues ne cherchent pas la "clef de notre humanité" - on ignorait qu'elle fût perdue. Mais comme c'est beau. "Homme libre, toujours tu pollueras la mer." C'est poétique. Cela fond sous la langue comme l'Arctique. Cela ne veut rien dire mais on les sent heureux et fiers de dénoncer la dictature des James Hansen, du GIEC. "OEuvrer, résolument, pour le réchauffement du climat." C'est le secret espoir de Roger Pol-Droit. En cela, il sera entendu : la diminution des terres émergées favorisera, mécaniquement, le rapprochement entre les peuples...
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