Lundi, 7 juillet, Ouro Preto do Oeste.
Nous avons déambulé en ville hier soir avec Liz, très sympathique. La place de la liberté, jardin paysager, avec canal et parterre fleuris, les rues goudronnées proprettes, montre que la ville se porte plutôt bien sur le plan financier. Le tropisme de Philippe pour l’açai nous a mené chez un glacier aux prix exorbitants, avec des coupes monstrueuses débordant de caramel et de poudre de noix du Brésil, puis sommes allés dans un resto de pizza et tira-gosto où nous nous sommes gorgés de fritures (poisson et provolone).
Liz m’explique que l’association de petits producteurs prétend avoir pris conscience des dégâts environnementaux et décidé une progressive reconversion, quand il semble que tout a débuté avec les communautés ecclésiales de base qui les ont formé à la présentation de projets socioenvironnementaux. Premier argent venait de l’ambassade du Canada.
Nous devrions rencontrer João, ancien président, aujourd’hui. Il est 7h30 passé, Guillaume et moi attendons que Philippe se réveille. J’en ai déjà ma claque d’être ici, la patronne, une Sta Catarinense à l’air peu aimable m’a annoncé que je n’avais pas le droit de fumer dans ma chambre, ce qui me paraît un peu fort.
Depuis ma chambre, on entend bien les manœuvres des camions. Le bout de réserve forestière, en face, est fumante de l’humidité du matin, et cette brume se confond avec la fumée d’étranges fabriques qu’on voit au loin, dont je ne sais si elles produisent du lait ou du charbon.
Vers 10h, nous partons rendre visite à Angelino, qui applique le SAF (système agroforestier) bien que n’ait pas fait partie de l’Association. La voiture frotte tous les rochers de la piste et nous découvrons que nous n'irons pas loin dans ces conditions.
Le jardin d’Angelino et sa maison font penser au domaine du facteur Cheval : il récupère du matériel métallique et fait d’étranges sculptures où poussent des plantes. Il a également installé un réseau téléphonique dans son jardin. Un téléphérique brinqueballant et même des toilettes sèches qui font cinq mètres de haut. Les bâtisses qui ornent son jardin sont ornées de bouteilles en PVC, une bonne alternative pour la cathédrale d'Amiens.
Il a planté de nombreuses espèces, y compris dans une forêt qu’il dit primaire mais qui est envahie de palmiers. Il plante café, cacao et cupuaçu à l’ombre et dit que si la branche de son caféier ne donne que douze grains au lieu de 120, il faudrait un mécanisme qui lui paye ces douze grains au prix des 120 car il cherche des solutions pour ne pas déboiser.
Il a reçu déjà plus de 100 chercheurs, nous dit-il, et accueille également des groupes qui viennent boire du jus de fruit (cupuaçu et araça), délicieux, peu de cacau car il ne tue pas les singes, a même attaché son chien pour qu’il ne poursuive pas les animaux. Il nous avait raconté que la dernière fois qu’il a tué une bête remonte à quand il avait six ans, mais ensuite fait un lapsus et raconte s’être perdu en forêt « alors qu’il était allé chasser »… (à voir si l’expression « caçar n’est pas utilisée ici comme synonyme de « catar »).
Il est intéressant d'observer la manière dont Angelino met en scène son destin. "Je suis né différent", dit-il. Ce n'est pas uniquement le fait qu'il soit né à l'intérieur du placenta, mais plutôt qu'il a été toujours incompris. Il est d'origine allemande, mais sa grand-mère était indienne de l'Espirito Santo, "capturée au lasso" (stéréotype que l'on rencontre fréquemment). Il a souffert du dos toute sa vie, et les médecins ne pouvaient rien pour lui, jusqu'à ce qu'un minuscule chirurgien japonais (1.20m de haut) lui annonce qu'il n'existe de sa maladie que trois cas dans le monde, ce qui lui convient tout à fait et est cohérent avec son histoire de vie (Philippe nous raconte plus tard que lui même a été soigné pour son dos, mais non guéri, par un étrange chiropracteur japonais à Boa Vista).
Au retour, nous déposons la voiture au garage (pas de frein à main non plus), puis nous baladons en ville. Philippe cherche de l’açaí mais n’en trouve pas, et moi je cherche des coxinhas. Visite à la mairie, reçus par Regina, l’assistante de la secrétaire à l’environnement. Nous explique que toute l’équipe préfectorale est récente, que le maire est un éleveur qui n’est devenu maire que pour rétablir l’ordre dans les comptes (je crois qu’elle en est secrètement amoureuse). Elle a l’air de dire que la loi environnementale est dorénavant appliquée (interdit de queimadas, même pour les pâturages) et plusieurs projets de récupération des sources – pépinière de 30000 arbres, dont noyers du Brésil.
L’APA pratiquait la cavalerie, s’est retrouvé avec 1,5 millions (n’en est pas sûre) de dette travailliste (n’a pas payé les salaires des techniciens). Jusqu’en 2005, il y a eu mouvement important, transformation de palmito, miel, et autre, mais dès 2006 mvt est tombé, problème de production qui obligeait l’APA à acheter des produits à l’extérieur, à des non associés, pour respecter cahier de commandes.
Tout leur matériel a été confisqué cette année et leurs locaux et machines seront vendus aux enchères pour régler leur dette. Elle nous montre une pile de documents, de moniteurs et de PC dans un coin de la pièce, c’est leur matériel placé sous scellé.
Elle est un peu ironique et nous indique différentes personnes qui ont vérifié les comptes, dont un Silvio qui travaille à l’IDARON (institut de développement agraire, chargé de la veille sanitaire et campagne vaccination bétail), mais qui a été transféré à Presidente Médici. Nous allons de ce pas à l'IDARON.
Les fonctionnaires de cet organisme nous accueillent très bien, les murs sont recouverts de posters représentant des vaches malades (brucellose, vache folle, fièvre aphteuse…)
Puis INCRA, local décati, accueillis par vieux monsieur en belle chemise blanche, l’air illuminé, ici depuis 35 ans. Parle avec émotion du chemin accompli par le PIC (Projeto integrado de colonização) initial, de la zone recouverte de forêt à la situation actuelle, grande réussite malgré le fait que le bétail gagne du terrain. Au départ, en effet, il devait s’agir de petite agriculture avec un bassin laitier pour autosuffisance, mais les lots de 100 ha chacun ont été peu à peu réunis par des éleveurs. L’émancipation des colons s’est produite progressivement, dès les années 80, et l’INCRA qui régnait en maître (« aqui o governo era o INCRA, era tudo INCRA ! ») a vu fondre ses effectifs, de 200 au début à 3 aujourd’hui. Pour lui, il a dû s’agir d’une grande aventure, l’ouverture d’un front pionnier dirigé par un organisme public. Il nous montre la carte du projet initial, vaste ensemble quadrillé, 5000 lots de 100ha répartis en cinq « glèbes ». On voit bien que tout fut dessiné sur le papier, ne tenant compte ni du relief ni des cours d’eau, aucune protection spéciale accordée aux sources. Les colons devaient défricher immédiatement 50% de leur lot pour percevoir les aides (alimentation et matériel pendant un an, le temps de la première récolte).
Il me confie un rapport de 1980 récapitulant le projet pour que je le photocopie. Tout est pauvre autour de nous, les papiers jaunis, les murs jaunis, les vieux bureaux métalliques…
Le soir tombe quand nous le quittons. La voiture n’est pas prête. Allons dîner au Ranchao (le bar de la station service), je ne sais trop ce que nous y mangeons mais ce n'est pas essentiel. Philippe raconte ses aventures du Santo Daime et de l’ayahuasca avec Roberto Araujo, à Rio Branco.
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