Sans doute le lecteur, d'après les dernières notes, me prend-il pour un idiot : mais qui c'est celui-là qui ne songe qu'à épouser ses informateurs et à sa ligne ? Sinon pour un idiot, du moins un imbécile, et ma foi, la vérité n'est pas éloignée de cela.
Considérons ce qu'est une enquête anthropologique, dans le contexte particulier d'une recherche pluridisciplinaire comme l'est le projet DURAMAZ, mêlant des géographes, des démographes, des sociologues, des écologues, et j'en oublie... Je dispose pour mes enquêtes d'un temps limité, sur des phénomènes circonscrits dans le temps et dans l'espace, comme le sont les coopératives, associations et autres de cet acabit. Nous disposons de deux à trois semaines de terrain.
Dans le cas qui nous occupe, je viens étudier une association de producteurs alternatifs dans un état dévasté, dont toute la bibliographie réside en des rapports qui vantent son succès. A peine arrivé, j'apprends que cette association a fait faillite. Quelle sera mon attitude ? Je puis d'emblée me référer à mes autres terrains - Iratapuru, Oiapoque, Monte Pascoal - où j'ai pu observer la manière dont les populations locales conçoivent les projets, c'est à dire comme des sources de revenu, le résultat final étant parfaitement secondaire. J'ai pu observer également que c'était les coopératives et plus généralement les associations garantissant des rentrées d'argent qui étaient prétextes aux pires dissensions. Je puis donc arriver sur le terrain avec un ensemble d'idées toutes faites - idée que la direction de l'APA a tablé sur la multiplication des projets, qu'il y a eu confusion entre finances publiques et finances privées, ou encore que le destin de l'APA guette tous les projets de ce genre, et que seule une volonté politique peut les maintenir à flot, volonté que l'Etat de Rondonia n'a pas et n'aura jamais, l'élevage bovin lui rapportant trop d'argent pour qu'il s'intéresse à des futilités.
Il faut donc faire un effort sur soi-même pour garder une capacité d'écoute, et ne pas orienter les réponses selon ce que je veux entendre. Les conclusions viendront plus tard, une fois l'ensemble mûri, et il faut se garder de vouloir déduire trop vite de quelques propos convenus une Théorie Générale de la Conspiration. Sur le terrain, j'ai donc plutôt tendance à m'interdire de réfléchir, quitte à passer pour un idiot. Il serait bien sûr facile de faire le malin confronté à des gens qui ont à peine le niveau de CE2, tandis que j'ai quinze ans d'études post bac à mon actif. Mais il se trouve que je n'ai pas affaire à des idiots, justement, mais à des gens dont la logique a été forgée par des épreuves, la principale étant qu'ils ont ici cherché à se forger des racines après être passés, pour la plupart, par plusieurs Etats et par de multiples métiers.
Mais revenons-en à notre ton badin.
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