Notre après-midi est consacrée à une expédition à Ji-Parana (40 km d'Ouro Preto). Nous sommes mandés par Fernando qui nous a fortement suggéré de rencontrer le responsable local de l'INCRA, appelons-le Carlos. J'ai beaucoup de préventions à l'égard de l'INCRA, aussi ne suis-je pas ravi de découvrir un bureau imposant, de multiples fonctionnaires, et des 4x4 barrés INCRA dans la cour. Philippe et Guillaume cherchent des cartes de la région, et Carlos nous en fournit quelques unes. Je baguenaude de bureau en bureau, je n'arrive pas à m'intéresser à la conversation, comme cela m'arrive parfois. Il faut dire que j'ai dans la poche une clé USB qui contient toutes les réponses. Les murs sont recouverts de photos satellites montrant la dévastation à l'échelle de l'Etat - selon la terminologie de l'INCRA: l'implantation, le développement, le progrès.
A mesure que la conversation progresse, toutefois, je vois Carlos se détendre, de tout crispé qu'il était, le voilà à présent qui se démène pour localiser Lindomar, à nos yeux un quasi-fugitif. D'ailleurs, il se trouve actuellement dans les locaux du procureur - mais il n'est pas en prison : il fait un stage. Carlos obtient un rendez-vous, nous nous précipitons.
Liz avoue que quitte à prendre mari elle choisirait Carlos. Je fais valoir que ça doit être plus agréable et plus intéressant de vivre avec un entomologiste comme Olzeno. Comme je n'aime pas imposer mes options je n'insiste pas davantage bien que j'aime les insectes.
La rencontre avec Lindomar, elle, fait penser au Grand Sommeil ou au Troisième Homme ; au soir tombant, à l'angle d'une église, le mystérieux administrateur de l'APA fait son apparition. Déception: c'est un blondinet à l'air aimable, qui parle doucement et s'efforce de nous éclairer. Selon lui, il y a eu malentendu entre la direction de l'APA et les associés, ceux-ci ne parvenant pas à comprendre que les projets gérés par l'APA, comme le Pro-Ambiente, étaient limités dans le temps et que leur renouvellement ne se faisait pas dans la continuité. Il fallait donc parfois dissoudre les équipes, suspendre les projets, ce que les membres se refusaient à croire. Difficulté également du côté de la production : peu de répondant, beaucoup de plants de pupunha perdus ou non plantés, obligeant la direction à des acrobaties pour honorer les commandes. A l'heure de l'expédition, nouvelles déconvenues : la première cargaison fut saisie par l'IBAMA, et donc perdue, faute de documentation. La deuxième transita par Manaus, et resta près de trois semaines à quai - sachant que le coeur de palmier court le risque de s'acidifier durant le transport et qu'il faut donc le contrôler régulièrement. En fin de compte, les commandes furent expédiées vers le sud, un port de Santa Catarina où les délais d'embarquement étaient plus brefs. Mais déjà la chaîne de production commençait à être grippée.
Nous nous interrogeons sur l'impact qu'a eu l'échec de l'APA sur d'autres initiatives. Selon Lindomar, l'APA a créé des vocations, j'en doute un peu. Je remarque en tous cas qu'il s'efforce de nuancer sa pensée et de la verbaliser du mieux possible, ce qui aboutit à une réflexion complexe qui montre que la question l'a beaucoup travaillé. Nous ne voulons pas prolonger son supplice.
Le soir, légère inquiétude : Ivone n’apparaît pas. Tout le monde a faim, sauf moi. Enfin, la voilà, dans une vieille Volkswagen, je monte d’office avec elle et nous testons plusieurs coins. Les refus successifs m’enchantent car seuls dans sa voiture la conversation va bon train. Elle s’exprime toujours avec une sincérité désarmante, parfois elle semble au bord des larmes. Nous décidons de dîner à notre QG, le Bakana’s, ex-Galeto’s. Ivone ne mange rien, elle nous raconte le procès qu’elle a intenté à l’APA (un an de salaires en retard), alors qu’elle y travaillait avec passion. Elle était chargée de démarcher les producteurs et de mettre en place l’organisation du travail des femmes. Elle me raconte la crise conjugale qu’a entraîné la faillite de l’APA. Puis nous mangeons une glace, elle grelotte. Enfin elle me demande si je veux qu’elle me raccompagne – bien sûr lui dis-je, et je laisse les autres aller en avant. Parvenus à l’hôtel, elle fait ses adieux. Etrange comme cette femme a ému notre petit groupe, nous l’embrassons comme une vieille connaissance.
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