Mercredi 09/07. Ce matin réveil aux aurores. Rêvé des Lucs et d’une très jeune fille qui déclarait être ma fiancée. Je vais au Ranchão de la station service acheter des cigarettes et boire un café et là, surprise, la serveuse ressemble à la fille de mon rêve (hum). S’appelle Mirlem, vraiment adorable. Je la contemple parmi dix camionneurs tout aussi enivrés, je ne cesse de lui commander des cafés jusqu’à atteindre le taux de caféine recommandé.
Puis nous partons à la mairie, rencontrer secrétaire à l’environnement, Ana Martinha, une blonde dynamique. Nous surprenons conversation entre elle et un couple entre deux âges qui veut construire sa maison à moins de 15 mètres de l’igarapé (bras d'eau débouchant sur le Boa Vista), au motif que les voisins ont fait de même. Elle leur explique les conséquences de la pollution de l’igarapé, leur demande s’ils iraient le nettoyer en havaianas puisque tous les égouts de voisins se déversent dedans, que les fosses septiques en aval de la maison ne permettent pas d’éviter infiltration, et qu’il faut donc respecter au moins quinze mètres entre le point maximum d’élévation de l’eau et le mur de la maison. Le couple discute, argumente, dénonce les voisins, dit que le gouvernement transpose le São Francisco et qu’ils ne voient pas pourquoi eux, au motif que la loi a changé, ne peuvent pas faire comme les voisins. Ana Martinha dit que quand un lot sera disponible les voisins seront déplacés mais que d’ici là on ne peut pas détruire leurs maisons ni leur coller amende car insolvables. Les photos prises plus tard confirment ses dires : le Boa Vista est un égout à ciel ouvert.
Puis elle nous accorde son attention. Arrivée il y a 26 ans, à l’âge de deux ans, du Parana ( ?). Escola técnica agricola puis licenciatura en gestion d’entreprises.
2005 : après la grande sécheresse qui a affecté la rivière Boa Vista qui alimente la ville, a débuté une réflexion pour reboiser les berges, réflexion débutée à l’Eglise catholique mais qui s’est élargie aux autres religions. Création commission Boa Vista (idée du procureur de la ville, je crois). C’est le CEPLAC (Centre d’étude du Cacao) qui a alerté sur problème de la faiblesse du sol. Jusque là, la pratique était : déboiser, planter du riz pendant deux ans, brûler de nouveau, planter de l’herbe, et après cinq ans recommencer plus loin. On s’aperçoit que les courants aériens font que brûlis en Rondonia affectent l’Acre et le sud de l’Amazonas, ce qui entraîne de gigantesques incendies.
Elle dit qu’aucune mesure n’a été prise pour sauver l’APA. Dit qu’ancien maire, Carlos Magno, a coopté la dernière équipe dirigeante. Ce Carlos Magno un peu hurluberlu, élu sur plaisanteries, se présentait comme un voleur. Le projet Agenda 21 qu’il a présenté a Brasilia et que l’équipe actuelle doit assumer était le pire possible, conditions aberrantes pour recrutement responsables laissent penser que cela était destiné à des proches du maire.
Intéressant car elle parle de fazendeiros ou autres en disant « il me connaît depuis toute petite », cela doit avoir son importance car la ville d’Ouro Preto a dû croître relativement lentement donc tout le monde se connaît mais nous découvrirons plus tard que peu ou pas de vie sociale. Elle est très investie dans le projet récupération forêt galerie du Boa Vista depuis la source jusqu’au point de captage de l’eau. Les fazendeiros ne voulaient rien entendre, en particulier Afonso, mais ont découvert que l’amende était de 60 salaires minimum par an + difficulté d’accès au crédit donc ils finissent par s’y plier. (Plus tard on apprend qu’il n’y a pas assez de bois par ici pour faire des clôtures donc il faut en faire venir de Machadinho).
Très aimable, me propose de venir mercredi prochain pour me faire visiter le projet Boa Vista. Blonde énergique, bien épaulée par Regina. Philippe se déclare prêt à l’épouser à condition que Guillaume ou moi épousions Regina.
Sortant de là nous allons au sindicato dos trabalhadores rurais, le président n’est pas là aussi nous nous focalisons sur le Movimento dos pequenos agricultores avec coordinatrice, Sebastiana. Le siège se trouve jouxter l’INCRA. Le MPA a été créé en 1998 pour le Rondonia. Son exécuteur est l’APARO (Assoc petits agriculteurs de Rondonia - il faut tj association pour pouvoir gérer budget et programmer projets). Appartenait au Sindicato dos Trabalhadores rurais mais pas de soutien logistique, seulement prévoyance et allocations familiales.
Le MPA est organisé en groupes de 5 à 10 familles résidant sur la même ligne (une ligne = une route secondaire tous les quatre km donnant accès aux rangées de lots) qui décident ensemble des questions d’habitat, d’éducation, d’équipement, etc. Projet actuel financé par Petrobras (associé avec pastoral padre ezequiel) distribution de farinheiras et divers équipements de beneficiamento.
Les alliés du MPA sont MAB (mouv des atteints par les barrages) e MST (Mouvement des sans terres) : proches idéologiquement, anticapitalistes (acceptent financement Petrobras mais pas de la Cargill qui est l’Ennemi). Sebastiana est accompagnée d’une Gloria et d’une Beatriz, très jeune mais qui semble être la caution idéologique voire l’œil de Moscou ; quand je les interroge, j’apprends que leur père est venu ici du Parana, à l’une comme à l’autre, mais n’a pas trouvé de terre. Les parents de Beatriz ont obtenu finalement un demi alqueire (1,2 hectare) et le père de Sebastiana est mort après deux ans de vaines tentatives, arrivé en 1982 mort en 1984.
Sebastiana a d’abord été militante de l’église catho, puis entrée au PT (parti de Lula).
Philippe observe que les paysans venus à la recherche de terre avaient expérience agricole car servaient avant comme travailleurs journaliers, en revanche pas d’expérience de gestion de propriété. Il demande si l’Etat de Rondonia les laisse survivre car ils sont inoffensifs, Sebastiana ne comprend pas, elle se tourne souvent vers Bea pour vérifier qu’elle a bien compris nos questions. C’est une métisse avec du caractère.
Explique qu’il est difficile de lutter contre viande et lait car les prix sont très bons.
Selon elle Walmir était celui qui tenait l’APA - idéologue fort, passé à l’IBAMA (donc menaces de mort) puis à la FUNAI, il est difficile de le rencontrer aujourd’hui car se cache.
Le grand adversaire de l’APA est le FETAGRO (federaçao trabalhadores agricolas de Rondonia)
Le MPA est l’organe gestionnaire du crédit habitation de la Caisse Economique, on y a droit une fois dans sa vie: fournit le matériel sauf le sable, le bois et la main d’oeuvre.
D’après Gloria, problème de l’APA était qu’il achetait très peu cher et revendait cher à l’extérieur, seule une mauvaise administration peut expliquer la faillite.
Quand je l’interroge un peu, je m’aperçois qu’elle ignore les distances réglementaires de construction, ni le pourcentage de reserva legal (elle dit 40 %) et ajoute « a gente nao se preocupa muito com isso » - « on ne s’intéresse pas beaucoup à ça ».
Lorsque je lui parle du DD, elle ne sait pas ce que c’est, elle a des conseillers pour ça, elle me retourne la question, un peu irritée.
Je suggère à mes camarades la création du MPP, Movimento dos pequenos pesquisadores, mouvement des petits chercheurs, aux objectifs indéterminés.
Nous allons ensuite à l’EMATER, (Entreprise de soutien à la production agricole) fondation sans but lucratif qui donne de l’assistance technique aux agriculteurs. Le mur est taggé d’un « agronegocio esfomea o povo », « l’agroalimentaire affame le peuple » de même que le mur de l’INCRA.
Explique que l’APA était “plutôt fermée” (tous emploient la même expression), « ils n’ont pas voulu se mêler à nous ». Dit que les leaders appartenaient au PT et à la branche orthodoxe, la plus radicale, ceux qui se plaignent d’avoir gagné les élections sans en avoir profité.
Il annonce 11 millions de bovins en Rondonia, quand l’idéal serait 7 millions. Dans la région, toutefois, 95% des propriétés ont moins de 100 hectares. Environ 2200 propriétés sur 1000 km².
Explique que 1er producteur de lait est l’ex maire Carlos Magno, et le deuxième est un Vidal, qui applique méthodes modernes d’élevage de veaux.
(Programme Proambiente concerne compensations ambientais, programme pilote dans deux Etats, devrait être élargi rapidement).
Je laisse mes trois collègues discuter et je vais à l’INCRA, pour discuter avec José de Jesus. J’ai une demie-heure de conversation enregistrée mais ce n’est pas quelqu’un de très brillant ni très causant, enfermé dans l’idée du « integrar pra nao entregar » - la devise militaire concernant l’Amazonie. Cela veut dire « intégrer pour ne pas abandonner » au sens de « laisser les autres s’en emparer », mais quand je lui demande « entregar à qui ? » il répond « Ah… je ne sais pas », il se fiche éperdument de ce qui se passe aujourd’hui, ne sait rien de l’application effective des lois environnementales, il ne se déplace pas sur le terrain, vit avec sa femme en ville et ne possède rien (dit-il). Un peu énervé je rejoins les autres à l’EMATER, où la conversation est en train de s’achever.
De là, nous nous rendons à la CEPLAC, (centre d’appui à culture cacaoyère), où nous rencontrons un personnage assez étrange, Olzeno Trevisan, entomologiste de formation, spécialisé dans la lutte biologique, a identifié les ennemis naturels des différents ravageurs, en particulier cigarrinha dos pastos. Les insectes prédateurs des ravageurs appartiennent pour la plupart à famille des punaises, n’ont pas de mandibule mais un rostre grâce auquel paralysent victimes.
Il nous dit carrément que les dirigeants de l’APA s’en sont mis plein les poches, Marly s’est acheté maison à 100000 reais, quand il s’agissait de redistribuer 300 reais aux petits producteurs n’en donnaient que cent, etc. Il n’y a pas eu de procès car les socios sont travailleurs agricoles et ont autre chose à faire qu’à courir les tribunaux… Il emploie expression que j’ai entendu plusieurs fois concernant l’APA : « la direction s’est fermée » plutôt que de demander de l’aide, car crainte que l’on découvre les détournements. La CEPLAC leur avait fourni terrain, séchoir à cacao, et même un camion…
Il explique le manque de dynamisme et d’innovation par la colonisation elle-même : les gens sont arrivés, ont eu l’appui de l’INCRA et avaient tendance à suivre ses directives, très dépendants de l’organe. Problème structurel de ceux qui habitent les lignes : les filles envoyées en ville comme domestiques tombent dans la prostitution, le parcours scolaire des enfants est handicapé par le fait que les parents ne peuvent pas les aider, alors qu’en ville reçoivent de l’aide et ont de meilleures formations. Donc fils d’agriculteurs, moins bien formés, ont tendance à devenir agriculteurs également. « O agricultor é acomodado », « l’agriculteur est timoré » il veut dire par là que court les subventions mais ne fait pas preuve d’initiative, tous les projets innovants ce sont des techniciens qui les ont accomplis. Lui-même a un orchidarium et une pépinière, qu’il nous fait visiter. Il est passionné, possède des orchidées très rares valant plusieurs milliers de reais, son terrain enclavé entre route nationale et colline était un pâturage qu’il a entièrement reboisé, plein de bougainvillées à l’entrée.
Il nous invite Guillaume et moi à venir dimanche à neuf heures pour les soins donnés aux orchidées. Liz se refuse catégoriquement à épouser Olzeno même s’il faut soutirer d’autres informations.
Rentrant à l’hôtel le cerveau vibrant encore de toutes ces conversations, nous tombons d’accord sur une métaphore informatique « é muito dado pra processar » - ça fait beaucoup de données à traiter… Du coup me voici dans ma chambre recopiant sagement mon carnet.
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