Samedi, 5 juillet, vers 7h30
Hier soir, dîner au Caravelas, sur le fleuve obscur. Poisson-chat au lait de noix du Brésil, excellent. Nous avons discuté et rien réglé : Philippe a reçu sur son compte brésilien tous nos frais de mission mais il ne peut tirer que mille réaux par semaine et ne reste de toute façon que huit jours. Nous n’avons rien décidé au sujet de la voiture pas plus que pour ce qui concerne la date de départ.
J’ai l’impression que l’on m’a arraché une dent et que je suis encore sous anesthésie : cela se présente de manière compliquée (une fois à Ouro Preto, il y aura d’autres problèmes à régler, en particulier celui des déplacements de sitio en sitio, des rendez-vous à prendre, et jusqu’à présent nous n’avons aucun contact). Mais une amie de Philippe devrait se trouver sur place et elle saura sans doute par quoi commencer.
Manque encore l’autorisation et la lettre de crédence du Centre de développement durable de Brasilia sans laquelle toutes nos questions seront susceptibles de provoquer une arrestation pour biopiraterie…
Débora entre dans la chambre : elle est désormais blonde comme les blés – « fiz luzes » dit-elle ('j'ai fait des lumières'), et elle me tend ses belles mèches pour que je constate que la couleur ne part pas. Eperdu d'amour je lui annonce que nous sommes des espions à la solde du capitalisme international et en retour elle m'apprend qu'elle ira en janvier à Santa Catarina rencontrer le père de son fiancé. C'est peu délicat de sa part mais elle est toute jolie et pimpante alors qu’elle travaille de 19h à midi.
J’ai fini par demander à Philippe de trancher pour la voiture et nous avons décidé de la louer finalement, sur le budget Duramaz. Nous verrons si cela passe ou non, mais nous n’avons pas envie d’être à la merci de transporteurs véreux.
La chaleur monte lentement. Les moustiques ont fait leur la devise de Nicolas Sarkozy « travailler plus pour gagner plus » et ont adopté le système 3 x 8. Il y a à présent de grosses taches rouges sur le mur car je ne reste pas entièrement passif.
Débora repasse, s’adosse un instant sur le battant de porte, à contre-jour me demande si j’ai bien obtenu le rabais auprès du loueur de voiture – quand j’entre dans les détails ses cheveux volent, elle s’éloigne – « depois a gente se fala ! » puis elle redisparaît.
Je n’ai pu m’empêcher d’envoyer un mail à M. juste pour lui dire ce que je faisais, c'est à dire pas grand-chose. Nous n’avons pas mille choses à faire à présent que nous avons réglé le principal. Nous déjeunerons avec Rosario de l’Embrapa, amie de Philippe, et son collègue Ricardo. L'Embrapa est l'équivalent de l'Institut de recherche agronomique : l'organisme en charge d'accompagner et d'améliorer la production agricole et animale.
Rosario et Ricardo, bonnes fourchettes, optent pour la churrascaria Parana - je laisse au lecteur le soin de deviner par quels indices on apprend qu'il est interdit d'y fumer.
Nous parlons de l’huile de palme: le Brésil en importe de Malaisie alors même qu’il en produit 70000 ha (rendement 5 tonnes à l’hectare). La consommation ici est avant tout alimentaire, pas question d'en faire du biodiesel. Ils nous expliquent qu’à l’INCRA (l'Institut de la Réforme Agraire, réputé le pire ennemi de la protection de l'environnement) les postes n’exigent pas de qualification particulière. Très souvent il s’agit de postes politiques ; ils ont des programmes à respecter, doivent installer tant de paysans pauvres à l’année, peu importent les conditions et les moyens. C'est pourquoi les plans d'installation et de colonisation se présentent comme des damiers ne tenant nullement compte de la nature du terrain.
Dans l’après midi, je lis le rapport du GTA (Commission d'enquête pour l'Amazonie) sur le Rondonia et je découvre que la dévastation atteint les unités de conservation avec la complicité du gouvernement, et c’est bien normal : toute l'économie de cet Etat repose sur l’agriculture – et le trafic de drogue avec la Bolivie, accessoirement, l’assemblée législative locale n’a eu de cesse de rogner les aires de protection, le judiciaire n’a jamais donné suite à aucun procès, ce qui a découragé l’IBAMA et la police fédérale de poursuivre les confiscations de matériel. On a du mal à croire qu'il y a quarante ans la forêt d'ici était quasi impénétrée.
Même la FUNAI ne répond pas aux sollicitations, les Terres Indigènes (particulièrement Cinta Larga) sont systématiquement envahies et pillées. L’Etat est de colonisation récente, tous les colons, du plus modeste au gouverneur de l’Etat, ont intérêt à poursuivre le déboisement effréné. On voit écrit en gros des revendications du type « Fora IBAMA e Sedam, jagunços dos Yanks » ("dehors l'IBAMA et la SEDAM, pistoleros des yankees"). Dire la moindre chose contre la destruction de la forêt, c’est se mettre en danger. Les dirigeants prétendent se plier aux lois fédérales mais laissent faire, régularisent à tour de bras, envoient les vétérinaires de l’Etat vacciner les bœufs dans les zones incriminées. Il s’agit de crime organisé : les grileiros s’attachent les services du MST (Mouvement des Sans Terre) en promettant de redistribuer des lots sur les territoires conquis. Ils lancent des souscriptions – qui permettent, lorsque les fichiers sont appréhendés, d’identifier tous les individus impliqués, mais on les relâche aussitôt, avec des honneurs et des excuses.
Cette lecture me déprime franchement et je me rabats sur les programmes de télé - au programme Dumb et Dumber suivi de Starsky et Hutch avec Owen Wilson, mon acteur préféré.
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