Voici un intéressant article du Monde à propos des rapports du collagène du tyrannosaure avec celui de la poule. Plusieurs lignes d'analyse peuvent être déployées.
1) Les revues scientifiques publient aussi des bêtises. Je me souviens avoir lu quelque part que les mâles les plus actifs lors de la pariade chez les oiseaux de paradis étaient ceux qui se reproduisaient le moins, car trop occupé à se pavaner. L'auteur de l'article remettait en cause la sélection sexuelle proposée par Darwin.
2) Les journaux à grand tirage tels le Monde pourraient peut-être, comme ils le font pour la couverture du judiciaire, accréditer des journalistes disposant d'une formation scientifique. Je ne suis pas un spécialiste, mais le peu que je sais me permet de dire que cet article enchaîne les erreurs et les approximations. (Voir à ce sujet une intéressante note de David Monniaux)
3) On est donc fondé à se poser la question : cela est-il une sorte de plaisanterie ? La science au 2d degré ? La paléontologie à sauts et à gambade ? En ouvrant la porte à une contestation aberrante (les dinosaures seraient plus proches des amphibiens que des oiseaux), on tend à faire planer sur les sciences du vivant un soupçon de légèreté et d'affrontements grotesques.
Voici l'article en question :
Querelle de paléontologues autour du collagène de "Tyrannosaurus rex"
LE MONDE | 23.08.08 | 14h47 • Mis à jour le 23.08.08 | 21h23
DR
Selon Mike Buckley, certaines données suggéraient une plus grande proximité avec les amphibiens.
Tyrannosaurus rex, disparu avec le reste des dinosaures il y a 65 millions d'années, est-il l'ancêtre de la craintive poule ? John Asara (Harvard Medical School) en est persuadé. En avril 2007, il a présenté dans la revue
Une première équipe, dirigée par Mike Buckley (université de York) a mis en doute, au début de l'année, la validité de ces analyses. Selon M. Buckley, certaines données suggéraient une plus grande proximité avec les amphibiens. Cette première attaque, publiée dans Science, et à laquelle M. Asara a illico répliqué, est aujourd'hui suivie d'une nouvelle passe d'armes, dans le même hebdomadaire en date du 22 août.
TEL UN SINGE DACTYLOGRAPHE
L'offensive vient cette fois d'un groupe du département d'informatique et d'ingénierie de l'université de Californie (San Diego), emmené par Pavel Pevzner. Le ton de son "commentaire technique" est d'une ironie fort rare dans la littérature scientifique.
Pour poser le débat, MM. Pevzner et consorts évoquent la parabole du singe dactylographe. Imaginons-le faire 100 000 tentatives pour taper un mot de six lettres. "On serait surpris qu'il écrive un mot du dictionnaire du premier coup, expliquent les chercheurs, mais pas que cela survienne au fil des 100 000 essais." Maintenant, imaginons un enfant qui regarderait le singe taper et découvrirait sept mots correctement orthographiés : "L'enfant serait tellement surpris qu'il écrirait un article intitulé "mon singe connaît l'orthographe" ! et le publierait dans un journal scientifique."
Pour M. Pevzner, M. Asara est l'enfant au singe : l'informatique lui a permis de comparer tellement de séquences de collagène de son T. rex qu'il était fatal que quelques-unes correspondent avec certaines de la poule. Il n''est donc pas plus convaincu, rappelle-t-il cruellement, que par "l'annonce sensationnelle", en 1994, déjà dans Science, de la découverte jamais confirmée d'ADN de dinosaure. Il s'agissait probablement alors d'une contamination d'échantillon...
John Asara reconnaît qu'il n'est "pas déraisonnable" de penser que d'autres séquences que celles de la poule auraient pu correspondre aussi bien. Mais, vieux singe des joutes paléontologiques, il maintient sa position.
Hervé Morin
Article paru dans l'édition du 24.08.08.
Il faut d'abord savoir que l'on a découvert il y a quelques années de cela des ossements de tyrannosaure dans lesquels demeuraient quelques bribes de matière organique. On peut contester que ces matières soient exploitables, et peut-être était-il vain de prétendre reconstituer de l'ADN à partir de fragments vieux de 70 millions d'années. C'est là, ce me semble la seule question que l'on puisse se poser. Car la présentation que fait Hervé Morin, "Tyrannosaure = ancêtre de la poule", est truffée d'inexactitudes.
Les paléontogues ne raisonnent plus en termes "d'ancêtres" depuis plus de quarante ans. On élabore des modèles buissonnants en fonction des parentés évidentes, sur la base de l'existence d'ancêtres communs. Ces ancêtres sont hypothétiques, dans la mesure où la spéciation peut se produire au sein d'un groupe très restreint d'individus, et donc avec une faible probabilité d'être découverts plus tard sous forme de fossiles.
Par ailleurs, le "règne" des dinosaures s'étend du Trias au Crétacé, soit plus ou moins deux cent millions d'années. Les oiseaux sont apparus au Jurassique, il y a 140 millions d'années environ. Les tyrannosaures, eux, apparaissent au Crétacé supérieur, il y a 75 millions d'années. Ils sont donc deux fois plus proche de nous qu'Archaeopteryx, premier oiseau recensé. Parler "d'ancêtre" est ridicule : cela veut tout simplement dire que les dinosaures théropodes dont dérivent les oiseaux ont continué leur évolution tandis que les oiseaux s'éloignaient progressivement d'eux, suivant leur propre chemin évolutif.
Réduire la réflexion à tyrannosaure = poule permet d'affaiblir l'argumentation de l'adversaire. Le collagène est celui d'un tyrannosaure parce que c'est le seul dont nous disposions, et quant au collagène de poule choisi pour comparaison, il l'a été à titre d'exemple, par la facilité d'accès.
Lorsqu'un scientifique contre-attaque (qui d'ailleurs n'est pas paléontologue, cela est dit dans l'article mais n'a pas influé sur le titre racoleur) et cherche à ridiculiser l'adversaire, il faut comprendre de quoi il retourne. Ici, il s'agit de montrer qu'un fragment ancien de matière organique ne peut faire l'objet de comparaisons, car on peut en détourner les résultats en fonction de ce que l'on cherche à obtenir - prophétie auto-réalisatrice. La comparaison avec l'ADN de batracien était, je le suppose, destinée à montrer qu'à ce stade d'incertitude on pouvait démontrer n'importe quelle parenté, selon la lecture du code génétique.
La "querelle scientifique" mentionnée par le journaliste ne porte donc pas sur la parenté des dinosaures, mais sur la fiabilité des tests ADN à une telle distance temporelle. Le lecteur non éclairé aura quant à lui compris que les dinosaures ne sont pas apparentés aux oiseaux, mais aux grenouilles. Vulgariser est ici synonyme d'induire en erreur, bravo.
C'est juste.
M'enfin en meme temps, celui qui s'interresse a la science ne la lit pas dans le Monde... Enfin j'espere....
Rédigé par : Le Piou | samedi 30 août 2008 à 22:37