à l’attention du comité de rédaction
Paris, le 25 septembre 2008
Mesdames et messieurs les membres du comité de rédaction,
J’ai modifié mon article en suivant les instructions fournies par le relecteur. Afin d’épargner la peine des membres du comité de lecture, je vais suivre l’ordre de ses remarques en précisant à quel endroit de l’article j’ai introduit les modifications et en quoi elles consistent.
Page 1. ‘Caboclisation’. The use of this term should refer to Eugene Parker’s ‘Cabocloization: The Transformation of the Amerindian in Amazonia 1615-1800’, in E. Parker (ed.) “The Amazon caboclo: historical and contemporary perspectives”. I do not understand the comment in letter to the comité de rédaction where he says there is problem in privileging one literature over another. The author has not invented the term and he should cite previous work which speaks to his theme. I would also recommend he reads Deborah Lima’s essay on the term caboclo in the Amazon region. She argues that the term should not be used in academic writing since in the Amazon it is mainly a term of abuse.
à Concernant Parker et le terme de caboclisation, j’introduis une note dès la première page. Voici cette note : Caboclisation : Ce terme fut forgé par Delaunay (1984) et popularisé par Parker (1985).
à Concernant Deborah Lima et l’usage discutable du terme « caboclo », je réponds également par une note en première page : Caboclos : Nous partageons les scrupules de Deborah Lima (1999). Toutefois, s’agissant d’une autodésignation, souvent affectueuse, régulièrement employée par mes interlocuteurs, il peut sembler vain d’entrer dans un débat largement évoqué par Boyer (1992 ; 1999), Reesink (1983) et Grossi (2004). Deborah Lima elle-même, en dépit de ses réticences terminologiques, a participé à l’ouvrage édité récemment par Adams, Murieta & Neves (2006), Sociedades Caboclas Amazônicas
Since the author is interested in ‘endoconstruction’ I suggest he looks at the material from the Brazilian Amazon which discusses local constructions of identity (which have little to do with the use of the term caboclo). And therefore do not justify its use there in comparison with the northeast.
à Je développerai ma réponse ultérieurement. J’ai hésité à substituer « endoconstruction » par « construction », mais il me faudrait préciser alors qu’il s’agit d’une « construction par les intéressés eux-mêmes ». Je pense avoir quelque légitimité à employer ce terme, indépendamment des contextes géographiques. Il se trouve que j’ai étudié des processus de construction collective d’identité et d’élaboration de mémoires communautaires tant à Bahia (Nordeste) qu’en Amapá (Amazonie), et me fonde sur Tiphagne et Cavignac qui corroborent mes vues. Mais surtout, j’ai engagé depuis 2002 une réflexion à portée théorique sur le thème du « rôle des stéréotypes culturels dans les constructions identitaires ». J’ai dirigé une revue pluridisciplinaire sur le sujet (Anthropopotame, 2007). Cette réflexion me rapproche d’anthropologues ayant opté pour une démarche cognitiviste, tels Dan Sperber (1996) ou Pascal Boyer (2001). Après réflexion, j’ai donc décidé de maintenir le terme endoconstruction, mais j’accepterai de le modifier si le comité de rédaction y insiste.
Given this interest in ‘endoconstruction’ it is odd that the first part of the paper (caboclisation) offers a portrait of the colonial Amazon which talks only of the destruction of Amerindian societies. And not of their resistance or struggle to survive. The sources for such a perspective in Portuguese include essays in Manuela Carneiro da Cunha’s Historia dos Indios do Brasil, work by Nadia Farage and Flavio dos Santos Gomes, and in English work by David Sweet and Barbara Sommer (amongst much else). The section on caboclisation is superficial history – few sources are cited.
à Le reproche est fondé, et j’ai ajouté quelques références suggérées par le relecteur (Sommer, Cunha) et d’autres encore. Je me permets toutefois de rappeler que la première version de cet article envoyée au Journal en juin 2007 comptait une première partie historique détaillant les processus de destruction et de résistance, que j’ai supprimée pour tenir compte des remarques du premier relecteur, cela en janvier 2008. Je peux la réintroduire si le comité de rédaction le souhaite et si le premier relecteur en est d’accord.
To give one example. The legislation cited on page 2 - O Diretório dos Índios – (not Diretorias de Indios) was written specifically for the Amazon region. As the author may or may not know the region was governed separately from the rest of Brazil until the end of the eighteenth century (with different policies and laws etc). The Diretório dos Índios was applied in the rest of Brazil but never with the same force or results.
à La phrase qui est en cause ici est la suivante, située en page 3 de l’article : « Avec l’institution, par la Loi des Libertés (1755), des Diretorias de Índios, le modèle jésuitique de l’aldée sera perpétué (…) » Il me semble que le relecteur confond deux choses : le corpus juridique (Diretório de Índios) et son émanation administrative (les Diretorias de Indios). Afin de dissiper le malentendu, j’ajoute la note suivante, qui va dans le sens suggéré par le relecteur d’une plus grande précision historique : Les Diretorias sont l’émanation administrative du régime juridique dérivé du Diretório de Índios, édicté par le Marquis de Pombal en 1758, d’abord appliqué dans l’Etat du Grão-Pará e Maranhão (Amazonie actuelle) puis étendu à l’ensemble du Brésil lors de l’unification du territoire en 1771. (Cunha, 1992 ; Sommer, 2000 ; Sampaio, 2007)
In fact, I find myself in complete disagreement that there is much homogeneity between the north and the northeast of Brazil (another example might be the completely different ecosystems of the north and northeast).
à Le relecteur avait déjà fait part de son disagreement lors de la première version de cet article. Afin de prévenir le soupçon d’amalgame et de généralisation, je spécifiais déjà, dans la deuxième version, le resserrement géographique à mes propres terrains. J’ai en effet noté qu’il existait des différences écosystémiques entre Nordeste et Amazonie, pour y avoir travaillé respectivement 5 ans et 4 ans. Mon article s’inscrivant dans un cadre théorique, il présuppose qu’une théorisation est possible, c'est-à-dire que l’on peut s’autoriser un certain degré d’abstraction afin de pouvoir 1) comparer ; 2) élargir le champ de la discussion par le biais d’hypothèses que je défends mais que d’autres sont libres d’invalider. Voici le passage, situé dans l’introduction (p.1 & 2), que j’ai légèrement retouché afin de tenir compte des malentendus possibles :
Dire que le terme caboclo, ici et là, ne recouvre pas la même réalité (population rurale ou riveraine en Amazonie, Indien dans le Nordeste) traduit le fait qu’il est difficile d’appréhender des phénomènes sur une vaste échelle, ce à quoi cette étude voudrait précisément s’atteler. Pour cela, nous nous appuierons sur nos terrains bahianais et amazoniens : Terres Indigènes Pataxó (Bahia, 2001-2007), Terre Indigène Uaçá, Amapá (Karipuna, Galibi-Marworno et Palikur, 2005-2007), Réserve de développement durable de la rivière Iratapuru (Amapá, 2007), et communautés traditionnelles du littoral amapaense (Vila Velha do Cassiporé, quilombo de Cunani) en 2007 également. De ces différents terrains est né le constat de similitudes qui supèrent les dissemblances, ou qui s’offrent, tout au moins, comme des énigmes pour le chercheur.
(…) Nous insisterons particulièrement sur le caractère d’amnésie volontaire de cette transposition, en nous appuyant sur deux contributions qui complèteront notre approche, celle de Julie Cavignac pour le Rio Grande do Norte, et celle de Nicolas Tiphagne pour l’île de Marajó. L’aire géographique que nous nous proposons d’aborder couvre donc les Etats de Bahia et Rio Grande do Norte, le nord-est du Pará et l’Amapá. Mais des points de similarité existent d’un bout du continent à l’autre, comme en témoigne l’ouvrage de Pascale de Robert sur les « gens du blé » de l’Apure vénézuélien. Nous pensons que ces similarités traduisent un même processus de spatialisation du passé, d’un bout du continent à l’autre, et souhaitons ainsi ouvrir un champ de discussion.
Page 3-4. Amnésie. Why should they forget their conversion? This is a really interesting and important question about which there is some fascinating material in anthropology (by Olivia Harris, Peter Gow and Aparacida Vilaça for example). But the author takes it as obvious that such trauma would repress the memory. It is not at all obvious and needs explaining with a comparative sensibility.
à Le relecteur a raison de souligner qu’on ne saurait réduire l’amnésie au résultat d’un traumatisme. Aussi insistais-je, dans le corps de l’article, sur le caractère volontaire de cette amnésie, en attirant l’attention sur le fait qu’il y a un problème de compatibilité cosmologique entre l’Indien sauvage et le caboclo catholique. C’est le sens de mon ajout, en page 4 : La violence, tant psychique que physique, de leur catéchèse marquée par l’ultramontanisme (Arenz, 2003), explique en partie cette amnésie. Mais ne perdons pas de vue toutefois qu’il s’agit d’une amnésie volontaire (Pollack, 1986). Cette proposition nous amènera à constater qu’il existe des stratégies psychiques permettant, dans certains contextes, de se réapproprier un passé que l'on a jusque là rejeté, le statut de caboclo semblant bien souvent préférable à celui d’Indien mangeur de viande crue, qui pour un catholique constitue un repoussoir.
Page 5. ‘… Galvão et Wagley et, plus tard, Maués ou Peter Gow…’ what do these scholars have in common? Their interest in sedentary populations? Peter Gow studied the Piro in the Peruvian Amazon, Maués (Angelica or Heraldo?) studied fisherpeople (not indigenous or caboclos according to them) in Vigia on the Atlantic coast and Galvão and Wagley studied both indigenous and peasant people. I am afraid lists like this do not make anthropological sense, appear careless and show scant regard for scholarship.
à Le relecteur a parfaitement raison de souligner que cette énumération ne forme pas sens. Moi-même, après deux ans, je ne vois plus la raison d’aligner ces auteurs, même si je devais à l’époque entrevoir un motif. Je supprime donc le passage incriminé. Quant à savoir si je faisais allusion à Angélica ou Heraldo Maués, il me semble que le doute pouvait être levé en consultant le bibliographie en fin d’article.
Page 6. Last paragraph of the section. The paper from here on makes better sense but it needs a different framing to develop the material better. The move from Indian to caboclos and back to Indian again makes sense if one accepts that caboclos really exist. It is a social category (in Weber’s sense) as Deborah Lima shows and is thus an external construction, academic or Brazilian elite. One cannot say they moved from caboclo to Indian from an outside category to an inside one.
à Le comité de rédaction m’écrit que les remarques du relecteur « ne doivent pas entraîner de changement radical de [mon] point de vue ». Je puis donc me permettre d’être clair : pour moi, la réalité existe. Tout n’est pas « construction », donc pour moi, je le répète, la « nature », par exemple, existe bel et bien, contrairement à ce que suggère Diegues. Tout n’est pas de l’ordre du discours. Je postule donc, que « les caboclos existent réellement », qu’ils parlent d’eux-mêmes comme de gens vivants et non comme d’êtres fantasmatiques. Voici des extraits de mes entretiens à Iratapuru (Amapá) à l’été 2007 (je cite différentes personnes):
« Lá em Breves era ruim, o caboclo ia tirar madeira de madrugada, era pular na água, tinha lama por aqui acima.”
“Não tem nada a fazer. O caboclo anda no mato, vem macumbado, não mata bicho, bicho joga mau olhado pra gente...”
‘Ei caboclo, o menino é pobre e defamou mais do que eu!’
En voici d’autres, cette fois extraits de mes terrains sur le Cassiporé et Oyapock (Amapá):
“Mas elas não são brabas não, só tem umas que corre atrás do caboclinho.”
“Quem armava briga aqui, o pessoal se reunia e jogava o peão na água, pra mostrar quem era o dono, pro caboclo saber respeitar.”
“Porque o trabalho na pesca e na agricultura não é um trabalho fácil não, aí o caboclo fica meio mole e esmorece logo”
Les exemples que je pourrais fournir émanant du Nordeste sont trop nombreux et trop variés (chansons, récits, conversations) pour les énumérer ici.
J’ai donc le plus grand mal à comprendre comment une « construction extérieure, de l’élite et des académiques » est venue se faufiler dans la parole des habitants. Selon cette logique, le label « population traditionnelle » (terme préféré par Deborah Lima) me paraît sentir encore davantage son élite et son académisme, sans parler des « ribeirinhos » et « comunitários » que l’on entend parfois lorsque nos interlocuteurs sont mal à l’aise.
Pour conclure, toujours à propos de cette ultime remarque du relecteur, je pense avoir montré dans l’article qu’il y avait « réappropriation », de la part de populations rurales, marginalisées, de certains éléments du passé amérindien. Ce passé est générique, il est filtré par des interlocuteurs extérieurs à ces groupes, mais une fois les stéréotypes adoptés, une fois le rejet de l’Indien brabo surmonté, un processus interne s’enclenche, processus de maturation que j’ai longuement observé chez les Pataxó, mais qui fut validé par d’autres observations, et qui a fait l’objet d’un chapitre spécial dans la thèse de Gabriele Grossi (2004) qui leur est consacrée, chapitre intitulé « La Guerre des Noms ».
En vous remerciant de l’attention que vous aurez bien voulu porter à mes remarques et à l’ampleur de mes corrections, je me tiens à votre disposition et vous prie de croire en l’expression de ma considération respectueuse.
Eclaire ma lanterne s'il te plait! Ton article est écrit en anglais ou en français ? (ou alors tu as fait l'effort de traduire ta prose dans ta langue maternelle?)...
Rédigé par : Narayan | vendredi 26 sep 2008 à 00:44
L'article est en français, avec citations en portugais. Les comités de lecture de revues d'ethno sont constitués de spécialistes de différents pays, principalement France, Angleterre, Brésil, USA.
Je trouve incroyable qu'on veuille m'obliger à reconnaître la paternité de quelqu'un sur un terme dérivé (caboclo - caboclisation), surtout que le "père" en question ne reconnaît pas celle de Delaunay, que je cite à longueur d'article...
Mais !! Narayan ? N'es-tu pas en Espagne en ce moment, en train de te gorger de tapas ?
Rédigé par : anthropopotame | vendredi 26 sep 2008 à 07:41
Si fait, en Espagne je suis, mais la grâce du wifi de l'hotel me permet de surfer jusqu'ici.
Je vérifie d'ailleurs que 5 ans + 1 d'apprentissage de la langue de Cervantes ne m'est quasiment d'aucune utilité... à part merci, bonjour, au revoir, pffft tout est envolé (je dois massacrer les conjugaisons des rares verbes qui me sont restés en mémoire, et mon vocabulaire usuel se réduit à chorizo et cervesa ..)
Rédigé par : Narayan | vendredi 26 sep 2008 à 17:37
Euh, Narayan, on dit "cerveza" je crois...
Rédigé par : anthropopotame | vendredi 26 sep 2008 à 17:44
"ne me sont" semble mieux ...
Rédigé par : Narayan | vendredi 26 sep 2008 à 18:02