La vie est pleine de surprises.
Hier soir, vers 18h., tandis que je me prélassais en songeant à la réforme du statut des maîtres de conférences, une jeune femme a sonné à ma porte, me demandant si j'habitais ici il y a quatre ans, et si je ne me souvenais pas, une nuit, d'avoir été réveillé par des pleurs et des cris. Comme c'était bien le cas, elle a fondu en larmes, me demandant si je voudrais bien témoigner de cela en vue du procès qu'elle intentait à son ex-compagnon.
Je me rappelle parfaitement cette nuit-là. Muriel m'avait tiré du sommeil en me disant qu'il se passait quelque chose de bizarre dans la cour. Les fenêtres étaient ouvertes, et on entendait une voix masculine, menaçante, disant "Tu crois pas que je suis fatigué, tu comprends pas que j'en ai marre ?" Il sifflait cela entre ses dents, tenant manifestement la jeune femme et commençant à la frapper, tandis qu'elle pleurait après chaque coup, finissant par hurler à la suite de quelque chose qui semblait lui avoir fait particulièrement mal.
Je n'arrivais pas bien à comprendre d'où cela venait, j'ai pris ma grosse voix (celle que je tiens de mon oncle quand il donnait des ordres à son chien) et crié dans la nuit: "Monsieur, vous arrêtez cela IMMEDIATEMENT." Retour à la normale.
Et voilà, quatre ans plus tard, cette jeune fille vient me trouver, me remercie, et je réponds que, franchement, crier à quelqu'un d'arrêter de battre sa femme me paraît le minimum syndical et que j'aurais mieux fait d'appeler directement la police. Elle m'explique que cela arrivait régulièrement, et avait empiré après leur déménagement. Je lui réponds que malheureusement nous sommes tous capables de faire cela, huhu, on est comme ça, nous les hommes.
Je ne croyais pas si bien dire.
Car le soir même, voulant plier mon infortunée cavalière E. à un mouvement compliqué nommé volcada, voilà que je lui démets le bras ! Bien sûr, E. est préparée psychologiquement à recevoir de ma part toutes sortes de mauvais traitements, mais physiquement, c'est une autre affaire. Les accidents de tango ne sont pas si fréquents. On ne tombe pas dans les escaliers en plein bal. Et voilà, une jeune femme aux yeux verts aujourd'hui songe à moi comme à un brave type tandis que trônant sur son siège un magistrat lit mon attestation en jetant de lourds regards au prévenu violent, dans le même temps que la pauvre E. passe des ordres en bourse en se servant exclusivement de sa main droite et doit penser à moi comme à un misérable !
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