Aaaargh ! C'est juste le jour où j'ai des séminaires toute la journée que surviennent toute une série de commentaires appelant réflexion, réaction, bref, bien des choses qu'il m'est difficile de donner ce soir.
Avant toute chose, et cela s'adresse d'abord à l'ami Mouton, comment percevoir le malaise social qui règne en France? Eh bien, le simple fait que mon propre malaise me rende archi-sensible à tout ce qui témoigne d'un malaise est déjà le signe d'un malaise ! Tu as raison sur ma lettre, elle est trop vague. Rappelle-toi que j'évolue dans un milieu universitaire où les concours sont rois. Cela vaut en Lettres, en Histoire, en Philo, en Géographie, en Maths, et diverses autres matières. Mon HDR est en anthropologie donc je devrais échapper d'ici peu (si le Dieu de la Recherche - DR pour les intimes - le veut) à cette ambiance délétère. Je pense que je débloque un peu sur le sujet. Mets cela sur le compte de l'exaspération. Mais je suis bien placé pour savoir que le gouvernement s'apprête à investir lourdement dans les Grandes Ecoles pour qu'elles résorbent la fracture sociale, entérinant le fait que les Universités ne servent de rien, sinon à retarder l'entrée sur le marché du travail du tout-venant. Et cela me fait un peu mal, de me résigner à l'idée que nos belles universités soient secondarisées, cependant que les Grandes Ecoles gagneront en prestige et en financement. Je pense qu'il n'y a rien à faire d'autant que mon courant de pensée est minoritaire, et qu'il est pathétique de songer "c'est pourtant moi qui ai raison" alors même que j'ai peut-être tort. La conscience de mon égarement potentiel est ma grande faiblesse, cela m'empêche de devenir un leader charismatique :-)
@ Bergère : Tu es la bienvenue dans le programme 6e Extinction ! Je t'envoie par mail notre ligne directrice, tu me diras si tu y adhères. Je ne la publie pas parce que c'est une approche non pratiquée en France (nous l'appliquons en Amazonie) et je ne voudrais pas que l'idée soit divulguée pour l'instant.
@ Tschok : Vous parlez de l'anthropologie et renvoyez tout de suite à la nature humaine. Vous n'avez pas tort. L'anthropologie telle qu'elle est fondée par Kant Buffon porte sur "l'homme dans la nature et selon sa nature". A la différence de la psychologie, nous tenons compte des interactions et de l'environnement matériel et symbolique des individus. A la différence de la sociologie nous considérons que ce sont les individus qui sont à la base des systèmes et non les systèmes (ou ensemble de structures structurées appelées à devenir structures structurantes) qui font les individus. Nous naviguons donc entre Charybde et Sylla, cherchant toujours à intégrer le facteur "temps" à nos raisonnements, car nous travaillons sur le long terme, cinq ans, dix ans, de séjours intermittents dans une communauté, selon les liens que nous y avons tissés. Dès lors, nous avons mauvaise grâce à émettre des "conclusions". Nous percevons des dynamiques, nous évaluons des tendances, des facteurs d'équilibre et de déséquilibre, et dans mon cas particulier, des modes de coexistence avec la faune et la flore - ma perspective est environnementaliste, "écocentrée" comme on dit. Donc nous essayons de percevoir des états de chose en gardant à l'idée que ces choses évoluent. Si j'applique ma méthode d'analyse de discours (telle que je l'applique pour les caciques, les chamans, où les simples individus) à ce que les magistrats racontent quand ils sont en colère, je discerne des lignes de force telle que la noblesse du métier, l'héroïsme du quotidien, bref le sentiment d'assumer une mission. Je pense, à dire vrai, que si vous perdiez le sens de votre mission celle-ci s'effondrerait. Comme le dit Castoriadis, une société c'est d'abord "le tenir ensemble d'un monde de significations". La cohésion du monde judiciaire est à ce prix, et je déplore que la cohésion du monde universitaire ne soit plus qu'un souvenir. Quelque chose, à un moment, a glissé. Nous nous sommes effondrés, vous non. Tenez bon, donc. Concernant votre réflexion au sujet du sacré, je me suis abstenu d'employer ce mot car il n'est à user qu'avec des pincettes, dans notre domaine. Nous ne l'employons même pas s'agissant des esprits de la forêt chez les Indiens. Nous employons de préférence le terme "dangereux". Le sacré renvoie au divin, et toute crainte n'est pas d'inspiration divine - je vous renvoie à la note de Fantômette intitulée "La Peur". Toute peur ne provient pas du sacré, elle renvoie à des réactions physiologiques (gorge serrée, intestins noués) qui sont essentielles à l'exercice de la Justice. Peur du châtiment, milieu étrange gouverné par des règles hermétiques - le sacré est de trop, si vous voulez mon avis.
@ Fantômette: Votre commentaire tombe à pic (ajout du lendemain : et ma réponse est totalement à côté de la plaque). Hier j'ai eu pour cavalière au tango une jeune fille qui me parlait de théâtre du XVIIe puis pouffait, "mais bon, c'est mon métier", puis voulut m'expliquer ce qu'était un master - qu'elle considérait, en soi, comme un métier. Elle avait l'air si fière de ses études de Lettres - dont je savais qu'elles ne la mèneraient à rien - que j'étais partagé entre sa présomption et son innocence, et ne savais ce que je relèverais. Je l'ai laissée parler finalement. Le gros problème - et c'est l'anthropologue qui parle - est que nous sommes toujours dans une réflexion à deux niveaux: les individus et les systèmes. Un étudiant vraiment doué s'en sortira toujours, sauf s'il est très mal orienté. Ce sont les individus qui forgent leur destin. Ma déploration de l'état piteux des universités est aussi le constat que les bons étudiants nous font défaut. Ils vont en prépa, et n'ont pas tort; cela, bien sûr, nous démotive. Les bons étudiants, malgré tout, sont peu nombreux, et cela renvoie à un mal plus profond qui est le suivant : les humains ne sont finalement pas très intelligents. Nous sommes habitués à nous penser, en tant qu'espèce, en opposant toujours Rimbaud, Mozart ou Léonard de Vinci au chimpanzé lambda. Nous prenons toujours la moyenne du comportement chimpanzé, ou bonobo, ou éléphant, à comparer avec les exceptions humaines. Nos échelles temporelles sont limitées, nous avons du mal à appréhender la profondeur du temps, les cent mille ans qu'il nous faudrait pour penser l'évolution d'une espèce comme la nôtre, et c''est ce qui nous empêche de porter des jugements sur l'état de notre société.
@ Narayan : je désespérais d'un commentaire de toi aujourd'hui. Va pour Hache Déère, ou Hashdéaire, si Fantômette et toi êtes d'accord pour nommer ainsi ce Dieu ténébreux et puissant.
Tu remarqueras que je brille par la vacuité de mes commentaires. Mais je ne pense pas vraiment utile à 3 jours de mon audition devant le tribunal aéresque d'entretenir la morosité qui anime nos blogs respectifs depuis 2 ou 3 mois.
J'ai sacrifié près de deux ans à la gloire d'Hashdéhaire, et avec le recul je me dis que c'était une forme psychanalytique comme une autre ...
Avec à l'arrivée, un arrière goût d'inachevé, et paradoxalement l'envie de tourner la page de l'académisme sans toutefois en avoir *vraiment* le courage. Car après tout, que sais je faire d'autre, que tourner autour de mon nombril?
Rédigé par : Narayan | samedi 13 déc 2008 à 00:27
@ Fantômette :
Je relis votre commentaire, vous décrivez assez bien l'autisme qui frappe nombre de doctorants - évident en histoire, en lettres, en philo. L'ambiance est plus saine quand le doctorat se déroule au sein d'un labo, partie intégrante d'un programme de recherche. Je n'ai pas connu les difficultés que vous évoquez (allocation, concurrence), pour moi tout a été relativement facile, presque à mon insu. Je n'ai pris de réelle décision que du jour où j'ai décidé de laisser tomber les Lettres, et de me convertir à l'ethnologie. Cela explique à la fois ma méconnaissance des affres du doctorant et ma mauvaise foi actuelle.
@ Narayan: Força, querida, vamos pra frente !
Rédigé par : Anthropopotame | samedi 13 déc 2008 à 11:01
Je note qu'il n'y a pas seulement eu rajout au petit matin, mais également suppression, hum ? Je vous suggère d'aller encore un peu plus loin et de supprimer mon premier commentaire, qui n'a plus aucun rapport avec ce qui figurait initialement dans votre réponse à tschok (qui a gagné en sérieux ce qu'elle a perdu en spontanéité).
:-)
Rédigé par : Fantômette | samedi 13 déc 2008 à 13:09
Done, Fantômette !
Je ne puis vous refaire le coup du "tango ivre", cela deviendrait contre-productif.
A ce degré de spontanéité, on peut parler de stupidité, vous ne croyez pas ;-) ?
Rédigé par : Anthropopotame | samedi 13 déc 2008 à 13:24
@ Narayan : je te re-réponds alors que la journée est avancée. Samedi pluvieux, temps glacial... Je sors toujours un peu exalté des séminaires intéressants, mais les connexions neuronales se défont vite. Tu dis "que sais-je faire d'autre, à part tourner autour de mon nombril". De façon primesautière, je te dirais que certains nombrils sont plus intéressants que d'autres. Plus profondément - et c'est le doute qui m'accable aujourd'hui, où je suis en pleine aboulie - j'ai peur de faire de ce blog un équivalent de Facebook où je livrerais mon état d'esprit en une phrase comme si cela présentait le moindre intérêt. Au départ il s'agissait pour moi de passer mes nerfs afin de conserver ma neutralité scientifique dans mes articles. Mais à mesure que je gagne des lecteurs, je me sens moins libre de dire des bêtises, ce qui me fait osciller entre le guindé et le stupide. Ma première démarche ce matin a été de reprendre la note d'hier soir et de censurer ses outrances, particulièrement l'ironie facile. Bref je me sens, comme toi, morose.
Rédigé par : Anthropopotame | samedi 13 déc 2008 à 16:07
Cher anthropopotame,
Je vous sens effectivement morose.
Vous savez, je ne viendrais pas lire votre blog, et surtout, je ne prendrais pas la peine de commenter, si je ne le trouvais pas intéressant, qui plus est très bien écrit. Son éclectisme même - pour un profane comme moi qui ne connait rien à l'anthropologie - est plaisant, car il permet - passant d'une note d'humeur, à un billet de fond, d'une "bêtise" à un coup de gueule, de comprendre la matière, à la fois sur le fond et sur la forme.
Bon alors je ne suis pas en train de dire que ma caution morale doit suffire à illuminer votre journée, mais bon, j'espère tout de même qu'elle contribuera à l'éclaircir légèrement (merci le cas échéant de me laisser mes illusions sur ce point : venir les briser d'un mot serait singulièrement vexant).
Si vous avez échappé à la sélection telle que je la décris dans mon post sous "hôtel Foch", il ne faut pas vous étonner de vous sentir détonnant dans le monde universitaire. Vous êtes un outsider, ça se paye toujours plus ou moins cher.
L'avantage de l'outsider, c'est le recul et donc la clairvoyance. Je m'empresse de préciser que c'est également sa malediction. Contrairement à ce que prétend le proverbe, le problème des voyants au royaume des aveugles, c'est que personne ne les croit quand ils racontent ce qu'ils voient.
Ceci dit, je serais, dans l'ensemble, moins pessimiste que vous.
L'Université n'a certes pas fini une mutation dont on ne comprend pas les tenants et les aboutissants. Elle ne me semble pas pour autant vouée à trahir sa mission initiale.
Je suis fait récemment la réflexion suivante, suite au mouvement des magistrats du 23 octobre dernier. L'avantage d'être abandonné par les autorités de tutelle, c'est que cela vous laisse également plus libre.
Je crois, à bien y réfléchir, qu'il faut parvenir à désinvestir le rapport vertical que vous entretenez avec vos propres autorités de tutelle. Il faut horizontaliser vos problématiques, et aller chercher vos véritables interlocuteurs. Je sous-estime très certainement les lourdeurs et les contraintes qui sont les vôtres, c'est fatal, je ne fréquente pas assez ce milieu. Mais de loin, et (reconnaissons-le) très imparfaitement, j'ai tout de même cette impression récurente d'une institution qui vacille sur ses bases, surtout pour n'être pas assez certaine de son autonomie, de son autorité et de ses mérites.
Rédigé par : Fantômette | samedi 13 déc 2008 à 18:23
Fantômette, merci mille fois, sincèrement. Je n'ai rien fichu de la journée (il est vrai qu'on est samedi)paralysé par le doute qui finit par embrasser ce blog. Il y a beaucoup de justesse dans ce que vous dites sur l'avenir de l'Université. Le problème qui se pose à Neverland et plus particulièrement dans mon département est l'impossibilité de m'intégrer à une équipe dont je diverge de plus en plus. Faute d'avoir su me montrer convaincant, sans doute. Tenez, voici le mail que je reçois aujourd'hui d'une collègue qui m'explique pourquoi elle signera la lettre collective à laquelle je m'opposais:
"Cher Anthropopotame,
Je partage plusieurs de tes points de vue, tu t'en doutes. Le problème je crois, est que cette lettre est faite et signée par beaucoup de monde et qu'il n'est plus question de la rerédiger maintenant. Avec tout le jargon syndical que tu veux et toutes les revendications de celles et ceux qui tremblent pour leur situation (facile) actuelle. J'ai longuement hésité, j'ai proclamé que je ne la signerai pas! Puis, B. (qui est comme moi, anti concours, comme tu sais), m'a convaincue hier soir. Je me suis dit que si le nom de la responsable du Master n'apparaissait pas parmi les signataires ce serait bizarre et je n'ai pas voulu me désolidariser des collègues. Je souhaite depuis que je suis en France (25 ans) l'abolition des concours, mais maintenant je tremble face à la "capesisation" du master qui nous menace avec les collègues qui souhaitent garder tous les exercices d'explication de texte et de traduction dans le cadre du master recherche…"
Voilà, c'est une collègue que j'estime beaucoup mais qui me déclare ne pouvoir me suivre au vu des conséquences d'une position contraire à celle de la majorité des collègues. J'ai connu ça tout au long de ma carrière.
Pour finir, je ne balaierai pas vos illusions : oui, votre commentaire éclaircit ma journée, alors même que le soleil vient de se coucher - vous êtes très forte, vraiment.
Rédigé par : Anthropopotame | samedi 13 déc 2008 à 18:51
Bonjour Anthropopotame,
J'ai dû louper des épisodes, mais tant pis.
Bien sûr que je veux votre avis!
Donc, le sacré est de trop selon vous.
Ce n'est pas mon avis, mais globalement la société va vers ce que vous dites: elle pense que le sacré est de trop, et donc, elle s'en passe pour lui substituer de l'émotion.
J'ignore si on y a gagné au change. Etrangement le procès devient moins esthétique, mais tellement plus spectaculaire.
Cela dit, on peut aussi faire varier la définition du sacré. En posant que le sacré ne renvoie pas forcément vers le divin - ce qui est très codifié d'ailleurs - tout en évitant le tabou, on peut discerner dans le sacré une construction sociale qui s'élaborerait par rapport à la verbalisation de l'interdit: la nécessité d'une cérémonie pour "valider" la transgression d'un interdit, ou au contraire pour la punir. Et en tout cas pour l'expliquer.
Par rapport également à une dimension mythologique de l'être humain.
Par rapport enfin aux loi elle mêmes.
Si on reprend ces trois éléments on a:
- Une "cérémonie" (le procès) particulière en ce sens que ce n'est le rituel qui dicte la fin de la cérémonie, alors que les cérémonies de type religieux prennent fin, et ont toujours la même fin, une fois que le modèle du rituel est entièrement déroulé;
- Une dimension mythologique de l'être humain: au bas mot, il s'agit de faire ressembler l'homme à un idéal (le bon père de famille du code civil par exemple) alors que dans une cérémonie religieuse il s'agit souvent de complètement autre chose (recevoir la grâce divine, se remémorer le souvenir des témoins de la présence divine ou des acteurs de sa volonté, comme le Christ, Moïse, Noé, etc, faire passer un défunt dans l'autre monde, accueillir un nouveau né par le baptême dans ce monde ci, etc)
- La loi: dans le procès la loi est réinventée. Elle est donc discutée pour être interprétée. Dans les cérémonies religieuses, on ne discute pas la loi, elle est là et on l'applique. Dans d'autres cadres, oui, le religieux discute la parole divine, mais pas au cours des cérémonies.
Donc, le judiciaire renvoie effectivement vers une notion du sacré, qui est peut être de trop, et qui le serait certainement s'il était de nature religieuse, mais qui est d'une nature différente.
Rédigé par : tschok | lundi 15 déc 2008 à 17:29
Hmm, Tschok, il sera difficile de faire converger le droit et l'anthropologie si vous torturez nos concepts. En anthropologie, le sacré renvoie au divin, donc vous pouvez envisager de le "profaner" de mille manières, nous autres n'appellerons plus cela du sacré, mais du vénérable, du redoutable, de l'interdit, ce que vous voudrez. Vous récusez qu'un procès renvoie à la peur, que vous réduisez à l'émotion sensationnaliste, mais non, la peur est un élément essentiel dans la construction des individus, la peur du châtiment entre autres, mais aussi la peur de l'inconnu. Il ne s'agit pas de la peur qui fait monter l'adrénaline, mais la peur qui menace la cohésion de la personnalité, l'intégration des limites, etc. Parlons de 'limites' plutôt que d'interdits (tous les procès ne portent pas sur une infraction aux 10 commandements).
Ensuite vous parlez de dimension mythologique. Là encore, je bondis, malgré le froid paralysant. Oedipe est un mythe, Prométhée est un mythe, mais pas le "bon père de famille". Il s'agit d'une norme sociale (à la rigueur un archétype) à laquelle on est prié de se conformer: les déviances sont appréciées selon cette norme - notez au passage que les personnages mythiques sont majoritairement des êtres transgressifs. Ce que vous risquez là n'est pas une analyse, mais une analogie, et là votre pouvoir métaphorisant est votre seule limite.
D'accord en revanche pour l'emploi de rituel, de cérémonie. Quant à la fonction, elle est bien entendu d'ordre à la fois symbolique et pratique (purgation, catharsis, neutralisation, apaisement, etc.). Je vous renvoie à un excellent petit livre de Pierre Legendre, 1996, "La Fabrique de l'homme occidental", éditions 1001 nuits.
Mais, pour citer Fantômette, je n'y connais pas grand chose !
Rédigé par : anthropopotame | lundi 15 déc 2008 à 19:58
Arf!
Je me doutais bien que je n'étais pas très doué pour l'anthropologie :))
Surtout pour la faire converger avec le droit, ce qui n'était certes pas mon intention (manque de clarté dont j'assume la responsabilité).
Sur le concept de sacré: je prends bonne note que le concept est académique et qu'en conséquence il est indéformable. Soit.
Je le regrette car je pense qu'un concept de sacré qui ne renverrait pas obligatoirement au divin serait bien commode, si j'ose dire. Encore que ce ne soit pas un mot qui colle très bien avec l'idée de discipline scientifique.
Juste un détail: loin de moi l'idée d'évacuer la peur, mais je note avec intérêt que vous avez perçu cette absence comme un manque, ce qui me renseigne sur ce qu'un anthropologue peut considérer comme un objet d'étude quand il considère le phénomène justice.
Sur les mythes: effectivement je confesse que je me référais plus à une acception politique du mythe, le mot politique étant pris au sens large (comme dans l'expression "l'homme est un animal politique").
Il est évident qu'une acception trop large du mot politique fait rapidement arriver à une pensée du type "tout est politique" qui, du point de vue scientifique, est une impasse à mon avis.
cela dit, allais-je dire (quand on fait plusieurs chose à la fois on se plante) cette acception me permettais d'intégrer la notion de "modèle" comme vous l'avez remarqué, donc le mimétisme.
Et il se trouve que j'associe la dimension mythologique à la faculté de mimétisme de l'être humain. Mais je pense que là, on est plus dans le comportement que dans l'anthropologie. Je compte me sensibiliser à la matière en fouillant votre blog, par ailleurs touffu.
Reste une dernière question: mon précédent commentaire était il une simple analogie métaphorisante ou le début d'une analyse?
Question en réalité passionnante parce qu'elle renvoie à votre façon de percevoir les outils conceptuels qui sont utilisés par d'autres que vous hors de votre propre discipline, mais dans un domaine voisin.
Votre réaction, plutôt objectivement négative, laisse penser que ce que j'emploie en tant que concept dans le cadre d'un raisonnement qui m'est propre, n'est plus un concept pour vous dans le cadre d'un raisonnement qui vous est propre.
Il se dégrade, il se disqualifie.
Dès lors, il est permis de penser que les sciences humaines sont réparties en disciplines académiques étanches et autonomes. Voire rivales.
Or je crois savoir que certains chercheurs militent pour une unité des sciences humaines.
Vous en pensez quoi, vous?
Rédigé par : tschok | mardi 16 déc 2008 à 12:03
anthropopotame,
Je ne crois pas que tschok ait véritablement l'intention de faire converger droit et anthropologie. Il en découle qu'il ne faut pas s'offenser de l'utilisation qu'il peut faire, aussi bien que moi-même, de concepts dont la définition est précise dans votre domaine d'expertise, mais qui ont également une définition moins rigoureuse et plus commune, à laquelle vous devez supposer que nous faisons référence.
Ceci dit, pour ne parler que de mon point de vue, je trouve que vous disqualifiez un peu vite le recours au sacré.
La symbolique judiciaire est indubitablement marquée par le sacré. Elle regorge de références à un sacré, qui ne correspond sans doute pas à ce que vous définiriez comme sacré, quoiqu'il nous soit loisible, en réalité, de nous interroger sérieusement sur ce point. Car vous dites, et je vous crois volontiers, que le sacré renvoie au divin. D'accord. Mais ne faisons-nous pas que décaler le problème ? Où se trouve le divin ? Qu'est-ce que le divin ?
S'il peut se (re)trouver ne serait-ce qu'un tant soit peu dans la faculté extra-ordinaire de mettre un terme (autoritaire) aux conflits, alors la référence au sacré dans l'espace rituel judiciaire s'impose.
Il nous est, du reste, imposé, par notre histoire. Costumes de clercs, formules sacramentelles (qui doivent impérativement être prononcées pour parfaire certaines procédures - c'est le cas en matière de saisies immobilières), boiseries des salles d'audience...
Et tschok, qui exerce au barreau de Paris, à chaque fois qu'il plaide chez lui, plaide à deux pas de la Sainte Chapelle, enchâssée dans le Palais de Justice.
Bref, lorsque l'on rend la Justice, lors même que l'on n'y participe qu'à titre auxiliaire (les avocats sont auxiliaires de justice), le sacré - jusques et y compris la référence à un ordre divin pacificateur - est, et demeure, visible, sinon lisible.
Sinon lisible, parce qu'effectivement, il s'agit là de références devenues relativement imperceptibles à une hauteur d'homme moderne.
Demeurant visibles - et impressionnantes - elles renvoient aujourd'hui moins au sacré qu'au spectaculaire. On ne sait pas exactement pourquoi on est impressionné par une audience, mais on est impressionné. Le spectacle, c'est ce qu'il reste du symbole devenu indéchiffrable.
Il est là, le spectacle et le sensationnalisme dont parle tschok.
Il ne récuse pas l'idée qu'un procès "renvoie" à la peur, il ne parle pas de la même que vous.
La peur des prévenus, de ceux qui doivent se tenir debouts à la barre, sous le feux croisés des questions roulantes et des regards courroucés, est celle dont vous parlez, qui menace la cohésion de la personnalité.
La peur "sensationnelle", la dimension spectaculaire du procès moderne, est celle qui est portée par le public (et je vous rappelle que tous les procès sont publics). Y compris ce public lointain et plus ou moins fictif qu'est l'opinion publique.
Celle-là ne menace pas la cohésion, elle la renforce - mais on ne parle plus de la cohésion d'un individu, on parle ici de cohésion sociale.
Autour des trois principes décrits par tschok, qui s'ils ne structurent pas un ordre sacré entendu strictement, du moins renvoient à un ordre symboliquement puissant et violemment régulateur, dont la fonction évoque celle que l'on pourrait attribuer au sacré, à savoir rassembler autour de la construction commune d'une réaction à un comportement transgressif. Ceci au moyen d'outils ou d'instruments que l'on retrouve classiquement dans le procès comme dans des cérémonies religieuses de tout poil : le rituel, le destin - que l'on peut préférer qualifier d'archétypal, plutôt que mythologique, si vous voulez, et la règle.
Rédigé par : Fantômette | mardi 16 déc 2008 à 12:17
Cher Tschok, pardon si je vous ai donné l'impression de me draper dans la toge de l'académisme. En sciences sociales, nous ne faisons pas usage d'éprouvettes ou de compteurs Geiger, mais d'outils conceptuels : les concepts. Le mythe, le sacré, la prédation, l'échange, la nomenclature de parenté, le chamanisme, l'animisme, sont autant de concepts, qui pour être opératoires doivent avoir un contenu stabilisé. Je vous rappelle ceci : des outils, donc, qui nous permettent de travailler, de réfléchir à des phénomènes qui se rapportent aux esprits, aux ancêtres, à l'organisation sociale, et pas uniquement à les ranger dans des tiroir en disant "bon, ça c'est du chamanisme, on passe à autre chose". Il s'agit de travailler à des réalités, à les appréhender, à les percevoir dans leur singularité mais aussi à les intégrer dans un cadre de référence ("manifestation chamanique", "récit mythique") qui nous permettent de les comparer à d'autres manifestations, dans d'autres cultures, ou d'un chamane à l'autre, ou d'un village à l'autre.
Les outils évoluent, mais ils doivent garder leur caractère d'outil, sinon ils finissent par dépendre entièrement de leur utilisateur et les autres ne peuvent pas s'en servir. Si vous voulez, je publierai une note (un extrait d'un de mes livres) qui porte précisément sur le sacré et ce qui n'en relève pas (je m'étais fait taper sur les doigts car j'en avais abusé).
En droit, une fois que vous qualifiez quelque chose, cela signifie que vous vous êtes entendu sur le sens que peut avoir cette chose, du genre "emphytéotique" (je ne sais pas comment ça s'écrit). Si chacun y va de sa définition, ce n'est plus du droit, mais du tordu...
La convergence des concepts scientifiques est bonne et nécessaire, par exemple le terme "résilience" n'a pas le même sens en écologie, anthropologie, psychologie. Toutefois on peut s'entendre sur une détermination moyenne qui nous permet de travailler ensemble. Mais cela n'est possible que parce que résilience recouvre la même chose pour tous les anthropologues, la même chose pour tous les écologues, etc. Si chaque anthropologue, chaque écologue avait la sienne, nous n'en sortirions jamais.
Je ne voulais pas vous offenser en prétendant que vous vous lanciez dans une analogie métaphorisante. C'est juste que si vous commencez en disant "Bon, j'ai ma propre définition du sacré, à partir de laquelle je vais raisonner", vous m'indiquez que je ne puis contribuer à votre réflexion parce que vous ne voulez pas me prêter votre tournevis:-)
Rédigé par : anthropopotame | mardi 16 déc 2008 à 12:29
(oups tschok nos coms se sont croisés)
Rédigé par : Fantômette | mardi 16 déc 2008 à 13:34
tschok nos posts se sont croisés désolée
Rédigé par : Fantômette | mardi 16 déc 2008 à 13:38
Au contraire, si je définis mon tournevis, même succinctement, c'est pour vous le prêter (si vous en voulez) et non pas pour commencer de façon egocentrée un raisonnement qui risque de s'essouffler bien vite.
Je partage presque complètement votre point de vue sur la question du vocabulaire et la nécessité d'une certaine unité des définitions des mots et des concepts, sur le fait qu'on puisse "négocier" des définitions médianes interdisciplinaires ou transdisciplinaires.
L'immense avantage de ce système est de permettre un échange de gros paquets d'informations entre les personnes qui dialoguent (pour dialoguer il faut un protocole commun, c'est valable même pour les ordinateurs).
L'inconvénient est la rigidité du système.
Personnellement, j'ai constaté que les systèmes de communication rigides sont très efficaces dans l'échange des données, et donc dans la rigueur des analyses, mais peu créatifs.
Or le travail de recherche implique de la créativité (cet impératif s'applique je crois aussi bien au juriste qui doit chercher et trouver une solution à un problème).
C'est pourquoi, parfois, j'ai tendance à prendre la tangente en ayant recours à "l'analogie métaphorisante", pour reprendre votre expression qui n'est nullement offensante, et que je trouve très pertinente, que je nomme pour ma part "puissance évocatrice du verbe".
Mais c'est un acte volontaire (enfin... la plupart du temps).
Fantômette est mon interprète officiel, ce qui ne l'empêche pas d'avoir ses propre idées. Là, pour faire coller la définition du sacré à la justice, elle fouille la notion de divin pour y discerner des éléments cachés qui vont lui permettre de dire que le religieux hante le réel judiciaire, qu'il l'habite, qu'il est présent même s'il ne se manifeste pas de façon immédiatement visible.
D'une certaine façon elle recourt également à la puissance évocatrice du verbe.
Ensuite, toujours dans la ligne du sacré, cependant réduit à sa dimension symbolique, elle décrit un justiciable - donc un homme - qui devient sous sa plume la cathédrale de ses peurs, relativement à un regard public organisé en cercles concentriques.
Cela me semble très juste.
Mais alors que dans mon premier com je ne parlais que des mécanismes du sacré, Fantômette ne parle elle aussi que des éléments extrinsèques au sacré. Les accessoires, quoi. Le decorum.
Nous ne sommes donc pas encore au coeur de sacré.
Rédigé par : tschok | mardi 16 déc 2008 à 13:59
Posons, chers Tschok et Fantômette, qu'il existe une Justice d'ordre divin. Elle a existé: ce sont les ordalies, les oracles, prononcés solennellement dans un cadre majestueux, sacré. Ces décisions n'étaient pas susceptibles d'appel. Votre avocat, ma foi, ne pouvait pas grand-chose - la profession d'ailleurs n'existait pas, car les Dieux n'ont pas besoin d'auxiliaire.
Aujourd'hui, la Justice est rendue par le peuple au nom du peuple. Il a fallu pour cela la désacraliser, c'est à dire la sortir de l'ordre du divin pour l'intégrer à l'ordre social. Il va de soi qu'elle ne saurait être rendue en basket au café du coin, elle est ritualisée car c'est le gage de son immanence : elle s'inscrit dans un espace mais aussi dans un temps symboliques, qui n'est pas celui de l'action et de la vie quotidienne (sauf quand un ministre fait évoluer la loi au rythme des affaires). Symbolique ne veut pas dire sacré : cela veut juste dire qu'aucun des intégrants n'en a une vision totale. Cela n'interdit nullement de contester le jugement, de pester contre son avocat, etc. Vous voulez à toute force, Fantômette et vous, assimiler la majesté, la solennité, au sacré, je réponds juste qu'il faudrait justifier alors du caractère divin de la scénographie et des jugements rendus.
On tombe sur les mêmes os lorsque l'on veut expliquer la société des hommes par la comparaison avec la société des fourmis - et je ne crois certainement pas que l'une soit supérieure à l'autre, elles sont juste différentes. Si vous laissez flotter les concepts - disons, par créativité - vous allez trouver toute sorte d'analogies que vous jugerez fort éclairantes, mais que pourrez-vous conclure ? Pas grand-chose, à part "elles sont différentes". Mais vous n'aurez ni mieux compris la société des hommes, ni celle des fourmis, vous aurez juste exprimé votre capacité analogique. Pour les comparer, il faudrait d'abord définir ce que vous aller comparer entre elles, par exemple les modes d'organisation, les modes de relation, et non pas "la société" en elle-même. Vous pouvez donc comparer Justice divine et Justice humaine mais pas en vous laissant aveugler par les analogies superficielles dues au fait qu'elles répondent à un même besoin social : celui de Justice. Cela pourrait mener à des affirmations totalement contraire à votre pensée initiale, comme par exemple le fait qu'une Justice menée tambour battant, sans contradicteur, sans appel, serait plus "sacrée" alors même que nous la jugerions intolérable.
Rédigé par : anthropopotame | mardi 16 déc 2008 à 14:21
Votre com est très intéressant sur un point vers lequel je reviendrai, juste après quelques précisions.
Je vous cite: "Vous voulez à toute force, Fantômette et vous, assimiler la majesté, la solennité, au sacré, je réponds juste qu'il faudrait justifier alors du caractère divin de la scénographie et des jugements rendus."
Si Fantômette ou moi nous vous avons fait croire une chose pareille, alors on est trop bavards et pas assez précis.
Je crois que nous avons tous les deux la perception très nette que le decorum ne fait pas le sacré. Le signe ou le symbole du sacré n'est pas le sacré lui-même. L'apparence n'est pas l'essence, ou l'accessoire n'est pas le principal.
Intellectuellement, la distinction n'est pas problématique, encore que ...
Pour un thèse contra, je peux poser qu'un phénomène n'existe que par sa manifestation. Par exemple: un moteur qui chauffe -phénomène - se manifeste par une élévation de sa température - la manifestation. Oui, mais précisément c'est la même chose, car c'est bien la manifestation du phénomène qui fait qu'il existe.
Dès lors, et en raisonnant par analogie, je peux affirmer que le sacré existe dès que j'ai manifestation du sacré consistant en un rituel ou des représentations symboliques X ou Y.
Or, précisément, et là je ne parle que pour moi car Fantômette n'est pas là, ma thèse n'est pas celle là.
Je distingue le sacré - qui peut être d'essence divine, ou non selon moi (mais j'admets votre définition)- et ce qui permet sa manifestation sociale. En Inde, ce n'est pas la vache qui est sacrée, c'est ce qu'elle représente.
Deuxième précision: pour ma part je n'ai pas comparé justice divine et humaine, mais justice humaine et cérémonies religieuses, pour dire que les deux ont des modes opératoires et des finalités différentes.
L'assimilation de l'une à l'autre, ou leur comparaison, est sans doute un objet d'étude intéressant à une difficulté près: la justice divine relève du récit légendaire. La justice divine, c'est le Déluge ou les plaies de l'Egypte. Conséquence: le juriste entrevois immédiatement que le "précédent" est d'une analyse problématique, alors que dans le cas de la justice humaine, le précédent se trouve dans les recueils de jurisprudence où il donne lieu à commentaires.
A partir de là, je doute de parvenir à une description du sacré, ou à une compréhension de ce que ça peut être, en comparant justice humaine et justice divine.
Pour faire court, je peux définir le sacré comme une interdiction de porter atteinte à quelque chose qui est transcendant.
De là, on peut certes penser au divin, puisque dieu est transcendant.
Certes, mais il n'est pas le seul car précisément, l'homme a décidé que dans certains de ses attributs, il l'était également. Voire supérieurement à dieu. Voire encore exclusivement. Exit dieu.
Voilà donc la figure de l'homme qui surgit dans le sacré.
En fait le sacré renvoie à la transcendance. Lorsque cette transcendance est d'origine non divine, elle se définirait plutôt comme une immanence: le sacré est immanent à l'homme, dirait on.
Ce vocabulaire est bien évidemment emprunté au vocabulaire religieux. La pensée athée, laïque ou tout simplement humaniste, a réinvesti ce vocabulaire en le restructurant (existentialisme par exemple).
Ce travail nous a occupé une partie du XIXième et du XXième siècles.
Aujourd'hui, c'est fait. D'autres problèmes se posent. Que vous abordez d'ailleurs dans votre blog.
Tout cela pour vous dire, à grands coups de haches et pour faire court, que je distingue très clairement d'une part ce qui relève du sacré religieux (les dogmes) de ce qui relève du sacré non religieux, et d'autre part ce qui relève du sacré religieux ou pas du rite ou du symbole.
Ce qui m'a intéressé, je vous cite: "Symbolique ne veut pas dire sacré : cela veut juste dire qu'aucun des intégrants n'en a une vision totale. ".
C'est quoi un intégrant?
C'est quoi une vision totale?
Pourquoi, pour qu'il y ait symbole, faut il une vision parcellaire de ce que le symbole représente?
Pourquoi juste un morceau?
Rédigé par : tschok | mardi 16 déc 2008 à 15:27
Imaginons un match de football de haut niveau. Vous avez un cérémonial (l'entrée des joueurs, les hymnes), un historique ("c'est la xème fois que ces deux équipes...") un certain nombre de règles, des décisions non susceptibles d'appel, vous avez l'intervention du destin (la "main de Dieu", le "sort s'acharne sur l'équipe..."), vous avez une ferveur indescriptible, communion solennelle, etc.
Imaginons à présent que deux joueurs de très haut niveau s'acharnent sur un pauvre anthropopotame en lui disant que le football est sacré. Que dira l'infortuné mammifère? Il dira: ma foi, pourquoi pas, mais en tant qu'anthropologue je n'évalue pas la présence du sacré au cours du match, puisque, toujours en tant qu'anthropologue, le sacré n'est pas pour moi une présence effective (que je serais chargé d'évaluer) mais un concept. Quand vous me parlez de "sacré non religieux", c'est comme si vous évoquiez l'existence d'un "père Noël sans barbe" : il faut d'abord que le Père Noël soit autre chose qu'une représentation pour pouvoir déterminer s'il a une barbe ou non. Donc mon attention va plutôt se porter sur cette nécessité qui semble la vôtre de faire intervenir la sacralité dans votre pratique. Et voilà ce qui s'appelle "botter en touche"!
Rédigé par : Anthropopotame | mardi 16 déc 2008 à 15:58
Le sacré est un concept, je vous suis fort bien.
Ce n'est donc pas une "présence" qui manifeste l'existence d'une personne.
En d'autres termes (à 100% dans le concept religieux) ce n'est pas une révélation. Ou Révélation.
D'où mon désarroi lorsque vous me parlez d'un père Noël sans barbe qui ne pourrait "exister" qu'à la condition d'être autre chose qu'une représentation, alors que conceptuellement, il me suffit d'imaginer un père Noël sans barbe pour qu'il existe en tant que concept.
La meilleure preuve en est que c'est très exactement ce que vous venez de faire vous même en parlant d'un père Noël sans barbe.
cela dit un père Noël a "nécessairement" une barbe car il est une représentation d'un père, Noël, avec une barbe, un habit rouge, des jouets dans sa hotte, un traineau tirés par des rennes. Et c'est un mec sympa en plus.
La décision intellectuelle qu'il faut prendre est la suivante: soit on admet qu'il y ait un père Noël légèrement différent du concept initial, c'est à dire sans barbe. La question qu'on peut alors se poser est de savoir si un tel père Noël existe encore si on "trahit" le concept initial à ce point?
(il pourrait avoir une moustache et à ce moment là, il pourrait être disqualifié en pédé à moustache)
Et puis savoir aussi quel est l'intérêt d'un tel concept? C'est opérationnel, ou pas?
Soit on ne l'admet pas: dans ce cas je suis dans la posture intellectuelle qui consiste à dire qu'un père Noël sans barbe n'est plus un père Noël du tout, parce qu'un père Noël correspond à un définition hyper précise et toute conceptualisation hors des critères donne quelque chose d'autre.
Maintenant, pourquoi se limiter à cette question binaire? Après tout, je peux penser avec les deux concepts de pères Noël. Cela ne me dérange en rien du moment que je distingue bien quand j'applique l'un ou l'autre.
Vous me répondrez que je risque de me mélanger dans mes deux concepts et que je multiplie les risques de contre sens ou d'erreurs.
Ce à quoi je vous répondrai à mon tour: tant mieux. Du moment que l'erreur est détectable, ça me va.
Pas vous?
Rédigé par : tschok | mardi 16 déc 2008 à 17:37
Je plussoie la question de tschok relativement à votre phrase : "Symbolique ne veut pas dire sacré : cela veut juste dire qu'aucun des intégrants n'en a une vision totale".
Je croyais que justement, au moins étymologiquement, le symbole faisait référence à un sceau (de terre cuite non ? Ou quelque chose comme ça, je pourrais retrouver la référence chez moi ce soir), que l'on cassait en deux pour en donner la moitié à deux personnes différentes, ce qui leur permettait par la suite de se reconnaître.
Le symbole n'est-il donc pas justement la réunion de deux moitiés de signification qui renvoie à la vision globale d'un tout également significatif ?
Rédigé par : Fantômette | mardi 16 déc 2008 à 19:09
Fantômette, Anthropopotame est en vacances on dirait.
Ou en grève?
Ou en mode pause?
Ou en cours?
Ou en correction de copies?
Rédigé par : tschok | jeudi 18 déc 2008 à 11:35
le symbole, senon Hofmannstahl, éloigne ce qui est proche et approche ce qui est éloigné. Il met en contact deux ordres de choses, sans les dévoiler.
Rédigé par : Anthropopotame | jeudi 18 déc 2008 à 12:46
C'est joli, ça, anthropopotame : "il met en contact deux ordres de choses, sans les dévoiler". C'est un peu comme les blogs, finalement, où l'on se rencontre sans se dévoiler.
Rédigé par : Fantômette | jeudi 18 déc 2008 à 18:25
Hmmm... Fantômette, ne serait-ce pas plutôt le contraire: on se dévoile sans se rencontrer?
Rédigé par : anthropopotame | jeudi 18 déc 2008 à 18:30
Vous croyez ?
Je suppose que cela dépend de celui qui écrit.
Je vais vous prier de m'excuser de faire un peu mon intello à deux balles - celui qui ne pense pas par lui-même - mais je suis récemment tombée sur l'extrait suivant de "l'Archéologie du Savoir", que j'ai aussitôt recopié sur mon cahier et qui m'évoque exactement ce sujet.
Foucault y écrivait la chose suivante :
"Non, non, je ne suis pas là où vous me guettez, mais ici, d'où je vous regarde en riant. Eh quoi, vous imaginez-vous que je prendrais à écrire tant de peine et tant de plaisir, croyez-vous que je m'y serais obstiné, tête baissée, si je ne préparais - d'une main un peu fébrile - le labyrinthe où m'aventurer, déplacer mon propos, lui ouvrir des souterrains, l'enfoncer loin de lui-même, lui trouver des surplombs qui résument et déforment son parcours, où me perdre et apparaître finalement à des yeux que je n'aurais jamais plus à rencontrer. Plus d'un comme moi, sans doute, écrivent pour n'avoir plus de visage. Ne me demandez pas qui je suis et ne me dites pas de rester le même : c'est une morale d'état civil, elle régit nos papiers. Qu'elle nous laisse libre quand il s'agit d'écrire".
Rédigé par : Fantômette | jeudi 18 déc 2008 à 19:21