…
… j’ai décidé de consacrer la mienne à le résoudre. Schopenhauer (1788-1860) avait seize ans quand il écrivit cette ligne dans son journal de voyage, et il tint parole. Il en avait vingt-huit lorsque fut publiée la première édition du Monde comme Volonté et comme Représentation, qu’il ne cessa de remanier jusqu’à sa mort. La deuxième édition, en 1844, avait déjà doublé de volume. A partir d’éléments disparates, tant conceptuels que religieux (magnétisme animal, Idées platoniciennes, philosophie kantienne, dualisme cartésien, Bouddhisme), Schopenhauer construit un modèle interprétatif (principe unique dualiste dans son expression) qui aboutit à une représentation cosmologique. Ce modèle s’avère productif, puisqu’il forme un cadre dans lequel va se couler la pensée de ses successeurs : ainsi Conrad interprète-t-il la colonisation comme une régression vers l’ordre pulsionnel, cependant que Freud conceptualise la notion d’Inconscient, permettant une nouvelle approche des phénomènes psychiques. Que l’Inconscient, l’Ame ou le Fluide désignent réellement quelque chose importe moins ici que leur viabilité en tant qu’instruments de déchiffrement.
Kant avait annoncé, en ouverture de sa Critique de la raison pure, que la chose en soi ou réalité nouménale ne pouvait être appréhendée par la raison. Celle-ci, procédant de la cause à l’effet et remontant ainsi au plus loin qu’il est possible, ne pouvait en effet que supposer qu’il existait une cause n’ayant pas elle-même été causée, à l’origine de tout. La raison pouvait donc être l’instrument-roi pour le déchiffrement de la réalité phénoménale, mais devait « éteindre son flambeau » au seuil de la métaphysique. Or, dit Schopenhauer, s’il existe une cause n’ayant pas été causée, celle-ci ne peut-être saisie a posteriori, par la raison, mais bien a priori, par l’intuition.
C’est l’expérience de mon corps qui me permet d’affirmer que je suis au monde comme un être vivant – la raison n’intervient pas dans cette perception, comme le montre l’expérience imaginée par Montaigne et reprise par Pascal : supposons que nous nous trouvions enfermés dans une cage suspendue par une corde au-dessus du vide ; notre raison aura beau nous dire que la corde est solide, tout comme le palan qui nous retient, il n’empêche que notre aspiration première sera de retrouver le sol ferme à nos pieds. Et l’aspiration sera d’autant plus forte que la distance au sol augmentera. « La logique a beau être inébranlable, elle ne résiste pas à un homme qui veut vivre », dit un personnage du Procès.
L’intuition que nous sommes au monde indépendamment du principe de raison est un progrès majeur, dans la mesure où la pensée schopenhauerienne exclut le recours à Dieu. Comment fonder une pensée sur une intuition d’ordre perceptif ? Pour ce faire, Schopenhauer se fonde sur tout ce que nous autres hommes tenons pour contradictoire, ce que Svevo résume admirablement dans La Conscience de Zeno (1919), par la bouche de son personnage :
« - La vie n'est ni laide ni belle, elle est originale !
En y repensant il me sembla que j'avais dit une chose importante. Désignée ainsi, la vie me parut si nouvelle que je restai à la regarder comme si je la voyais pour la première fois, avec ses corps gazeux, liquides et solides. Si je l'avais racontée à quelqu'un qui n'en eût pas l'habitude et fût par conséquent privé de notre sens commun, il serait resté sans voix devant cette énorme construction privée de but. (…) Et il n'était nul besoin de venir du dehors pour la voir ainsi ajustée de manière si bizarre. Il suffisait de se rappeler tout ce que nous autres hommes nous attendons de la vie, pour la trouver étrange au point d'en arriver à conclure que peut-être l'homme y a été placé par erreur et qu'il ne lui appartient pas. »
Cette idée que le monde ne relève pas de l’intelligible au sens où on pourrait lui trouver une « raison d’être » est clairement posée par Schopenhauer (1989a : 1342) : « Si donc un homme ose soulever cette question : « pourquoi le néant n'est-il pas plutôt que ce monde ? », le monde ne peut se justifier de lui-même, il ne peut trouver en lui-même aucune raison, aucune cause finale de son existence, il ne peut démontrer qu'il existe en vue de lui-même, c'est-à-dire pour son propre avantage. »
Ce que décrit Schopenhauer est donc le phénomène de la Volonté du point de vue de la Volonté, qui n’est pas consciente : le vouloir-vivre, la force désirante, un vouloir sans fin qui aspire à être assouvi mais ne peut l’être sous peine de s’éteindre. Il s’agit donc d’un désir inextinguible qui ne veut rien d’autre que sa propre perpétuation ; à défaut de ce vouloir-vivre, dit Schopenhauer, nous nous trouverions en ce monde comme des invités à une fête où nous ne connaissons personne, saluant au hasard, souriant pour faire bonne figure mais nous demandant toujours pourquoi nous sommes là, et qui nous a invités.
Comment un vouloir inextinguible, ne procédant pas d’une cause et ne répondant à nulle fin, peut-il s’exprimer au travers d’individus périssables, dans un monde soumis au changement ? C’est pour répondre à cette question que Schopenhauer pénètre dans le domaine de la métaphysique : la Volonté est un principe qui n’est soumis ni au temps, ni à l’espace, ni à aucune des conditions de l’entendement ; mais cette même Volonté se soumet au principe d’individuation en se matérialisant en ce monde, qui n’est que la représentation multiple du vouloir-vivre. Comme individus, nous sommes soumis au temps et à la mort. Comme sujets percevant, nous en avons conscience. Comme incarnations de la Volonté, nous ne sommes que les multiples facettes d’un phénomène unique, et la mort vient mettre un terme à l’illusion de notre individualité. Dans le monde phénoménal - le monde de la Représentation – la Volonté est donc soumise à un déchirement du fait qu’elle s’incarne en des individus périssables, assaillis de besoin, craignant la mort, aspirant à prolonger leur existence bien au-delà du raisonnable et en dépit d’une vie misérable, oscillant de la souffrance à l’ennui :
« Des millions d'hommes, réunis en nations, aspirent à leur bonheur commun et chaque individu y contribue en vue du sien propre (…). A ce point de vue, et en raison de cette évidente disproportion entre la peine et le gain, le vouloir-vivre nous apparaît, pris objectivement, comme un fou, et subjectivement comme une illusion qui s'empare de tout être vivant. Mais un examen plus attentif nous montrera ici encore qu'il est bien plutôt une impulsion aveugle, un instinct sans fondement et sans motif. » (Schopenhauer, 1989a : 1085)
Avec force descriptions apocalyptiques, Schopenhauer met en scène l’histoire collective de l’humanité en perspective avec les histoires individuelles, et constate que nos espoirs sont trompeurs, que le fort l’emporte sur le faible, que l’objet de notre amour n’était pas finalement ce à quoi nous aspirions, bref que « les pommes sont en cire, les fleurs en soie, les poissons en carton ». La vision de l’humanité qu’expose Schopenhauer s’affranchit volontairement du sens que lui confère le langage ; en effet, d’une part, la Volonté ne parle pas ; d’autre part, elle « veut », mais n’étant pas consciente d’elle-même, elle ne sait pas ce qu’elle veut. C’est pourquoi l’illustration qu’en donne Schopenhauer emprunte à la zoologie, à la mécanique, à la dynamique, mais non à la psychologie.
« Voilà les hommes : des horloges. Une fois remontés cela marche sans savoir pourquoi »…
« La vie oscille comme un pendule, de gauche à droite, de la souffrance à l’ennui »…
« Ce désir d'amour que les poètes de tous les temps s'efforcent d'exprimer sous mille et mille forme, sans d'ailleurs jamais épuiser le sujet, ni même l'égaler, ce désir donc qui lie à la possession d'une certaine femme l'idée d'une infinie jouissance, qui provoque une douleur indicible à la pensée qu'elle pourrait vous échapper, ce désir, cette souffrance de l'amour ne peuvent avoir pour fondement les besoins d'un être éphémère ; ce désir, c'est le soupir du génie de l'espèce, qui voit ici l'occasion unique à saisir ou à perdre de réaliser ses projets et qui pousse des plaintes profondes. »[2]
Ainsi également de l’Histoire assimilée à une pantomime :
« On finira enfin par découvrir qu'il en est du monde comme des drames de Gozzi ; ce sont toujours les mêmes personnages qui paraissent, ils ont les mêmes passions et le même sort ; (...) les personnages de chaque pièce ne savent rien de ce qui s'est passé dans les précédentes (...); voilà pourquoi, malgré toute l'expérience qu'il aurait dû acquérir (...), Pantalon n'est ni plus habile ni plus généreux, Tartaglia n'a pas plus de conscience, ni Brighella plus de courage, ni Colombine plus de moralité. »[3]
C’est la mise au jour d’un principe contradictoire qui permet de poser que l’existence est absurde, car « sans raison ». Elle n’est pas transparente à elle-même : dès lors les hommes sont soumis à des tensions qui rendraient leur existence intolérable, s’ils n’avaient le recours de l’imagination, la possibilité de faire appel à l’illusion, bref de poser sur le monde le « voile de Maya ». Nous sommes agis de l’intérieur par une force qui en vient à dicter notre représentation du monde. Ce qui existe, existe pour la pensée, il n’est de perception sans un sujet qui perçoit, en clair : « le monde est notre représentation ». Cette expression connaîtra une fortune inattendue dans les sciences humaines, sous les formes du « constructivisme » dont nous entreprendrons la critique au chapitre suivant. Cette représentation, selon Schopenhauer, ne saurait être désintéressée : nous ne percevons finalement qu’en fonction de l’éventail étriqué de nos intérêts, qui nous impose également les grilles de lecture de notre égoïsme. Notre vision du monde ne fait donc que répondre à nos besoins d’organisme individuel qui se débat parmi la foule d’autres organismes animés des mêmes besoins.
Lorsque Schopenhauer se tourne vers la nature, c’est pour y voir une guerre de tous contre tous, où l’on dévore pour ne pas être dévoré. Le spectacle d’une forêt remplissait Schopenhauer d’une indicible angoisse, à l’idée des multiples drames, pour certains invisibles à l’œil nu, qui s’y déroulaient à tout instant. Le monde comme un grand spectacle tragique, la loi de la jungle érigée en loi organique, et la justification de l’abstention individuelle par la conscience du monde tel qu’il est : voilà une position qui fera tant d’émules que l’on ne sait plus trop bien, en somme, où s’arrête l’intuition de Schopenhauer, et où commence le livre qu’il invente, et dont le héros s’appelle Volonté. Dans le monde de Schopenhauer, les lions et les tigres ne cessent de déchirer les chairs, les gazelles de fuir, et les hommes de souffrir mille turpitudes, à commencer par celles qu’ils s’infligent à eux-mêmes. Les romanciers n’ont eu de cesse que de représenter la scène fondatrice de toute violence, celle de l’indifférence suprême de la Nature aux mille maux dont souffrent les créatures vivantes. L’Humanité est dès lors perçue comme le fruit d’une révolte, révolte vaine comme l’illustre le roman de Conrad Au Cœur des Ténèbres (1900), où les navires de guerre bombardent la forêt, et où un représentant de l’Europe coloniale, Kurtz, s’affranchit de tout vernis de civilisation. Des scènes d’inspiration similaire se retrouvent chez Machado de Assis, Svevo, Proust, et bien d’autres, et en cela on peut dire que la pensée de Schopenhauer fut mythogène.
Le monde que décrit Schopenhauer est fondé sur une métaphysique de l’existence dont les prémisses justifient l’extrapolation, et partant, il est aussi difficile et vain de le contredire que de reprendre Dante sur tel ou tel point de son Enfer ou de son Paradis. L’objection à tout cet échafaudage, cependant, est très simple : l’intuition du vouloir-vivre en nous n’implique nullement une essence métaphysique ; la théorie freudienne de l’Inconscient est une des multiples possibilités qui s’offrent à nous de nous affranchir des paraphernalia d’un univers à la fois indifférent et cruel ; la théorie de la sélection naturelle et sexuelle en est une autre.
L’A
La conscience que nous avons de la Volonté, telle qu’elle s’exprime en nous, offre deux issues : la première dérive de la contemplation, et mène à l’œuvre d’art ; la deuxième, fondée également sur l’expérience contemplative, mène à la pitié, et à la progressive extinction de la Volonté. Schopenhauer propose donc un cheminement unique vers une fusion du sujet dans l’objet, dérivant en esthétique ou en éthique, selon que l’on privilégiera la forme de l’objet ou celle du sujet.
C’est parce qu’il s’affranchit de son individualité, et donc de son égoïsme, que l’artiste parvient à faire partager la puissance de son œuvre, comme si sa main, ayant traversé les faits de part en part, s’était saisi de ce qu’il y a derrière eux, le monde des Idées, celui de l’unitas ante rem – l’unité avant la chose, à l’opposé, donc, du concept. Selon Schopenhauer, la sensibilité artistique nous rend nécessairement meilleur, car elle est affranchie du désir individuel, comme l’illustre ce propos de Goethe : « Les étoiles, on ne les désire pas ; on est heureux qu’elles scintillent. » Mais par la contemplation d’autrui, c'est-à-dire par la sensibilité désintéressée avec laquelle nous prenons la mesure de souffrances endurées, nous vivons une expérience d’identité qui abolit les frontières individuelles et permet un lien empathique entre individus. Cette expérience a été décrite par Rousseau dans son Essai sur l’origine des langues, et Lévi-Strauss (1996 : 50) la place au fondement de la démarche anthropologique. La distinction du Moi et du non-Moi peut alors s’effacer, et le sujet perçoit alors, sous la multiplicité des formes, une seule et même substance, issue de la Volonté. L’Art permet un apaisement passager, une mise à distance transitoire servant à notre édification, aux vertus consolantes ; l’ascèse qui dérive de l’extinction de la Volonté est un résultat permanent, définitif :
« Quand le voile de Maya, le principe d'individuation se soulève devant les yeux d'un homme, au point que cet homme ne fait plus de distinction égoïste entre sa propre personne et celle d'autrui (...) ; alors, bien évidemment cet homme, qui dans chaque être se reconnaît lui-même, ce qui fait le plus intime et le plus vrai de lui-même, considère aussi les infinies douleurs de tout ce qui vit comme étant ses propres douleurs, et ainsi fait sienne la misère du monde entier. » (Schopenhauer, 1989a : 476-7)
Machado de Assis reprend cette proposition dans la scène suivante, où l’expérience transcende la barrière de l’espèce :
« [Le chien] posa les yeux sur elle, et elle sur lui, d'une manière si fixe et si intense, qu'ils semblaient pénétrer mutuellement au plus intime de leur être. La sympathie universelle, qui était l'âme même de cette dame, oubliait toute considération humaine devant cette misère obscure et prosaïque, et tendait vers l'animal une partie d'elle-même, qui l'entourait, le fascinait, et l'attachait à ses pieds. Ainsi, la peine qu'elle ressentait face au délire du maître, le chien lui-même la lui faisait à présent ressentir, comme si tous deux représentaient la même espèce. »[4]
C’est une expérience intime que les mots servent à décrire, et non à éprouver ; il ne s’agit certes pas là d’une démarche intellectuelle mais elle tend à indiquer que l’accès à une réalité autre que celle de son propre corps est possible lorsque l’intuition s’impose à nous. Nous reviendrons longuement sur cette proposition dont Florence Burgat (1997) fait le fondement d’une nouvelle heuristique de l’animal, cela dans notre cinquième chapitre.
Pour n’avoir pas recours à Dieu, Schopenhauer a cru nécessaire d’en référer à une métaphysique pour appréhender le monde, grâce à un système interprétatif à trois termes : immanence de la Volonté, permanence du monde, transcendance de l’art et de la pitié. A son propos, Clément Rosset évoque « l’illusion métaphysique », ou l’illusion d’une métaphysique, qui postule que le monde ne saurait être expliqué tel qu’il est ou tel qu’il se donne à voir – aveu patent de l’insatisfaction qu’il provoque. Comme le fait observer Jean-Michel Besnier (1989 : 52), toute pensée politique commence par l’idée que le monde peut être changé ; en posant pour principe que les hommes étant ce qu’ils sont, ils ne sauraient agir autrement qu’ils ne le font, Schopenhauer s’interdit de fait toute intervention dans le domaine de la réalité.
Soulignons deux aspects :
- en proposant un schéma interprétatif basé sur un principe métaphysique, Schopenhauer engage une démarche fictionnelle, selon notre définition initiale. Paradoxalement, nombre d’intuitions schopenhaueriennes s’avéreront ou bien exactes, ou bien productives, tant dans le domaine de la psychologie, de la sociologie que de l’art.
- prise comme un tout, la pensée schopenhauerienne devient un modèle qui nous permet de comprendre comment fonctionnent des « structures structurées appelées à devenir structures structurantes » ; la synthèse cosmologique essaime en de multiples « traditions » nouvelles, portées par des artistes, des écrivains, à leur tour soumis au crible de l’analyse académique qui s’efforce de les déchiffrer.
La pensée schopenhauerienne est donc à la fois un modèle interprétatif et une fiction ; un système théorique, visant explicitement au déchiffrement, et une cosmologie, c'est-à-dire un chiffrement, fonctionnant ainsi à la manière des livres religieux, systèmes à la fois descriptifs et interprétatifs. C’est parce que la Volonté est perçue comme une entité magistrale que des auteurs mettent en scène la rencontre entre un individu et sa figure omnipotente et indifférente. C’est parce que l’amour est perçu comme une illusion soufflée par le génie de l’espèce que les rencontres amoureuses de romanciers schopenhaueriens se résolvent en déception et en insatisfaction. Et c’est parce que les hommes sont mus par des ressorts intérieurs que le langage ne peut-être tenu uniquement comme producteur de sens, mais aussi comme producteur de relation. Proust et Machado de Assis sont parmi ces auteurs qui se sont interrogés sur la fonction sociale du langage, indépendamment de ce qu’il véhicule. Cette interrogation dérive vers la dissociation progressive du langage et de la réalité, de la représentation sociale et de la personnalité.
C’est donc au point d’un monde produit par l’homme, du monde comme représentation, que nous reprenons notre réflexion, délaissant la Volonté comme principe pour nous intéresser au langage comme fiction, capable, quelle que soit l’opacité du réel, de produire à son sujet un discours, aussi bien que de s’en affranchir. Il s’agit donc d’explorer la piste par laquelle on explore un langage déconnecté du réel, qui n’a pas pour vocation d’y renvoyer, mais de fonctionner comme un système autonome.
Merci anthropopotame pour ce billet très intéressant, quoique un peu escarpé pour les commentateurs qui s'y égarent sans disposer de toutes les connaissances qui leur permettraient de se retenir aux parois.
Je m'y attaque morceau par morceau.
Et pour commencer, une question un peu bizarre peut-être, qui me vient à la lecture de votre première phrase : si l'on renverse la proposition et que l'on tient la vie pour être une solution plutôt qu'un problème, cela change t-il quelque chose à la vision schopenhauerienne du monde ?
Rédigé par : Fantômette | mercredi 11 fév 2009 à 21:36
Peut-être, pour être plus claire, puis-je préciser : si l'on tient la vie pour être une solution à retenir plutôt qu'un problème à résoudre, cela change t-il quelque chose à la vision schopenhauerienne du monde ?
Rédigé par : Fantômette | mercredi 11 fév 2009 à 21:49
Merveilleuse Fantômette - mais je ne voudrais pas que mes lectrices voient là quelque favoritisme - pour que la vie fût une solution, il faudrait qu'elle soit proposée comme une solution parmi d'autres à quelque aspirant. Il faudrait qu'il y eût une alternative, avant la naissance, avant même la conception. Il me semble que Schopenhauer a raison de la considérer comme un problème à résoudre, même si l'on prend le terme "problème" au sens philosophique, comme "question".
Rédigé par : anthropopotame | mercredi 11 fév 2009 à 23:55
Si tel n'était pas le cas, on dirait "l'enfer est pavé de bonnes solutions" :-)
Rédigé par : anthropopotame | jeudi 12 fév 2009 à 09:03
Voyant le titre, j'ai pensé que tu allais parler de Cioran mais non.
Rédigé par : Mouton | jeudi 12 fév 2009 à 16:02
Charmanthropopotame, pourquoi une solution devrait par définition n'être qu'une solution parmi d'autres ?
Mais je poursuis ma lecture.
Et je bute sur la question suivante :
Si j'ai bien compris, la raison est l'instrument de déchiffrement de la réalité phénoménale, un instrument qui devient inutilisable et muet à l'approche de la métaphysique. L'intuition est quant à elle la clé de déchiffrement de la réalité nouménale. Elle nous permet d'attester de la réalité de ce que nos sens nous décrivent comme l'étant. Elle nous le permet - peut-être faudrait-il dire qu'elle impose, qu'elle exige que nous croyions en cette réalité.
Est-ce cela ?
Mais qu'advient-il de cette intuition, une fois que celle-ci nous a permis de nous savoir vivants ? Je perds le fil qui nous mène de la certitude, intérieure et incarnée, d'être vivants, à la raisonnable certitude de l'absurdité des choses.
Rédigé par : Fantômette | jeudi 12 fév 2009 à 23:32
Mmmh... La raison permet d'expliquer l'enchaînement des causes et des effets. Mais quant à expliquer l'existence même du monde, elle ne le peut pas. En cela, pour la raison, l'existence se présente comme une aporie. Quant à comprendre pourquoi elle est si mal agencée - selon la vision pessimiste qu'en a Schopenhauer - Schopenhauer y répond par la notion de vouloir-vivre incarné, "individué", comme une aspiration contradictoire à être assouvi et à se pérenniser. Rappelez-vous, belle Fantômette, que nous sommes en contexte pré-darwinien et pré-freudien.
Dostoievski résume très bien la position de Schopenhauer dans "Les Possédés":
"La raison et la science dans la vie des peuples ont de tout temps, à présent et depuis le commencement des siècles, rempli seulement une fonction secondaire et subalterne; et elles continueront de la remplir jusqu'à la fin des siècles. Les peuples sont formés et mus par une autre force qui commande et domine mais dont l'origine est inconnue et inexplicable. Cette force est la force du désir inextinguible d'arriver à une fin et qui en même temps nie la fin."
Rédigé par : anthropopotame | jeudi 12 fév 2009 à 23:54