Votre serviteur est légèrement déprimé aujourd'hui (5.3 sur l'échelle de Prozac), après la journée d'hier passée à Neverland où les AG se succédaient comme les séances d'un film.
Quant à la qualité du film...
Face à des étudiants semi-assoupis, les intervenants déclinaient l'infinité de tâches accomplies par un enseignant-chercheur au long d'une journée, montrant ainsi que les heures de cours n'en formaient qu'une partie. Réunions, finalisations de demandes de remboursement, organisation de conférence, accompagnement d'élèves handicapés. Puis le Powerpoint montrait tout le travail nécessaire en amont d'un cours: lectures actualisées, planification, problématique...
Et tout cela, vu en quelque sorte sous un autre angle, ne faisait qu'accentuer, exacerber, la platitude de nos existences et l'inutilité totale de notre mission.
Mis au pied du mur, la réaction des collègues fut unanime: "Organisons une lecture publique de la Princesse de Clèves".
Les arguments en faveur d'une telle lecture se trouvent sur le site fabula.org. En résumé, voici la position défendue :
"Parce que nous sommes persuadés que la lecture d'un texte littéraire prépare à affronter le monde, professionnel ou personnel,
Parce que nous croyons que sans la complexité, la réflexion et la culture la démocratie est morte,
Parce que nous croyons que l'Université est et doit être le lieu de la beauté et non de la performance, de la pensée et non de la rentabilité, de la rencontre avec la différence –culturelle ou historique, et non de la répétition du même,
Parce que nous voulons témoigner de ce que notre métier d'étudiants et d'enseignants n'est pas seulement de professionnaliser et d'être professionnalisés mais aussi de lire et de donner à lire,
Parce que nous sommes en grève pour en témoigner"
Il faut absolument que je pèse mes mots. Je ne veux pas sombrer en imprécation béotienne, mais si je me reporte en arrière, au temps où j'étais ce qu'on appelle un "littéraire", je discerne en filigrane ceci: l'affirmation permanente selon laquelle la culture permet "d'affronter le monde", d'ouvrir l'esprit, de "discerner la beauté" est une forme d'intolérance et de rétrécissement du cerveau. Autrefois je quittais la table quand mon interlocuteur n'avait pas lu Balzac. Il m'a fallu de longs séjours au Brésil pour comprendre qu'il y avait autre chose dans la vie que Proust ou Flaubert, Bach ou Puccini.
97% de la population mondiale n'a pas lu la Princesse de Clèves. C'est un fait. Que faire? Des lectures publiques dans les bidonvilles de Dacca?
La réflexion et la culture sont deux choses différentes. La culture, certainement, apporte à la réflexion, SAUF SI LA REFLEXION PORTE EXCLUSIVEMENT SUR LA CULTURE.
Dire que l'Université doit être le lieu de la beauté me paraît un peu court. Je ne suis pas certain que le contribuable approuverait. Sommes-nous qualifiés à former des esthètes? Les enseignants-chercheurs, écrasés de tâches ingrates, doivent-ils en plus devenir des Pygmalion ?
Où que je me tourne, je vois des murs. Un collègue m'envoie une réponse glaciale (il "n'a pas le temps de répondre à mon long message" de dix lignes) et je me demande pourquoi je dois toujours me mettre tout le monde à dos. Bon, je ferais bien de relire la Princesse de Clèves, j'ai complètement oublié de quoi il retournait...
pfff, la Princesse de Clèves, c'est quand même plutôt chiant!
Franchement, quant à donner dans la lecture publique, autant viser autre chose (même si je comprends la logique du choix sus-cité...).
Rédigé par : Narayan | mardi 10 fév 2009 à 13:53
Je l'ai même pas lue, la princesse! Ca doit être pour ça que j'ai tellement de difficultés dans ma vie, je n'ai pas été correctement préparée à l'affronter! Mortecouille!
Rédigé par : Dr. CaSo | mardi 10 fév 2009 à 14:30
la Princesse de Clèves dans un bidonville ?? non mais pour qui ils se prennent ? et pourquoi un auteur français plutôt qu'anglais ? ou allemand ? ou russe, pakistanais, iranien...
je crois qu'il y a un profond hiatus dans l'université telle qu'elle existe en France : oui, former à la beauté, blabla. mais pas en bas de la thèse de doctorat. *dans ce cas-là seulement* la personne, se spécialisant par choix délibéré, devient un esthète qu'il est bon d'accompagner comme semblent le vouloir ces profs-là. d'ailleurs il est tout de même fort rare qu'un littéraire arrivé jusqu'à la thèse de doctorat finisse autrement que... prof ou chercheur lui-même. l'autoreproduction du système...
l'immense majorité des étudiants qui vont à l'université ne le font pas pour la simple beauté du geste, mais pour y apprendre des choses *qui leur serviront plus tard*.
on n'est plus (malheureusement pour ces enseignants adeptes du C'était-mieux-avant) à l'ère du "j'étudie en fac = je suis riche = j'ai pas besoin de vraiment apprendre quelque chose de "concret", je peux prendre mon temps et y trouver peut-être un certain plaisir..."
Rédigé par : Dodinette | mardi 10 fév 2009 à 16:15
Manifestement plusieurs philosophies s'affrontent. Voici la conclusion d'un mot que m'envoie un collègue - adressé à tout le monde, bien sûr:
"Pour conclure, je vous convie à exposer vos vues en AG. Je pense que vos étudiants apprécieraient de s'entendre traiter d'analphabètes fonctionnels. Et si telle est votre vision de l'université et de son public, peut-être devriez-vous songer à une reconversion professionnelle... à moins que votre formation ne soit, ironie du sort, reconnue que par la seule université française que vous décriez tant."
Intéressant comme réaction, mais elle est tout de même blessante...
Rédigé par : anthropopotame | mardi 10 fév 2009 à 18:16
Dodinette, La princesse de Clèves c'est en réponse à un sarcasme (un de plus) de Sarkozy...c'est vrai qu'en dehors de France, c'est un peu dur à suivre en ce moment! (et personne hormis l'auteur du billet, et en mode ironique, n'a envisagé de lire cette oeuvre palpitante dans un bidonville - si tant est que Dacca ne soit *qu'un* bidonville ...)
Enfin, "l'immense majorité des étudiants qui vont à l'université ne le font pas pour la simple beauté du geste, mais pour y apprendre des choses *qui leur serviront plus tard*." résume bien le problème de l'université qui n'avait pas vocation à accueillir des étudiants finalistes dans leurs choix... et qui peine à s'adapter à ce nouvel auditoire (Merci Chevènement...)
Rédigé par : Narayan | mardi 10 fév 2009 à 19:21
Et pour changer de sujet, c'était comment la manif?
Rédigé par : Narayan | mardi 10 fév 2009 à 19:22
J'ai pris plein de photos, je les chargerai ce soir ou demain. J'ai vu passer ta fac, je me demandais si tu serais là...
Rédigé par : anthropopotame | mardi 10 fév 2009 à 19:31
ben non, j'avais dit que non!! Je manipais...
Rédigé par : Narayan | mardi 10 fév 2009 à 21:45
Je sais que tu manipais, mais "un homme qui veut vivre est condamné à l'espoir".
Rédigé par : anthropopotame | mardi 10 fév 2009 à 22:01
97% de la population n' a pas lu la Princesse de Clèves ( j'en fait partie ) . Il faudrait surtout regarder dans quel état est le 3 % qui l' a lue . Est-il plus enclin à la compassion ? Plus honnête ? Moins égoiste ?
Le foie gras et la corrida sont aussi appréciés chez les incultes que chez les cultivés ( ça marche aussi avec guerre , torture , colonialisme ...). On se demande ce que la culture a " cultivé " chez eux ! Tant d' engrais pour ça ...
Allez , un peu de culture pour tester ma théorie : il s' agit d'" une oeuvre mâgistrâââle qui démontre de manière implââcââble le cârâctère brutââl du système carcerâââl entre les monts Ourâââl et le lac Baïkâââl . Ecoute , je côônnais un sûûper petit restôô où on peut continuer de s' branl-euh , d'en paâârler . Leur civet au olives est déééélicieux ! "
Cher lecteur , contrairement aux salles obscures dans lesquelles tu t' enfermes après avoir payé pour regarder ce que tu sais déjà ( le goulag , pardon , une oeuvre mââgistrââââle ...), je t'offre ce moment de rigolade sans aucune portée !!!
Ce n'est pas très intellectuel , soit . Mais si tu ne ris pas , c'est que tu as mal digéré ton civet !!!
le p'tit lapin !
Rédigé par : azer | jeudi 12 fév 2009 à 00:46
LA direction s'excuse pour ce petit incident technique !
http://www.l214.com/video/abattoir-lapins-2007
le p'tit lapin !
Rédigé par : azer | jeudi 12 fév 2009 à 00:48
Ma chère Azer, si tu as lu le bouquin de Patterson, tu sauras que les tentatives d'alerter l'opinion sur ce qui se passe dans les abattoirs - ce que tout le monde sait peu ou prou - n'atteint que rarement les gens au coeur, seulement à l'estomac.
Je connais cette vidéo. Comme toi, je m'abstiens de viande (mais pas toujours) pour des raisons morales. Mais si c'estl'indignation que tu veux susciter, d'autres te montreront des vidéos de ce qui se passe dans des prisons ouzbèques, dans des camps de réfugiés somaliens, et te diront: "et cela, ça ne t'indigne pas?" Donc je ne crois pas utile d'entrer dans une compétition compassionnelle.
La raison de l'indifférence quasi générale à la question des animaux d'élevage est due au fait que l'humanité est devenue carnivore précisément en construisant des représentations autour de la viande. Les mécanismes qui nous permettent d'en manger sont nombreux et complexes. Il ne suffit donc pas de s'indigner en disant "mais enfin, c'est horrible": tout le monde le sait.
Je n'ai pas de réponses, mais je pense que la solution viendra de questionnements écologiques et économiques plutôt que moraux. La culpabilisation est contreproductive, je le sais d'expérience.
Bien à toi :-)
Rédigé par : anthropopotame | jeudi 12 fév 2009 à 09:12
Anthropopotame ,
je ne cherche pas à entrer dans une compétition compassionnelle . Si l'on me montre le malheur humain , je ne réponds pas en montrant le malheur animal . Les injustices ne s' annulent pas , elle s' additionnent . Il est vrai que certains ont la manie de les opposer !
Le caractère moqueur de mon commentaire était un moyen de dire que la culture n'est pas le remède miracle comme certain le prétendent ( souvent les admirateurs de l'" oeuvre maââgistrââle " , aux abonnés absents lorsqu'il s' agit de faire autre chose que d' étaler sa confiture pendant un repas ...) . L' art et la culture n'ont pas empêché une longue litanie d' horreur ...
" je pense que la solution viendra de questionnements écologiques et économiques plutôt que moraux " . Peut-être ... Mais ce serait dommage , voire inquiètant ...
" La culpabilisation est contreproductive, je le sais d'expérience." Je ne suis pas d' accord et je le sais aussi d' expérience : celle dont j' ai été le cobaye ! C'est à 99% pour des raisons morales ( la culpabilisation ) que je suis devenu végétarien , à un moment où j' ignorais les arguments écologiques du végétarisme . Le point de départ fut la réflexion d'une charmante jeune fille ( sans bonnet mais avec un Q ...) qui répondit à ma proposition de partager mon kebab : " Je ne mange pas de viande . Si tu savais comment sont traités les animaux ! " . L' idylle fut courte , mais la phrase est restée , et la démarche également !
Je n' ai pas la prétention ou la naiveté de croire qu'il en est de même pour tout le monde , mais je constate qu' un " je ne mange pas cet aliment de barbare puisqu'il nécessite la toruture d'un être pour l' obtenir " ( le foie gras , mais on peut élargir ) , choquant et culpabilisateur , fait réagir ! Je n'ai hélas pas la mesure exacte du résultat , mais mieux vaut atteindre même rarement les gens au coeur que jamais .
Sinon , qu'est-ce qui t'a fait penser que j'étais une fille ?
- un pari ? ( il y a plus de végétariennes que de végétariens )
- un pari-préjugé ? ( les femmes sont plus enclines à la compassion que les hommes )
- un participe mal accordé ?
- l'espoir que je sois la jeune fille au bonnet bleu( ou vert ) ??? Désolé de te décevoir !
Bien à toi également ! :-)
Rédigé par : azer | vendredi 13 fév 2009 à 00:44
Pardon pour cette méprise, cher Azer. J'opte pour le participe mal accordé.
Je t'assure que cette discussion, je l'ai eue de nombreuses fois. Je milite autant que je peux auprès de mes proches, je discute stratégie avec ceux qui partagent mes (nos) idées, et c'est donc le résultat de pas de gamberge.
Si tu lis cette BD de Martin Vidberg: http://vidberg.blog.lemonde.fr/2008/12/02/han-cest-pas-bien/
tu vois comment la culpabilisation finit par susciter une réaction de défense. Donc celui qui renoncera pour un temps au foie gras, lorsqu'on lui demandera en plus de renoncer à sa bagnole, de ne pas porter de fourrure, d'acheter équitable, finira par réagir et par remanger du foie gras, utiliser deux fois plus sa bagnole, etc.
La conscience de ce que nous imposons aux animaux ne doit pas faire l'objet d'un diktat, c'est un parcours intérieur. Or tu observeras que l'immense majorité de l'humanité se fout des animaux, les religieux parce qu'ils pensent qu'ils sont à notre service, les cartésiens parce qu'ils pensent que ce sont des organismes sensori-moteurs, et les autres parce qu'ils veulent bouffer à leur faim et que c'est leur problème n°1.
Nous avons évalué à 2%, chiffre stable au long des siècles écoulés, la part d'humains sensibles aux animaux. Tu en fais partie, et donc tu étais aisé à convertir. Mais 2%, c'est une minorité...
Rédigé par : anthropopotame | vendredi 13 fév 2009 à 10:25