Nous vivons, hélas, une période privilégiée pour observer les changements rapides au sein d'écosystèmes, et les réponses adaptatives parfois fulgurantes. Darren Naish traite épisodiquement dans son blog Tetrapod Zoology d'observations surprenantes. J'avais mentionné sa note sur le "bunny eating heron", le héron mangeur de lapin. A présent, c'est une note portant sur un phoque commun (veau marin) mangeant des eiders (anatidé, famille des canards) qui a attiré mon attention. Cette espèce est en effet connue pour être assez exclusivement piscivore, au contraire de ses collègues taxonomiques, tel le léopard de mer.
Cela oblige à réfléchir sérieusement au concept "d'adaptation", généralement pensé comme un phénomène que subissent passivement par les espèces végétales ou animales, une sorte de loterie qui ferait que certains s'en sortent et d'autres ne s'en sortent pas. Je ne me prononcerai pas sur les végétaux, mais des signes de plus en plus répandus, liés à l'anthropisation des milieux, tendent à indiquer que certaines espèces animales, ou mieux, certains individus au sein de ces espèces, opèrent des choix stratégiques qui entraînent de véritables reconversions. On connaît le cas des mésanges, des goélands, des renards, sangliers et faucons, voici celui des hérons et des phoques.
Ce qui m'intéresse est le caractère volontaire de ces adaptations, qui permet de filer la métaphore selon laquelle "être un animal, c'est un métier". Eh oui, un métier, un vrai métier que l'on apprend et qui implique non seulement une formation permanente mais aussi des reconversions professionnelles.
Ce qui va déclencher l'adaptation morphologique, comme le suggéraient Turner et Anton en 1997, c'est bien le choix opéré par certains individus, notamment parmi les félins, de pratiquer par exemple la chasse sous les formes d'une poursuite à très grande vitesse. La méthode se répand par diffusion culturelle, et entraîne par la suite des changements morphologiques, ici l'adaptation à la course des guépards.
Dans le cas du veau marin qui s'en prend aux palmipèdes, on peut imaginer d'abord qu'il compense ainsi la rareté du poisson, et à plus long terme, si sa méthode et son choix se répandent (si l'individu en question est, contrairement à moi, un véritable leader d'opinion), une adaptation morphologique progressive : extension des mâchoires, capacité de propulsion hors de l'eau, et qui sait, à mesure que les oiseaux développeront des stratégies de défense, une progressive réadaptation des phoques communs à la vie terrestre.
Finalement le message délivré par ces phoques est plutôt optimiste !
"La méthode se répand par diffusion culturelle, et entraîne par la suite des changements morphologiques, ici l'adaptation à la course des guépards.". Tu es fan de Lamark?
Rédigé par : Narayan | lundi 09 mar 2009 à 21:37
Mmmh tu as raison, cela ressemble à du lamarckisme. Sauf que je ne postule pas la transmission des caractères acquis, mais une réorientation progressive du champ d'activité d'une espèce, qui fait que les individus "aptes" sont ceux qui développent des caractères adaptés à cette nouvelle activité.
Rédigé par : anthropopotame | lundi 09 mar 2009 à 22:26
L'adaptation est quelque chose de fascinant. J'avais pu observer une année une mouette solitaire qui avait pris l'étrange décision de se délecter d'étoiles de mer. J'avais pris une photo pour la postérité. D'été en été j'ai pu constater avec d'autres collègues que de plus en plus de mouettes du même rocher adoptaient le même comportement. Cela nous a bien occupés pendant nos moments oisifs!
Nous savions que les stocks de poissons locaux étaient en fort déclin, cela suffirait-il à expliquer cette étrange dégustation d'étoiles de mer? Les étoiles de mer sont aussi plus nombreuses, occupant une niche laissée vacante par d'autres prédateurs, alors serais-ce un juste retour de balancier pour éviter une surpopulation chez les étoiles de mer ?
Aucun d'entre-nous n'était un spécialiste des étoiles de mer ou des mouettes, nous sommes donc restés sur notre faim, mais je me demande parfois si cette première mouette n'a pas "décidé" par hasard de goûter cet étrange animal et si elle n'y a pas pris goût avant de faire partager sa découverte à ses congénères. La nature est décidement pleine de mystères et prend un malin plaisir à prendre nos "décrets de vérité" à contre-pied :-)
Rédigé par : Elo | lundi 09 mar 2009 à 23:48