Je cite une partie du commentaire de Mouton à ma note précédente :
"je sais pas mais si elle a passe des tests en laboratoire qui ont conclu que oh oui elle voyait mais dans le meme temps la science refuse d'en tenir compte, ben je comprends pas. C est quoi ces tests et ces laboratoires?"
Qu'il soit clair ici que je ne compte pas m'engager dans des recherches concernant le paranormal. D'abord, j'ai mieux à faire, ensuite, en l'état actuel de l'institution scientifique, cela équivaudrait à signer un arrêt de mort (symbolique).
Cette femme s'est soumise à des neuroscans afin de vérifier quelle part de son cerveau travaillait lorsqu'elle était en "état de voyance". Je ne suis pas compétent pour dire si réellement les résultats étaient étonnants, je suis obligé de tenir compte de ce qu'elle dit et ne puis postuler d'emblée qu'elle est une menteuse. Si telle était mon attitude, il serait inutile que j'aille interviewer des chamans ou des prêtresses de candomblé : je passerais mon temps à ricaner et à leur tapoter la tête en leur disant d'aller se faire soigner.
Il se trouve que tout ce qu'elle décrit et les explications qu'elle donne sont recevables par nous, non parce qu'elles seraient fondées scientifiquement, mais parce que nous sommes "disposés" à recevoir ce type d'information. Même toi, Mouton, si tu n'es pas superstitieux, tu maîtrises les principes de la superstition, et tu sais, même si tu es un scientifique, que la superstition existe, à défaut d'être fondée en réalité.
Cela, c'est le premier point, que j'intitulerais "le surnaturel appréhendé par les sciences humaines".
Tournons nos regards vers toi, à présent. Ton commentaire suggère que ne peut être pris en compte que ce qui est passé par l'opération magique du "test en laboratoire". Or nombre de données du réel échapperaient à ce test : l'amour que tu portes à Bergère n'est pas démontrable scientifiquement, le fait que les éléphants éprouvent le manque, le deuil et la perte non plus. Le test en laboratoire n'est pas tout, mon cher, cf ma note sur les névroses induites chez le chien.
Notre attitude à nous, scientifiques, est remarquable. Lorsque nous assistons ou éprouvons des choses qui passent l'entendement, nous passons par un moment de stupeur, puis (c'est mon cas après une nuit de sommeil, ce matin), nous écartons cela en disant "Ouais, en fait tout ça c'est des conneries", et nous invoquons des phénomènes de suggestion, d'influence, de conditionnement, etc. Cela est en soi une attitude remarquable parce qu'elle illustre bien l'incompatibilité des diverses représentations du monde. Or ces jugements définitifs n'impliquent pas que nous ayons raison, mais uniquement que notre régime interprétatif ne cadre pas avec les phénomènes réels ou supposés de la voyance.
Personnellement, je ne crois pas qu'il soit possible de deviner des motifs imprimés glissés dans une enveloppe, ni qu'il soit possible de prédire l'avenir d'une fusion-acquisition (domaine où cette voyante excellait). Mais que je ne le croie pas n'implique pas que je décrète que cela est du grand n'importe quoi, au nom d'un tournant de civilisation qui s'est produit il y a deux siècles en Occident (les Lumières, le Positivisme, etc.) alors que l'humanité s'est débrouillée sans cela pendant 200 000 ans. Au passage, la planète se portait beaucoup mieux avant ce tournant, c'est donc qu'un verrou a sauté qui était nécessaire au maintien d'un équilibre (certes précaire) entre les hommes et le reste du vivant.
Je vais te donner un exemple de la manière dont nous contrebalançons les explications "paranormales" par des explications tout aussi peu démontrables.
Un homme perd sa femme dans un accident de voiture. Nuit après nuit, elle lui apparaît en rêve, le supplie, l'appelle. L'homme ne dort plus. Comme la scène est située au Brésil, il cherche du réconfort dans un cercle spirite (oui, Allan Kardec est complètement oublié en France mais ses travaux ont essaimé au Brésil). La médium lui explique que sa femme n'a pas compris qu'elle est morte et qu'il faut, par des séances, le lui expliquer, afin qu'elle cesse d'importuner les vivants (au passage, les Yanomami ont des stratégies d'éloignement des morts assez similaires). L'homme se soumet aux séances, et cesse de rêver de son épouse.
Imaginons cette scène à Paris. Importuné par ces rêves l'homme aurait consulté un psychothérapeute, qui lui aurait prescrit des antidépresseurs et recommandé une cure psychanalytique. Le schéma explicatif déployé par l'analyste aurait été le suivant : "Votre psyché ne parvient pas à accepter l'idée que votre épouse est morte et ne reviendra pas. Nos séances seront destinées à vous instruire progressivement de ce fait qu'elle a disparu à jamais et qu'il vous faut affronter le monde de la réalité sans être épaulé par votre épouse".
Tu noteras que le schéma explicatif est rigoureusement le même pour la psychanalyse et pour le spiritisme, sauf qu'il est symétriquement inverse : dans un cas c'est l'épouse qui n'accepte pas l'idée, dans l'autre c'est le mari. Evidemment, il est plus parcimonieux de considérer que les choses se passent dans la tête du mari, dont la matérialité n'est pas mise en cause, plutôt que de s'encombrer d'un monde peuplé de fantôme dont on ne peut démontrer l'existence. Mais cela n'implique pas que le régime psychanalytique aille au delà d'une explication satisfaisante psychiquement.
C'est pourquoi j'attirais l'attention, dans ma note précédente, sur le fait qu'il y avait deux phénomènes à considérer : l'un, mystérieux, qui n'a peut-être pas lieu d'être et même n'existe pas (le phénomène parapsychique) ; l'autre, les schémas explicatifs que ces phénomènes, réels ou supposés, génèrent. L'anthropologue s'attache aux systèmes explicatifs comme le thérapeute s'attache à la douleur bien réelle entraînée par la mort d'une épouse. Que cette femme morte survienne en rêve est une autre question, c'est le "phénomène" en lui-même et je vois mal comment le circonscrire.
"Ton commentaire suggère que ne peut être pris en compte que ce qui est passé par l'opération magique du "test en laboratoire"."
Non ce que je faisait remarquer dans la seconde partie de mon commentaire c'est qu'elle "[..] s'est soumise au long de sa carrière à une batterie de tests, en laboratoire ou en réalité, qui ont abouti à la conclusion qu'elle avait des capacités étonnantes, [...] et une faculté de prescience". Plus loin, le prof qui l'invite dit que la science refuse de prendre en compte ce phenomene.
Alors ya quelque chose qui va pas soit elle a fait des tests en laboratoire, donc scientifique, qui ont prouvé sa faculté de prescience et donc la science reconnait ce phenomene soit elle n'a pas fait de test en laboratoire et la science ne reconnait pas ses capacités.
La science (laboratoire) ne peut pas dire oui pour dire non deux paragraphes plus loin.
Maintenant je ne voies pas la relation entre neuroscans et prescience. Il me semble que les neuroscans permettent de visualiser les parties actives du cerveau. Je ne pense pas qu'on est identifier la partie du cerveau responsable de la divination.
Maitenant il est fort possible que lorsque qu elle se met en etat de divination, l ecran s'illumine comme un sapin de noel. et alors? est-ce que ca prouve quelquechose autre qu'elle utilise peut-etre (la j en sais rien) des parties de son cerveau qui restent inactives lorsque le commun des mortels se met a penser tres fort à ce que sa femme/homme mettra sur la table pour le diner.
Maintenant au sujet des tests en laboratoire, il existe des methodes qui permettent d'evaluer les dons de divination de chacun. Faut chercher dans les archives du labo de zetetique. mes drolets me demandent, je reviens plus tard
Rédigé par : Mouton | samedi 14 mar 2009 à 20:10
Un truc me gene quand meme: tu mets (je me trompe peut etre) sur le meme plan le chamanisme et la voyance (dans l exemple que tu donnes au debut du post). Et je suis pas du tout d'accord a cause justement des "dispositions" dont tu parles ou du bagage culturel. Pour un europeen, le chamanisme c'est de la voyance. Pour un chaman, le christianisme c'est de l'anthropophagie (le sang et le corps) du christ.
Oui notre attitude est remarquable. Car plutôt que d'accepter un fait, nous l'analysons, le détaillons, le comparons à ce que nous connaissons déjà. Il est fort possible que ce fait passe dans la catégorie "tout ça s'est des conneries". Mais nous avons aussi le courage de dire: "Non je comprends pas, je peux pas l'expliquer".
Il tout a fait possible de deviner des motifs imprimés glissés dans une enveloppe. Comme il est tout a fait possible de deviner les chiffres du loto. Maintenant il est plus difficile de gagner au loto a chaque tirage mais ce n'est pas impossible statistiquement. ok je joue avec les mots. Pour en revenir a nos moutons. je ne decrete pas que la voyance c'est du n importe quoi mais que c est du domaine de la croyance (comme une religion). Maintenant, ce que je n accepte pas c est que certains voyants utilisent une terminologie scientifique, declarent "c'est prouvé", un argumentaire pseudo-scientifique pour mieux vendre et tromper le peuple.
tout a fait d accord avec tes deux avant derniers paragraphes. J en ajouterai un troisieme pour souligner ma pensee precedente: si on me fait le coup de la seance de spiritisme a paris, j'hurle a l arnaque car cela ne colle pas avec ma "culture" et que ma culture me propose une autre solution. Si je n avais pas cette autre solution je n'hurlerai pas a l arnaque mais suivrai mon raisonnement scientifique pour classer la seance de spiritisme dans les faits ou croyance. Ensuite, il se peux que meme si c'est une croyance, je decide d'y croire.
J aime beaucoup ta definition de l'anthropologue. d autant plus que je crois enfin comprendre ce que fait un anthropologue.
Rédigé par : Mouton | samedi 14 mar 2009 à 23:40
J'apprécie tes commentaires. A trois jours de distance je commence à classer ce que la voyante a dit comme un mélange d'innocence et de propagande. Les neuroscans auxquels elle s'est soumise ont prouvé qu'en état de voyance son cerveau s'illuminait, oui, comme un arbre de Noël - très bonne image que tu as trouvé là :)
Ces tests ne disaient rien sur la prescience. Sa faculté de divination a donné lieu à plusieurs reportages télévisés, avec des tests contrôlés, mais bon, c'est la télé.
Franchement le monde est assez compliqué comme cela pour ne pas s'embarrasser de ces phénomènes, cf l'excellent commentaire de Fantômette à la note précédente...
Rédigé par : Anthropopotame | dimanche 15 mar 2009 à 00:08
Bonjour cher professeur :)
Sont-ce les trois jours de distance qui modifient votre perception de cette intervention, ou le soleil qui brille ce matin et éclaire tant et tant que rien ne reste des mystères qui vivent (peut-être) dans l'ombre ?
Je vais citer l'extrait d'un livre, dont je vous ai déjà parlé : l'extrait s'intitule (je n'ai pas besoin de vous le traduire) :
"profundezas incertos".
"Y a t-il un mystère sous la surface de l'activité humaine ? Ou tous les hommes sont-ils entièrement tels que le révèlent leurs actions accomplie en plein jour ?
C'est étrange au plus haut point, mais la réponse change en moi avec la lumière qui tombe sur la ville et le Tage. Si c'est la lumière magique d'une scintillante journée d'août qui projette des ombres nettes, aux arêtes vives, alors l'idée d'une profondeur humaine cachée m'apparaît singulière, fantasme curieux, un peu touchant aussi, semblable au mirage qui se forme quand je regarde trop longtemps les vagues qui étincellent dans cette lumière. Si au contraire la ville et le fleuve, en un triste jour de janvier, sont coiffés par une coupole de lumière sans ombre et gris ennuyeux, alors je ne connais pas de certitude qui pourrait être plus grande que celle-ci : toute activité humaine n'est que l'expression hautement imparfaite et même ridiculement maladroite d'une vie intérieure cachée, à la profondeur insoupçonnée, qui tend vers la surface sans pouvoir jamais l'atteindre fût-ce de très loin.
Et à cette étrange et inquiétante instabilité de mon jugement, s'ajoute encore une expérience qui, depuis que je l'ai vécue, ne cesse de plonger ma vie dans une troublante incertitude : à propos de cette question au-dessus de laquelle il ne peut rien y avoir de plus important pour nous autres hommes, je chancelle justement quand il s'agit de moi-même. Lorsque en effet je suis assis à la terrasse de mon café préféré, que je me chauffe au soleil et que je guette le rire en claire clochette des Senhoras qui passent, alors il me semble que tout mon univers intérieur est rempli jusque dans le coin le plus reculé et qu'il est entièrement connu de moi, parce qu'il s'épuise dans ces agréables sensations. Pourtant, si une couverture de nuages vient désenchanter, dégriser le monde en se glissant devant le soleil, d'un seul coup, je suis sûr qu'il y a en moi des abîmes et des bas-fonds d'où des choses encore insoupçonnées pourraient surgir et m'entraîner avec elles. Alors je paie vite et je me cherche en hâte une distraction, dans l'espoir que le soleil reviendra bientôt et aidera l'apaisante superficialité à rentrer dans ses droits."
Rédigé par : Fantômette | dimanche 15 mar 2009 à 11:31