J'ai profité de la campagne pour faire une petite cure de télévision. J'ai donc assisté à une étrange campagne publicitaire, au slogan énigmatique: "Qui mange du boeuf, mange du boeuf".
Il m'arrive encore de manger de la viande, je comprends qu'un bon steack puisse faire fantasmer certains. Mais si je me reporte aux documents fournis par l'industrie de la viande lors des rencontres "animal-société", discutant la proposition d'une instance de concertation sur l'évolution de la législation concernant le bien-être animal, je lis ceci (document émanant de la fédération des professions avicoles):
La Profession agricole a fait part des plus grandes réserves vis-à-vis de cette instance de concertation. Cette structure risque en effet d’ouvrir une porte vers une surenchère permanente en matière de bien-être animal, pouvant aller jusqu’à une réécriture de la réglementation existante, l'introduction
de nouveaux sujets allant au-delà des propositions retenues dans le cadre des Rencontres Animal et Société, voire à terme une remise en cause des systèmes actuels de production voire même de la consommation de viande.
Si une instance de concertation devait quand même voir le jour, la Profession Agricole pose un certain nombre de préalables :
La signature, par les associations invitées, d’un code de déontologie, par lequel elles s’interdiraient de promouvoir publiquement un modèle alimentaire sans produits animaux, et s’engageraient à concevoir l’amélioration des conditions d’élevage de façon compatible avec « la sauvegarde de l’indépendance et de la sécurité alimentaires ». L’exemple souvent cité de la concertation au sein du Centre d’Information des Viandes (CIV), s’appuie justement sur ce type d’engagement.
En d'autres termes, si les producteurs de viandes ont le droit de promouvoir un régime carné (avec des arguments chocs et raisonnés comme le slogan évoqué ci-dessus), les défenseurs du végétarisme doivent s'abstenir de promouvoir le renoncement à la viande. Or la diminution de la part carnée de nos régimes alimentaires serait un choix de bon sens, d'un point de vue sanitaire et écologique - pour ne pas parler des questions morales.
Ce type d'argumentaire (inciter les gens à manger un produit afin de ne pas mettre en péril une filière professionnelle), est répété, on le sait, par les chaînes de télé qui agitent la menace de chute de revenus si l'on interdisait la promotion de produits sucrés destinés aux enfants.
Mais une fois ce débat devenu public, il faut s'interroger sur la promotion des produits alimentaires en général, car le soupçon d'une priorité accordée, par la puissance publique, aux intérêts des producteurs sur ceux des consommateurs, vient à l'esprit. On connaît la campagne promotionnelle qui, il y a quelques années, suggéraient de manger "onze fruits et légumes par jour", ultérieurement ramenés à cinq. Le chiffre onze était le résultat de pressions exercées par les fédérations de producteurs agricoles, et l'on imagine que le choix d'un chiffre premier était destiné à lui octroyer une valeur scientifique - le chiffre dix fleurant trop son arrondi.
Les cinq fruits et légumes sont donc le résultat d'un brainstorming visant à proposer un chiffre acceptable par le consommateur. Mais il faut se demander si son intérêt sanitaire est réellement pris en compte. L'hiver n'est pas une période propice à l'achat de primeurs, venus de l'hémisphère sud ou de serres hollandaises - leur bilan carbone et pesticide doit franchement laisser à désirer.
Ces réflexions me sont venues dimanche, au marché. A l'étal d'un marchand de pomme, j'ai vu inscrit, sous les pannonceaux énumérant les qualités des diverses variétés, la mention : "Suggestion d'accompagnement (au moins une pomme par jour)"
Au nom de quoi viendrait-on me suggérer que je devrais manger une pomme par jour ? Et cela sans autre argument que la simple assertion "au moins une par jour", comme s'il s'agissait d'un impératif catégorique appliqué à l'alimentation ? On découvre donc un effet pervers des messages sanitaires délivrés par le Ministère de la Santé - "Le tabac tue", "Pratiquez régulièrement une activité physique", "Evitez de manger trop sucré ou trop salé", "Les antibiotiques, c'est pas automatique" - qui, à force de s'inspirer de la forme slogan, en viennent à se perdre et se confondre dans la masse d'informations promotionnelles portant sur tous les types de produit - "Aide à la croissance" - "réduit le cholestérol dans le cadre d'un régime alimentaire adapté", etc.
Les préceptes, les recommandations, à force d'être confiés aux mêmes agences publicitaires qui, selon leurs clients, viendront à défendre tout et son contraire, se noient progressivement dans la masse des slogans. Notre esprit, progressivement, adopte cette forme de pensée. Les slogans remplacent progressivement les dictons et les maximes populaires qui avaient cet avantage d'être gratuits et désintéressés. La sagesse populaire laisse place, dans la formulation, au savoir-faire publicitaire, et il devient difficile, voire impossible, de discerner non plus le vrai du faux, mais l'information de la propagande.
"Au nom de quoi viendrait-on me suggérer que je devrais manger une pomme par jour ? "
Facile, parce que:
"An apple a day keeps the doctor away"..
OK, je sors
Rédigé par : Narayan | mercredi 04 mar 2009 à 14:59
Le fameux "une pomme par jour" vient probablement du dicton anglais que vous connaissez sûrement : "one apple a day keeps the doctor away".
Mais saviez-vous que Churchill (c'est du moins ce que l'on m'a raconté) précisait, lorsqu'on lui citait ce fameux dicton : "Tout à fait, mais encore faut-il viser juste."
:-)
Rédigé par : Fantômette | mercredi 04 mar 2009 à 15:02
Et je réponds à mes lectrices préférées: oui, oui, je connais le dicton, de même que "qui mange du boeuf" dérive de "qui vole un oeuf". C'est précisément la récupération de la forme "dicton" qui m'exaspère.
Rédigé par : anthropopotame | mercredi 04 mar 2009 à 15:09
Moi, je m'en fous des recommandations: quand je bouffe, je suis sourd. On peut donc dire ce qu'on veut, tant que c'est pas "tu m'fais goutter"? je tolere...
Rédigé par : Le Piou | mercredi 04 mar 2009 à 18:17
Je suis d'accord avec le Piou! Ras la casquette de ces recommendations des ayatollahs du bien-manger. Je constate que de plus en plus d'adultes ont des troubles alimentaires ou alors une relation pathologique à la bouffe. Il serait temps de reconstruire une relation plus saine à notre alimentation et sans doute nous remettre à accepter que oui, nous mangeons des animaux et renouer une relation avec eux, de la même façon que les anthropophages "honorait" d'une certaine façon les individus qu'ils mangeaient :-)
Rédigé par : Elo | mercredi 04 mar 2009 à 19:35
Euh, y'aurait pas un léger petit amalgame du végétarisme et des troubles alimentaires là?
par rapport au sujet initial, ce que je trouve le plus étonnant, c'est que la campagne "mange du boeuf", passe sur des chaines publiques, après 20h00...
Rédigé par : IV | mercredi 04 mar 2009 à 20:05
Cher IV, désolé, mon commentaire n'était pas très clair. Les troubles alimentaires touchent aussi bien les végétariens que les carnivores, donc aucun amalgame entre les deux :-) L'idée de renouer avec sa nourriture parait plus évidente dans le cas de la viande (moins ragoutante), mais est aussi importante pour les légumes. Rien de tel que d'avoir à déterrer soi-même ses carottes pour les regarder avec plus d'amour ;-)J'ai été végétarienne un certain temps et je respecte beaucoup ceux qui font ce choix de vie, bien plus écolo il est vrai.
Rédigé par : Elo | jeudi 05 mar 2009 à 02:55
ouf j'ai eu peur un moment, ceci dit ça va aboutir à un (des) articles dans pas longtemps, parce que la confusion est fréquente.
Rédigé par : IV | jeudi 05 mar 2009 à 18:51
Elo , vous me ( nous , les végétariens ) respectez donc beaucoup . Sachez simplement que je peux parfaitement vivre sans votre respect , respect qui sera moins " beaucoup " quand vous aurez lu ces lignes : je serai pourtant toujours en vie et ne souffrirai pas d'avoir perdu de votre respect .
En revanche , ceux qui vivent et crèvent misérablement dans l' indifférence quasi générale des pourfendeurs ou des adorateurs d' ayatollahs aimeraient bien le petit respect possible ...
" il serait temps de nous remettre à accepter que nous mangeons des animaux " .
" remettre à accepter " implique que nous n' acceptons plus . C'est en effet le cas des végétariens , mais ils sont tellements minoritaires qu'on ne peut pas les qualifier de " nous " . Vous vouliez sans doute dire " il serait temps que les végétariens redeviennent carnivores car leur attitude met ma conscience de carnivore dans une position inconfortable " .
" renouer une relation avec eux " : " renouer " implique qu'il n'y a plus de relation nouée avec eux . Quelle relation voulez-vous donc renouer avec les animaux ?
Le meilleur pour la fin , comme il se doit : " Rien de tel que d'avoir à déterrer soi-même ses carottes pour les regarder avec plus d'amour "
Vous paraphrasant , je dirais " rien de tel que d' avoir à tuer soi-même son poulet pour ... " et je vous laisse le soin de compléter ...
Comme je vous envie , Elo ... Vous êtes capable de regarder des légumes avec amour , ce qui n'est pas mon cas ( peut-être parce qu' enfant , j' ai déterré par moi-même un grand nombre de carottes dans le potager campagnard plus bio que bio de mon père ).
En revanche , j'ai toujours regardé avec compassion et tristesse les moutons auquels j'avais donné le biberon partir à l' abattoir , ainsi que les cochons avec lesquels je n'avais pourtant noué aucune relation mourir en hurlant sous les yeux guillerets des braves gens se délectant par avance du boudin à venir ...
Merci de compléter " Rien de tel ..." .
Rédigé par : azer | vendredi 06 mar 2009 à 01:03
@azer: l'intolérance provoque l'intolérance. Vous nuisez à votre cause.
Rédigé par : anthropopotame | vendredi 06 mar 2009 à 10:14
Cher Azer, Je viens moi-même d'une famille avec de fortes racines rurales. La première chose que l'on m'a appris enfant c'est à respecter ma nourriture. Une bonne moitié de ma famille est hindoue pratiquante, donc strictement végétarienne. Mon père ne l'est pas et nous avons donc mangé de la viande et du poisson enfants. Mon père nous emmenait à la pêche pour nous apprendre quels efforts sont nécessaires pour attraper le poisson et nous avons tous appris à vider et à nettoyer un poisson, plus tard la leçon a été réitéré avec les lapins ou les poulets (nous mangions très peu de boeuf). J'en ai tiré un respect pour ces animaux que l'on tue pour manger, de fait je mange très peu de viande. Les légumes demandent beaucoup de travail et de patience à produire, quand on a la chance d'avoir un potager à soi, je trouve qu'on retire plus de plaisir de ses légumes, et de fait plus de respect. En acceptant notre nature de "prédateur" (de viande ou de carottes, peu importe) et en reconnaissant la nature de ce que nous mangeons, sans doute aurons-nous moins de soucis à manger. Mon commentaire n'avait pas vocation à offenser :-)
Rédigé par : Elo | vendredi 06 mar 2009 à 18:35
Cher anthropopotame, vous avez désormais besoin d'un troll detector. Quelle consécration !
:-)
Rédigé par : Fantômette | vendredi 06 mar 2009 à 18:54
Chacun son troll, chez toi les ayatollah du haricot vert, chez le Piou et moi les chemises brunes...
Je t'envie, c'est plus drôle et moins nauséeux chez toi!
Elo, azer, IV, inutile de m'incendier, je suis incapable (INCAPABLE) de résister au postage de commentaire sarcastique!
Rédigé par : Narayan | vendredi 06 mar 2009 à 19:43
Bon, mes lecteurs chéris, vous n'êtes pas très nombreux, alors si vous commencez à vous entredéchirer dès que je parle de bidoche je vais cesser d'en parler et supprimer la note. D'ac?
Rédigé par : anthropopotame | vendredi 06 mar 2009 à 19:48
nan, supprime pas! au moins, c'est pas le blog de la pensée unique ;-)
Et puis un peu d'animation de temps en temps, ça peut pas faire de mal...
Bon, c'est pas le tout, mais je retourne chez moi me fritter avec le Piou.
Rédigé par : Narayan | vendredi 06 mar 2009 à 20:34
Autant en sourire :-) Non Anthropopotame, ne nous privez pas de vos petits mots ! Promis je retourne planter mes haricots ;-)
Rédigé par : Elo | vendredi 06 mar 2009 à 21:59
@ Elo
Ce qui pose problème , ce n'est pas de reconnaître notre nature de prédateur , de légumes ou de viande , c'est : " peu importe " . Je ne vous ferez pas l' insulte de vous croire capable de m' opposer le célèbre argument du " cri de la carotte " , mais pensez-vous que les légumes sont de même nature que les animaux ? ( Maintenez-vous " en reconnaissant la nature de ce que nous mangeons , sans doute aurons-nous moins de soucis à manger " ? ). Le problème est que pour satisfaire les " besoins " en viande de l'humanité , il faut recourir à des méthodes que vous n'ignorez pas . Les animaux dont je parlais dans mon commentaire ont eu une fin difficile , mais ils ont eu un début et un milieu sans comparaison avec celui des animaux d' élevage actuels .
Il est désolant de constater que le rappel de ce simple fait n'inspire aux lecteurs de ce blog que des " troll , ayatollah du haricot vert , c'est drôle ... " .
Tant de normaliens consacrés qui s'ignorent est finalement assez normal , au sens statistique ( et sarcastique ) du terme .
@Anthropopotame
Intolérance ou franchise ? Constatez qu'en supposant que je ne fais pas avancer notre cause , je fais au moins rire ! Jaune , donc ...
@Narayan
Tout le monde est contre la pensée unique : pourfendre la pensée unique est donc une attitude propre à ceux qui appartiennent sans le savoir à la pensée unique ( les normaliens , par exemple ).
D' ailleurs , comme vous reconnaissez que mes opinions vont à l' encontre de la pensée unique et que vous ne les partagez pas , c'est donc que vous appartenez à cette pensée unique ( au moins dans le sujet en question : l' alimentation ).
@ Fantômette
Pas besoin de troll ejector , je suis autoprogrammé ! Avant d' actionner le siège éjectable , je vous invite à compléter la phrase " Rien de tel que de tuer soi-même l' animal qu'on veut manger pour ... " .
Rédigé par : azer | samedi 07 mar 2009 à 01:54
Autoprogrammé, dites-vous ?
Quel aveu intéressant.
Je ne vous ferai pas l'affront de supposer que vous ne disposez pas de cette lucidité sur vous-même qui vous permet de poser un tel diagnostique.
J'y vois l'indice de ce que vous maitrisez les codes d'une discussion type sur la question du végétarisme. Quelque argument que quelque commentateur pourra vous opposer sera connu de vous, toujours déjà répertorié, tout comme le contre-argument que vous ne manquerez pas de lui opposer.
D'où l'idée de programmation. A chaque étape du débat (débat type déjà décrit pas IV, dont j'ai naturellement pris connaissance) la suite logique s'inscrit d'elle-même dans le déroulé d'une discussion contrainte, dans laquelle il est absolument vain de s'engager, puisque les répliques des uns et des autres sont déjà écrites.
Saurez-vous donc compléter la citation skakespearienne suivante : "words, words, ..." ?
Le scenario étant désormais connu de tous, et n'offrant aucune issue sinon l'éternelle reprise des mêmes enchainements (Cf. note d'IV), nous pouvons clore dès à présent une discussion qui n'a jamais eu lieu.
Ce que je vous propose de faire.
Rédigé par : Fantômette | samedi 07 mar 2009 à 10:34
Je me demande si vous avez conscience que vous bottez en touche pour soulager par avance votre conscience de carnivore . Quel aveu de faiblesse que de briser le miroir de peur de s'y voir ...
Vous ne voyez pas les bons indices .
Alors vous faites des mots , des mots ...
Je complète : " des mots , des mots , troll , ayatollah ... il faut bien savoir cacher son embarras à défaut de pouvoir se justifier " .
Car sur le fond : rien ... Depuis le début , simplement rien .
Toute votre " suite logique " repose sur une supposition : " quelque argument que quelque commentateur pourra vous opposer sera déjà connu de vous , toujours déjà répertorié ... " . Cette supposition vous sert d' argument pour ne pas aller plus loin . Vous avez tort , car c'est la première fois que j'entends l' argument " quelque argument ... sera déjà connu de vous " !
Cependant , vous pouvez encore supposer que je mens : ainsi , " c'est la première fois que j' entends l' argument " quelque argument ... sera déjà connu "" devient le contre-argument à votre " quelque argument que quelque commentateur pourra vous opposer ..." . Ainsi , vous accréditez alors la thèse du débat type comme seul débat possible , et vous vous donnez par avance raison de ne pas vous y engager . Il serait plus inconfortable pour vous de supposer la possibilité d'un débat atypique puisque les raisons qui vous conduisent à refuser le débat typique ne s'y appliquent pas . Les mots comme troll ou ayatollah deviennent donc sans objet , et il n' y a plus de touche vers où botter ...
La lucidité sur soi-même devient alors possible .
Etes-vous capable d 'autoprogrammer vos choix alimentaires , that is the question ...
Je pense que non , c'est pourquoi j' accepte votre proposition .
Rédigé par : azer | samedi 07 mar 2009 à 23:38
Azer, je vous suggère de lire cette note très intéressante d'Elo :
http://orcaeyes.blogspot.com/2009/03/les-ayatollahs-et-les-empecheurs-de.html
Rédigé par : anthropopotame | dimanche 08 mar 2009 à 10:57
Je commencerai en vous indiquant qu'il est parfaitement inutile de chercher à me vexer, m'insulter, me mettre en colère ou m'émouvoir, sur cette question, comme sur beaucoup d'autres. Vous pouvez même partir du principe que je n'ai pas de cœur si cela vous chante. Dans le cadre d'un débat digne de ce nom, les arguments s'adressent à l'intelligence de vos interlocuteurs. Tout autre moyen rhétorique cherchant à entrainer ceux-ci sur la pente glissante de la polémique s'avèrera parfaitement vain, et cela sera particulièrement vrai dans mon cas.
Voulez-vous un débat atypique ? Je vous propose alors de vous inspirer des éléments qui vous ont d'ores et déjà été donné par notre hôte sur la question.
Faisons le point sur les grandes lignes qui gouvernent les nouveaux rapports de l'homme (pour être précis, il faudrait parler de l'homme moderne occidental) et de l'animal.
Contrairement à ce que vous pourriez penser, ces rapports ne sont pas si nettement définis qu'on le suppose communément.
S'il n'est pas inexact de continuer à dire, à la suite du Doyen Carbonnier, que le code civil "jette un manteau réificateur" sur l'animal, il s'agit là d'une réalité qu'il conviendrait aujourd'hui de nuancer largement.
Ainsi, on ne peut nier, et je ne pense pas que cela soit aujourd'hui sérieusement discuté, que de tous les éléments naturels, les animaux nous sont les plus proches. D'une proximité troublante, parfois (anthropopotame s'en est largement fait l'écho dans ces pages), qui ébranle nos classifications. Ne serait-ce que parce qu'il n'est nié par personne qu'un animal connait, anticipe et redoute la souffrance, qu'il fuit s'il en a l'opportunité. Il dispose donc "d'intérêts".
L'animal a pris une place hautement ambiguë dans nos sociétés. Courtisé comme jamais, lorsqu'il a la chance d'être un animal de compagnie, exploité comme jamais, s'il a la malchance d'être un animal d'expérimentation, ou d'élevage.
Cette ambiguité même est certainement au moins aussi révélatrice des doutes et vacillements qui sont les nôtres lorsque nous réfléchissons à la difficile question de savoir ce qui fait de l'homme un homme. On ne se définit qu'en s'opposant, et voilà que l'opposition classique qui nous permettait de nous (sa)voir autre, distincts et donc identifiés, se dérobe sous nos pas.
Qui sont-ils ?
Qui sommes-nous ?
L'animal, tantôt flatté, tantôt dévalorisé, nous force à réfléchir à l'attitude éthique qu'impose, plus globalement, notre rapport à la nature.
Le débat sur le végétarisme s'inscrit naturellement dans le cadre de cet enjeu qui le dépasse, mais lui donne également toute sa signification.
Deux écueils me semblent également redoutables dans la recherche de cette position éthique (je vous donne mon opinion personnelle sur ce point, dont je ne pense pas qu'elle soit précisément celle d'anthropopotame) : un dualisme classique, aujourd'hui largement dépassée ; un monisme confus, tentation post-moderne qui ne me semble ni opportune, ni pertinente.
Alors l'animal ?
Vivant, créature, chose, nourriture, esprit, instrument ?
A nature équivoque, sort contrasté.
Aujourd'hui, devant les tribunaux, les couples qui divorcent se voient attribuer "la garde" du chien ou du chat, comme on attribue celle des enfants, et l'on organise aussi bien les modalités d'un droit de visite et d'hébergement de celui des époux qui n'en a pas obtenu la garde. A côté de cette surprotection, je n'ai nul besoin - deviné-je - de vous rappeler le sort peu enviable des animaux voués à la consommation humaine.
Cherchez-vous la vérité ? Les éthologues la cherchent peut-être, les anthropologues la cherchent peut-être... Qu'est-ce que la vérité ? Est-elle seulement connaissable ? Existe t-elle seulement ?
Je vais vous donner mon opinion.
La solution sera juridique. Le Droit est l'instrument idéal - il est du reste le seul instrument adéquat - pour y parvenir, pour la bonne et simple raison que le Droit est par nature performatif. Il se passe donc très bien de connaître la vérité. Il crée la sienne : opérative, fonctionnelle, concrète et - par-dessus tout - efficace.
"Performatif" signifie la chose suivante : en Droit, dire, c'est faire. Ou en l'occurrence, dire que "cela est", entraine que "cela est".
Dit encore autrement, le Droit est normatif. Il ne constate pas, il institue. Il est fondé sur - et par - des valeurs, et non sur des faits ou des vérités.
Alors, plus précisément, sur le végétarisme.
Inutile de disserter sur les bienfaits ou méfaits supposés d'une alimentation purement végétarienne, tout cela relevant, vous en conviendrez, du débat classique. Inutile de disserter sur la souffrance des animaux par opposition à la souffrance des végétaux, tout cela relevant également du débat classique. Je ne reviens pas sur les conditions d'existence indignes des animaux élevés par l'industrie agro-alimentaire, tout cela relevant encore une fois du débat classique.
Je ne rentrerai pas d'avantage dans ces arguments polémiques (qui ne méritent certes pas le nom de débat, typique ou atypique), qui consistent simplement à s'invectiver à grands coups d'insultes et de présupposés sur la nature plus ou moins fachisante de tel ou tel positionnement sur la question, le but n'étant pas d'atteindre le fameux point Godwin qui signe l'acte de décès de toute discussion raisonnée - la seule à laquelle je me tiens.
Dépasser le cadre du débat classique doit conduire à en inverser le déroulement, pour en élargir le cadre.
Il doit être ici question d'une problématique "anthropologitisée" de l'animal. L'anthropologie s'est souvent fait l'écho (je parle sous le contrôle de notre hôte) de cette image ambivalente de l'animal, à laquelle répond l'image plus ou moins nette de l'homme qui s'observe lui-même et cherche sa propre place dans une nature qui l'inclut mais dont il se sent parfois différent.
Manger abolit la rupture. Manger est toujours la manifestation d'une logique d'indifférenciation, l'effacement d'une idée de l'altérité, puisque manger, c'est absorber, et absorber, c'est intégrer l'autre en soi-même (nous abordons une thématique plus psychologique qu'anthropologique, peut-être, mais le propre des débats atypiques est souvent d'être transdisciplinaire).
Le besoin d'assimiler (assimiler - au sens fort) de la chair et du sang est un besoin anthropologique fort. Lorsque les partisans d'une alimentation végétarienne expliquent que l'homme peut physiologiquement s'en passer - au sens où il n'en a pas besoin pour survivre, en bonne santé et dans de bonnes conditions, ils peuvent ne pas avoir tort.
Mais ils parlent "à côté" d'une représentation mentale forte, qui a bien plus de poids que la seule question de savoir si je survis ou non en ne mangeant plus de viande.
Manger de la chair et du sang, contrairement, finalement, à ce que le débat classique pourrait laisser croire, ce n'est pas faire de l'animal une chose. C'est presque le contraire. On ne mange pas des choses. On mange du vivant. C'est pour cela que l'on veut en manger. Manger du vivant rend encore plus vivant. C'est peut-être faux, mais c'est logique. Et surtout, c'est ancré.
Prétendre faire renoncer par l'homme à son alimentation carnée (sur une vaste échelle, je ne parle pas de micro-initiatives qui ont pu, quant à vous, vous faire opter pour le végétarisme) au prétexte que les animaux, en tant qu'êtres vivants, devraient précisément échapper à ce destin, c'est condamner ce débat à rester un dialogue de sourds.
Rédigé par : Fantômette | dimanche 08 mar 2009 à 12:21
Je me permettrai de recadrer ce débat.
Que les humains mangent de la viande, cela fait partie de leur héritage phylogénétique. La chasse est et demeure le pilier de l'organisation sociale de nombre de peuples indigènes, et il serait aberrant, et abusif, d'intervenir. La cruauté dont ils font preuve au moment de la mise à mort peut provoquer la nausée, mais tuer un être vivant pour le manger ne sort pas des cadres des processus naturels, dont l'humanité relève.
Le problème posé par l'élevage industriel est de différents ordres (tout comme la vivisection, la fourrure, etc). D'accord avec Fantômette, il pose une question morale qui ne sera tranchée que par l'évolution de la pensée juridique. Renoncer à la viande pour protester contre les conditions dans lesquelles elle est produite relève, A CE STADE DE NOTRE EVOLUTION, de la décision individuelle et de la sphère privée. Chercher à imposer cette décision à autrui, par le biais de l'invective, des bouts de vidéos choquantes non situées et non datées, est contreproductif. C'est en ce sens que vos commentaires, Azer, relèvent de l'intolérance, car aussi justifiée soit votre indignation, vous ne pouvez poser - sauf à brandir le Coran - que la position des autres est infondée, stupide, etc.
Si nous quittons la sphère de l'intérêt privé pour entrer dans celle de l'intérêt générale, alors nous pouvons (je dis nous car je suis également favorable à l'arrêt de toute forme d'exploitation d'autres animaux par l'homme, du moins en l'état actuel de notre démographie), je dis bien nous pouvons développer une argumentation d'ordre sanitaire, géopolitique, économique et environnementale.
L'élevage industriel pratiqué en Europe exige la dévastation de vastes forêts primaires à des fins de plantation de soja en Amazonie. Aux Etats-Unis d'immenses espaces sont consacrés au maïs et soja pour l'alimentation animale, activité polluante et qui déséquilibre le marché alimentaire, en réduisant la part de la production agricole immédiatement destinée à la consommation humaine.
La logique industrielle à l'oeuvre pour imposer cet état de fait est celle d'un lobbying dont je cite un exemple dans ma note - le lobby avicole fait pression pour empêcher toute campagne publicitaire visant à réduire la part de viande dans l'alimentation - ce qui, objectivement, va à l'encontre des intérêts de la santé publique (la part de protéine dans notre alimentation est disproportionnée si l'on songe à notre activité physique). Il y a ici un angle d'argumentation qui n'est pas aussi facilement écarté que celui du malaise provoqué par le fait de se nourrir de la chair d'un être vivant.
C'est l'objet de ce blog que de réfléchir à ces questions. Il n'est donc pas souhaitable de torpiller ce débat avec des arguments à l'emporte-pièce qui n'ont pas pour objectif de convaincre, mais de justifier de votre autorité morale et de la pertinence de vos assertions en postulant que vos interlocuteurs n'ont de toute façon pas les capacités morales ou intellectuelles pour vous répondre.
Rédigé par : anthropopotame | dimanche 08 mar 2009 à 13:36
@Azer, votre intervention sur la pensée unique est édifiante!! voyez vous, contrairement à vous (et vos écrits sont là pour en faire preuve), je n'émets AUCUN jugement de valeur sur vos choix alimentaires. A dire vrai ils me sont totalement indifférents, et il ne me viendrait jamais à l'idée de vouloir vous convaincre que vous êtes dans le faux (dans le mal??) et que mes choix sont meilleurs et doivent être partagés par tous. Pensée unique?
je n'ai aucun mépris pour vos choix (peut être un peu pour votre mode de communication, mais c'est un autre débat), contrairement à vous. Car ne prenez pas les autres pour des crétins, nous avons parfaitement compris que traiter quelqu'un de "carnivore" est une injure sous votre plume. A ce sujet, il me faut vous corriger. Manger de la viande ne fait pas de nous des carnivores, tant que notre bol alimentaire est diversifié. Incroyable, tout comme l'ours, nous sommes des omnivores (de omnis et pas homo), en d'autres termes, nous mangeons de tout (ou presque) et sommes capables de tout métaboliser.
En ce qui me concerne, je ne mange pas de poisson. Je pourrais me draper dignement dans mon engagement contre l'exploitation extensive du monde marin, mais la réalité est bien plus prosaïque. Je n'aime pas le poisson. J'aime manger, et j'aime manger ce que j'aime. Le steak mais pas le foie, le chou-fleur mais pas le brocoli, etc.
Etre contre l'élevage en batterie est honorable, mais on peut toujours si on en a les moyens choisir de la viande issue de filières plus respectueuses de l'animal. Que pensez vous donc du développement des serres en Andalousie? Boycottez vous les légumes espagnols ou marocains ou ...? Et comprenez mon propos, je ne m'inquiète pas de la santé des légumes qui poussent dans ces conditions, mais bien de tout ce que ce choix d'exploitation intensive induit pour l'environnement. J'ai les moyens financiers me permettant de choisir des produits issus de filières respectueuses et du produit et de l'environnement. Croyez vous que ce soit le cas la majorité de nos concitoyens? Quelle alimentation leur conseilleriez vous alors?
Rédigé par : Narayan | dimanche 08 mar 2009 à 16:32
Mon pauvre Azer
Je tombe ici presque par hasard. Le mot tombe est bien choisi, n'est-ce pas.
Ton argumentation est parfaite.
Les réponses suréalistes.
Tu es vraiment un type bien.
Rédigé par : Dingo | samedi 06 fév 2010 à 14:06
@ Dingo et Azer:
Je crois en effet que ce blog ne vous est pas destiné. Il ne procède ni de l'invective, ni de l'auto-congratulation. On n'y use pas de mépris, on n'y parle pas de ce que l'on ne connaît pas. Vous usez des blogs comme d'un défouloir; ce n'est pas l'usage que j'en fais.
Rédigé par : anthropopotame | samedi 06 fév 2010 à 18:55