Il faut à tout prix que je cesse de me prendre la tête avec ce qui se passe à Neverland. Il n'y a plus rien à faire de ce côté-là, j'ai vidé mon sac et ai renoncé à discuter.
Je me demande parfois si ces brusques accès de focalisation ne sont pas des stratégies qui m'évitent d'angoisser pour ce qui me touche directement. Les oraux du CNRS, la soutenance de l'HDR.
Il y a deux semaines, j'étais prêt à me lancer dans une procédure juridique complexe à l'encontre de mon ex, M. la méchante.
La semaine dernière, toute ma pensée était focalisée sur un éventuel week-end avec M. la jolie, dont j'apprends ensuite qu'elle se débrouille pour aller danser là où elle sait que je ne serai pas.
Petite brouille au passage avec la personne qui m'a annoncé cela puis m'a laissé confire dans mon angoisse en refusant de me donner des précisions.
Cette semaine, c'est le blocage de la fac à Neverland qui motive mes envois de mails furibonds.
Bref : une réaction s'imposait. Je me suis acheté une tripotée de romans d'Agatha Christie et je me délecte de ses talents. C'est un essai de Pierre Bayard (Qui a tué Roger Ackroyd ? paru en 1998 aux éditions de Minuit) qui a attiré mon attention sur la qualité et l'inventivité de cette vieille dame - qui fut jeune un jour.
On aura compris que dans cet essai, Pierre Bayard s'attache à démonter le roman Le meurtre de Roger Ackroyd où Agatha Christie use d'un artifice narratif proprement stupéfiant, que je ne dévoilerai pas. Mais pour donner une idée des ouvertures qu'offre Bayard dans son essai, je mentionne une proposition magistrale qui par la suite m'a énormément servi : dans les romans d'Agatha Christie, le ressort dramatique réside dans ce qui n'est pas dit, ou n'est pas décrit. Elle concentre donc les effets non dans des phrases, mais dans des points de suspension ou, mieux encore, dans le vide qui sépare deux paragraphes. Le procédé a été repris, bien sûr, mais cela donne l'idée d'un livre qui, si on le secouait, laisserait échapper en voletant ses blancs et ses ellipses.
Le problème, avec cet essai excellent, c'est qu'il donne certaines clés qui font que dans le dernier roman que j'ai lu (Un meurtre sera commis le... A Murder is announced, 1950) j'ai deviné qui était la coupable aux deux tiers du roman :-(
Intéressant.
Je n'ai guère lu d'Agatha Christie, mais ce que vous dites de l'espace silencieux - et significatif - qui sépare les mots, les phrases ou les paragraphes m'évoque assez nettement la façon dont on peut aborder des écritures dans ma partie.
C'est qu'il s'agit de "tailler" une démonstration, comme on taillerait un buisson de buis, ce qui peut imposer de rester évasif à propos de certains aspects de la réalité, qui, s'ils étaient pleinement assumés, nuiraient à la qualité de la démonstration.
Il s'agit moins, cependant, d'une habitude d'écriture que d'une habitude de lecture. Il faut lire les actes et pièces adverses avec une attention toute particulière pour ce qui n'y figure pas, et il y faut un regard particulièrement attentif et patient.
Le Droit est l'une des meilleurs écoles que je connaisse pour la lecture entre les lignes et l'interprétation des silences (qui ne sont pas des vides, contrairement à ce que l'on entend trop souvent dire). Ceux que laissent nos propres écritures, mais aussi ceux de la loi, des règlements, de la jurisprudence.
Il est probablement étrange que je n'ai jamais accroché à A. Christie, à qui j'ai toujours préféré Arsène Lupin. J'ai préparé mon bac philo en relisant plusieurs fois très attentivement l'intégrale d'Arsène Lupin :)
Question : le silence entre les mots est-il encore du langage ?
Rédigé par : Fantômette | jeudi 19 mar 2009 à 19:35
Hum Fantômette.. Votre "Intéressant" claque comme un coup de fouet. Comme si votre pauvre vieil anthropopotame, encombré de bilans, de fleurs, de billets doux, de procès, de romances, ne parvenait plus à éveiller en vous le désir de lire "Le meurtre de Roger Ackroyd". Maurice Leblanc, hélas, n'a rien inventé. Je vous le dis carrément. Agatha Christie, quant à elle, est le plus grand génie littéraire de tous les temps!!!
Rédigé par : Anthropopotame | jeudi 19 mar 2009 à 21:42
Hmm, vous vous méprenez, mes "intéressant" sont toujours sincères.
Arsène Lupin reste le meilleur d'entre tous. Il m'a appris ce qu'était raisonnement.
Un simple auteur ne parviendra jamais à la cheville d'un héros de fiction, raison pour laquelle je vous rétorque, sans crainte de me tromper, qu'Arsène Lupin vaut bien mille et une Agatha Christie.
(Et vous ne répondez pas à ma question :))
Rédigé par : Fantômette | jeudi 19 mar 2009 à 22:35
"le silence entre les mots est-il encore du langage"? Comment voulez-vous répondre à une telle question? Si je voulais vous séduire (ce qui n'est pas mon genre), je dirais quelque chose comme "Oui, de même que le parfum qui emplit la pièce quand vous l'avez quittée" :)
Si en revanche je voulais vous répondre, je dirais: "Oui, comme le vert des petits pois demeure après que nous les ayons mangés".
Rédigé par : Anthropopotame | jeudi 19 mar 2009 à 22:46
Jolies réponses, cher anthropopotame.
Quoique je trouve évidemment scandaleux d'apprendre que vous ne cherchez pas à me séduire :)
(Non pas que cela soit chose aisée cela dit)
Rédigé par : Fantômette | vendredi 20 mar 2009 à 11:09