Je me souviens avoir vu, il y a quelques années de cela, un film sur l'enlèvement et l'exécution d'Aldo Moro par les Brigades Rouges. Le film insistait non tant sur ses conditions de détention, que sur les conversations entre geôliers, jeunes bourgeois en rupture ayant épousé la cause prolétarienne.
Et Aldo Moro, durant son procès tenu dans le cachot, par des jeunes gens qui ne dissimulaient plus leur visage, annonçant ainsi qu'il était de toute façon condamné, peinait à comprendre ce dont on l'accusait, et en quoi la "justice prolétarienne" devait déroger à la morale et aux règles élémentaires du droit.
Face à des jeunes épris de discours, prônant le "pragmatisme socialiste" et la "réalité populaire", Aldo Moro ne pouvait que répondre: "je ne comprends pas", car il devait bien savoir, au fond, que ces jeunes parlaient de politique comme d'autres écrivent des poèmes: pour se griser de mots.
Quand j'ai lu dans le Monde d'hier l'entretien avec Julien Coupat, j'ai éprouvé le même sentiment que lors du film, le sentiment que face à des hommes noyés dans leur propre rhétorique, il n'y a rien à faire, il n'y a plus moyen de considérer que la réalité existe et qu'elle peut faire l'objet d'une réflexion critique.
"A l'heure de l'intellectualité diffuse...", "l'élite", "l'oligarchie"..." Face à ce pouvoir en guerre qui ose penser stratégiquement..."
"Ce qu'il y a, c'est, devant nous, une bifurcation, à la fois historique et métaphysique: soit nous passons d'un paradigme de gouvernement à un paradigme de l'habiter au prix d'une révolte cruelle mais bouleversante, soit nous laissons s'instaurer, à l'échelle planétaire, ce désastre climatisé où coexistent, sous la férule d'une gestion "décomplexée", une élite impériale de citoyens et des masses plébéiennes tenues en marge de tout."
Ce jeune homme habite dans les mots. Il les aime et les tient pour fin en soi. A force de verbiage désignant les grands dilemmes qu'il lui appartient de résoudre, il perd de vue ce qu'il est, d'où il vient, à qui il s'adresse, et dans quel monde nous vivons. Il a une mission. Il a lu la 4e de couverture de Gibbon. Il a lu une version abrégée de Marx. Il a lu ce qu'écrivent les camarades estimant que l'heure est proche et qu'il leur appartient de soulever le peuple, la plèbe, contre les tyrans. L'heure de quoi ? L'heure du grand mélange syntaxique, la confusion des valeurs et des pouvoirs. On est d'autant plus dogmatique qu'on est minoritaire : comme les tenants d'une écologie radicale n'ayant plus de politique que le nom affirment en soupirant que c'est la seule solution et qu'il faut vite y venir, oubliant totalement le fait que nous vivons en démocratie, les gens comme Julien Coupat 1) dénoncent le pouvoir tyrannique 2) ignorent le fait que tout le monde n'est pas débile, et que le droit de vote a un sens, et qu'on y tient aussi.
La confusion s'affirme avec des phrases comme "Est souverain, en ce monde, qui désigne le terroriste" - allusions aux résistants devenus des héros, à Arafat devenu chef de l'Autorité palestinienne, et petite phrase visant à accréditer l'idée que nous vivons dans une ère de terrorisme d'Etat dont il serait, lui, une victime.
"Le flou qui entoure la qualification de "terrorisme", l'impossibilité manifeste de le définir ne tiennent pas à quelque provisoire lacune de la législation française: ils sont au principe de cette chose que l'on peut, elle, très bien définir: l'antiterrorisme dont ils forment plutôt la condition de fonctionnement."
Qui ça, ils? Le flou et l'impossibilité devenus des actants ? Qu'est-ce sinon la reprise d'accusations portées contre Bush dans un autre contexte? Ou bien c'est la marque d'un esprit confus, ou bien une stratégie de relativisation (le bien = le mal vu sous un autre angle) qui navigue sur un océan métaphysique. Je sais distinguer la gêne suscitée par une police trop présente et ce que j'appelle la Terreur, c'est-à-dire l'incertitude où l'on se trouve, quand on monte dans un avion, quant à la présence ou non d'un illuminé qui va nous faire sauter. Quitte à choisir entre la terreur et la gêne, je choisis la gêne.
Julien Coupat sans doute ne vivait pas à Paris lors des vagues d'attentat (86 et 95, je crois?). Ne pas savoir si l'on va sauter dans le métro ou dans un grand magasin, ou en passant près d'une poubelle, ne pas savoir si son père, sa mère, son frère, rentrera vivant de son trajet en RER, et démultiplier cette angoisse en autant d'amis et de proches, cela donne une conscience claire de ce qu'est le terrorisme. L'incertitude, le flou, l'impossibilité de le définir, tiennent en son fonctionnement qui est d'exercer une pression par la terreur et la frappe aveugle. C'est toute la différence entre un homme soupe-au-lait et un psychopathe.
J'avais, comme tout le monde, l'idée que la police antiterroriste persécutait Coupat et ses camarades. Et c'est peut-être vrai. Mais à entendre ce jeune homme déblatérer du fond de sa prison, prônant le soulèvement populaire et ne sachant pas distinguer Sarkozy de Staline ou Hitler, un président démocratiquement élu et des pouvoirs totalitaires, la sympathie que je pouvais avoir pour lui s'évanouit. Il confirme, alors même qu'il n'a probablement rien fait (bien qu'il tente de suggérer le contraire), le soupçon que sa vocation est de poursuivre ce monologue prolétarien en ignorant totalement ce que les gens peuvent vouloir ou éprouver.
PS le débat se poursuit sur le blog Radical Chic
Nous sommes dans l’ère des dix commandements où la glorification fanatique précède la condamnation sacrificielle avant de tout oublier et de recommencer.
Toute problématique trouve une raison et une finalité dès qu’un visage ou un logo correspond au portrait robot que se forge l’opinion publique, peu importe les faits ou les hypothétiques récidives.
Nul besoin d’imaginer des complots téléguidés par des puissances invisibles pour procéder aux jugements éternels et aux pardons administratifs.
La machination la plus cannibale, sous couvert de motifs vengeurs et de méthodes victimaires, est gérée par nos propres soins en garantissant notre hygiène morale ainsi que la valeur héroïque de notre égo.
la suite ici :
http://souklaye.wordpress.com/2009/03/23/bloc-note-bouc-emissaire-et-alibi-plausible/
Rédigé par : walkmindz | mardi 26 mai 2009 à 13:33
Magnifique! Merci Walkmindz, pour ce sublime extrait phraséologique creux que vous avez pondu en direct, et en guise d'illustration, pour mon blog. (à moins que ce ne soit là une méthode de promotion, mais promotion de quoi?). On pourrait vous servir, en guise de réplique, quelques cuillers de cette bouillie qui vous sert de pensée, piochée chez vous.
C'est en pensant, aussi, à votre logorrhée affichée chez Veggie, qui n'y pouvait mais, que j'ai décidé d'écrire cette note. Votre style, comme celui de Coupat, se répand. Nouvelles formes de langues de bois, un peu plus tortueuses que les autres.
Cela n'a pas dû trop vous fatiguer tout de même, je sais ce que c'est qu'un esprit posé sur des rails: vous devez enfiler ces perles rigolotes à longueur de journée.
Rédigé par : anthropopotame | mardi 26 mai 2009 à 13:55
On ne peut pas mettre dans le même sac Walkmindz qui logorrhise et Coupat qui parle clair !
Rédigé par : Joseph Tura | mardi 26 mai 2009 à 22:15
Pardon, mais je ne vois qu'une différence de degré, et pas de nature, entre ces deux discours qui trouvent racine dans une amertume quasi pathologique. Dostoievski avait très bien décrit cette nébuleuse dans Les Possédés.
Rédigé par : Anthropopotame | mercredi 27 mai 2009 à 05:46