15 juin 2009
Depuis trois jours en Vendée. L’herbe haute jusqu’à la taille, il m’a fallu acheter une nouvelle débroussailleuse, une Mitsubishi qui pour l’instant marche à merveille.
J’ai d’abord nettoyé les gouttières, pleines de fleurs d’acacia et d’aiguilles de cèdre, puis fendu et rentré le bois (deux stères environ, il en faut quatre pour l’hiver). Le bois d’acacia (en réalité l’arbre s’appelle robinier ou faux acacia, originaire d’Amérique du Nord) se fend très bien, brûle bien, mais il est effroyablement lourd. Il est réputé imputrescible, comme le cèdre et comme le frêne, et semble résister aux attaques d’insecte. L’avantage est qu’il se fend bien même lorsqu’il y a des nœuds, cela permet d’aller assez vite.
A mesure que l’on se familiarise avec un bois donné, on se met à le sentir de mieux en mieux. Par sentir j’entends qu’on sent au toucher les résistances et les faiblesses du bois, je ne sais si c’est une question de densité ou de température, et on devine de plus en plus vite ou placer la cognée ou le coin éclateur (en cas de nœud).
Pour ce qui est de faucher, la nouvelle débroussailleuse offre pas mal d’avantage par rapport à la faux. Le travail est plus régulier et celle-ci marche à moyen régime, ce qui me permet de travailler quasiment le double de ce que m’autorisait l’ancienne avec un plein. Il faut toujours y aller progressivement, signaler sa présence autant que possible, être prévisible ; dès que j’oublie ces préceptes, si je décide de tailler au hasard ou d’entamer sans crier gare une nouvelle parcelle, je décapite une grenouille ou un orvet ou une couleuvre. Il faut donc leur laisser le temps de fuir.
J’ai fait en deux jours toute la parcelle de devant et celle du potager, en prévision de la taille des haies. Le sol doit être dégagé pour pouvoir ramasser les feuilles et les branchettes. Ce n’est pas un travail fatiguant, pas autant que de rentrer et ranger le bois par exemple, mais il faut tenir plusieurs heures d’affilée. Je porte un casque anti-bruit et des gants, mais le plus pénible, par rapport à une faux et à tout outil non motorisé, est qu’il faut à la fois maintenir la machine fermement, donc déployer un effort franc, et laisser un doigt à demi-enfoncé sur l’accélérateur, et ce petit détail crée rapidement une tension dans l’avant-bras jusqu’au coude.
Voilà plus de quinze ans déjà que je fais l’intégralité du jardin, saison après saison (pelouses, haies, bois, débitage des arbres tombés, élimination progressive des lauriers-cerises, plus différents travaux comme poncer et repeindre les volets, faire des plantations, préparer le terreau, etc.) J’ai appris en les observant à ménager mes forces comme le faisaient les paysans du coin (tous retraités aujourd’hui), ceux qui maniaient la faux et n’étaient pas toujours fourrés chez Kiloutou pour louer des pelleteuses et autres motoculteurs.
Ces hommes savaient s’économiser. Ils marchaient lentement, ménageaient leurs efforts, étaient avares de gestes inutiles. Chacun des outils courants, faux, bêche, pioche, râteau, exige une accoutumance qui permet, à la longue, de les manier quasiment sans y penser, des heures durant, laissant le poids de l’instrument entraîner le corps qui le manie. Tout finit par générer une posture dansante où les points-clés du corps se transforment en courroie ou en ressort. Cela vaut pour la scie également, mais aucun des outils que je possède (tronçonneuse, débroussailleuse, taille haie) n’ont cette qualité : le corps est dans un effort permanent pour les maintenir, laissant la tête tournante et trépidante accomplir le labeur. C’est fait beaucoup plus vite, mais à l’arrivée la tête bourdonne et le dos est fatigué.
16 juin. Porté la tronçonneuse à l’atelier. Il semble que l’essence sans plomb grille les carburateurs si on la laisse stagner plus d’un mois.
Une pelouse à faire, les autres à fignoler.
Au village on entend les martinets noirs, et j’en ai vu des bandes au dessus de la maison. Autrefois il y avait des hirondelles de cheminée par dizaine à la maison, et des hirondelles de fenêtre au village. Elles ont disparu, sauf un couple d’hirondelles de cheminée qui revient vaille que vaille. Les martinets sont apparus cette année, je ne sais si cela signifie un retour des insectes. Je suis frappé en tous cas par la netteté des pare-brises : autrefois, du temps des DS et des Mini, ils étaient tout barbouillés d’insectes écrasés.
Les chats finalement : la chatte de la maison a eu trois petits l’an dernier, deux femelles et un mâle. Bonne pâte, ma tante les a laissés tout l’hiver à la cave, les nourrissant régulièrement. Ces idiots de chats n’ont pas mis le nez dehors pendant six mois, attendant tranquillement qu’arrive leur pâtée. En mai, j’ai mis tout ce beau monde dans le garage : la cave était envahie de puces et toute retournée par leurs crottes. A peine sorties, les trois femelles se sont trouvées grosses en même temps, et ont accouché il y a trois semaines de onze petits. Ma tante en a confié quelques uns au voisin qui leur a fait un sort.
J’en ai retrouvé trois hier à la cave, que les chattes venaient de ramener. Je les ai sortis et remis dans le garage (non sans qu’un d’eux se soit réfugié derrière la machine à laver le linge). Deux noirs et un croisé siamois. Frappant de voir que les trois chattes se comportent comme des lionnes : elles se partagent les petits, les gardent ensemble, les promènent et les défendent ensemble. Toutes trois les allaitent en même temps, et les petits passent d’une mère à l’autre au cours d’une même tétée.
Ce matin, je ne retrouve plus qu’un petit : je crois que le chien a mangé les deux autres, ou alors les chattes en ont ramené à la cave dont j’ai fermé les fenêtres entretemps.
19h, fin de la journée de travail. Ratissé et tondu de nouveau, dégagé des passages. Découvert une nouvelle variété de fougère, aux feuilles pleines et lisses.
La journée a tourné autour des chats. Les trois chattes ont ramené deux petits à la cave, j’ai intercepté le troisième. N’étant pas sûr que les deux autres étaient rentrés ou non, j’ai cherché, puis à voir les trois femelles attaquer le chien, je me suis dit que sans doute Sarah avait dû bouloter les deux petits noirs et blanc. Ne restait plus que le siamois crème, très mignon. Finalement, les deux derniers ont réapparu le soir, à la cave. Et les voilà tous les six empilées dans un coin du jardin, ronronnant à qui mieux mieux.
Si je devais me mêler de leurs affaires, et régenter également celles du chien, il y aurait de quoi m’occuper davantage qu’une querelle de voisinage dans un immeuble parisien.
Fin de la journée, les pâtes cuisent tranquillement. Les parties que j’avais laissées en herbe, une fois tondues font grise mine. Elles sont beigeasses alors que les autres sont d’un vert pimpant ; mais une fois la tondeuse passée, la vie s’arrête, plus un insecte, rien. Et le soleil frappe durement le sol.
18 juin, 19h. Hier, rien fichu, il faisait trop chaud. Pour me rattraper j’ai taillé deux haies sur trois aujourd’hui, les plus grosses. Les taille-haies sont conçus comme des flûtes traversières ; la sécurité exige qu’on pose un doigt là, là, et là. Tout cela plus la logistique, des kilomètres de fil à ne pas emmêler, ne pas prendre dans les branches, ne pas taillader, et voilà, j’ai commencé à neuf heures et je finis dix heures plus tard. Comme il y en a cent mètres environ, en comptant les deux côtés, on peut dire qu’il me faut dix heures pour le cent mètres haies.
Pris de belles photos d’insectes aujourd’hui, même si j’ai raté le principal, un petit hanneton des rosiers (jamais vu jusqu’ici). Hier, toute la journée, un essaim d’abeille a essayé toutes les fentes de volet afin d’y construire un nid. Elles ont dû être déçue car le vacarme a cessé tout d’un coup, elles sont allées voir ailleurs.
Je suis un peu trop crevé maintenant pour faire un tour de jardin, mais hier soir, juste avant l’obscurité complète, j’ai marché dans la pénombre et j’ai vu le jardin à l’heure où tout s’endort : délogé un pivert, vu voleter autour de moi une grande lucane, et depuis six jours que je ne fume plus toutes les odeurs de rosée et d’humidité de la nuit me parviennent bien plus fort.
Je ne croyais pas arriver à terminer ces deux haies, mais depuis quinze ans que je les fais elles sont toujours plus faciles. Mais longues, très longues, et il y a des dénivelés, des passages derrière une petite serre, les mouches qui viennent boire à la sueur du front, les punaises prises dans le col de la chemise, et puis le soir, ranger tout, les outils à la cave, les feuilles empilées, en attendant de brûler tout.
19 juin. Dîner chez ma cousine, hier, à 15km de chez nous. Au retour, les accès d’un village que je devais traverser étaient bloquées (fête de la musique). Tous les habitants étaient dehors, gilets et pulls sur les épaules comme de vrais parisiens. J’ai tourné et retourné jusqu’à retrouver la bonne route. La nuit était tombée à mon arrivée, le chien m’a fait une fête extraordinaire, et je l’ai laissée dormir à l’intérieur.
Aujourd’hui je découvre que les chattes ont réussi une fois encore à planquer les chatons à la cave, derrière le tas de bois. J’ai réussi à en récupérer un, mais je crains que les autres ne restent là après mon départ, alors que leurs mères ne pourront pas y accéder. Ils sont minuscules mais crachent et filent comme des diablotins.
Une puce sur ma jambe ce matin m’a rappelé la raison principale de cette interdiction d’accès : le sol de la cave est si propice que les puces l’infestent très rapidement. On en remonte les jambes noires, et les puces gagnent peu à peu toute la maison.
Avec le chaton récupéré, les chattes ont fini par réinvestir le garage, après avoir en quatre jours fait tout le tour de la maison.
J’attends que le temps se réchauffe un peu pour lancer le feu.
20h. Crevé après ce feu interminable, crachotant – pas eu le temps de laisser correctement sécher les branchages. Mes bras sont rouges et écorchés d’avoir tenu la paille et les ronces couvertes de bestioles ; et je remets ça demain à l’autre bout du jardin.
On entend depuis tout à l’heure un vrombissement d’insectes : ce sont les châtaigniers qui commencent à fleurir.
J’ai enfin réussi à sortir les petits chats de la cave ; les pauvres étaient au bord de l’inanition. J’ai fait venir l’une des trois mères, la plus facile à manipuler, et je l’ai laissée les appeler et leur donner la tétée. Ils étaient si affamés qu’ils se sont jetés sur elle et j’ai pu doucement les attraper et les sortir. Ce groupement d’intérêt chat est très étonnant à observer. De vrais chats vendéens : les petits restent attachés toute leur vie à leurs parents.
21 juin, levé à 11heures, pris d’une grande lassitude et de démangeaisons. Je dois faire le dernier feu aujourd’hui, le superflu dépendra de mon courage (rentrer les bûches d’épicéa, tailler le robinier qui obscurcit les plantations).
Je me souviens: En Auvergne, qd on revenait fourbu des travaux des champs on mangeait un "pastei" (en patois): gateau maison (forcément) aux pommes avec de la pate sablée dessous et dessus qui laisse les fruits dans leur jus, un vrai régal, et une bonne raison pour reprendre le lendemain le chemin mènant au foin. Souvenir de vacances et nostalgie pour cette tradition qui s'est perdue avec l'arrivée des machines qui font tout et soulagent le paysan,admet-on le.
Rédigé par : evelyne | mardi 23 juin 2009 à 21:42
Un peu de travail phyique n'a jamais fait de mal à nous autres, intellectuels ;)
Si tu n'es pas loin d'une petite ville nommée les Sables d'Olonne, tu n'es pas loin de là où mes parents sont en train de se constuire une petite maison.
Rédigé par : Dr. CaSo | mercredi 24 juin 2009 à 16:09