Une plaisanterie qui circule au Brésil raconte que lorsque les cosmonautes américains sont arrivés sur la Lune, ils y ont rencontré une famille de Maranhenses récemment installés.
Un Maranhense est un habitant de l'Etat de Maranhão, au Brésil, Etat classé dans la région Nordeste mais qui était autrefois couvert de forêt amazonienne, en alternance avec du "cerrado" - végétation clairsemée, en zone semi-aride.
Voici la localisation géographique du Maranhão, dont la capitale est São Luis (Saint Louis, fondée par les Français en 1612):
Voici à présent un détail de l'intérieur, assez représentatif des paysages après quatre siècles d'occupation humaine :
La blague citée ci-dessus est explicite : parmi les Brésiliens, le Maranhense est réputé celui qui a le plus de mal à demeurer au pays. Après avoir, dans les années 70, migrés en masse vers les grandes villes du Sud, les habitants de cet Etat moyen se sont répandus dans toute l'Amazonie, et ils font partie de ceux qui aujourd'hui se pressent aux portes de la Guyane française.
Parmi les différentes raisons que l'on peut invoquer pour cette migration de masse, il y a bien sûr le problème structurel de la concentration du foncier entre quelques mains, les populations rurales n'ayant que des lopins qui ne peuvent être subdivisés entre tous les enfants à chaque génération.
Il y a également, comme en témoigne l'image ci-dessus, le problème de l'épuisement et de la désertification des terres, liés à des formes d'occupation prédatrice, géophages, qui fait que l'expansion naturelle des populations humaines vient buter un jour contre les frontières de l'Etat. Il ne reste plus rien à dévaster dans le Maranhão depuis plus de vingt ans, c'est pourquoi toute la concentration de migrants agricoles s'est reportée sur l'Etat voisin du Para (capitale: Belém), bientôt épuisé à son tour. Et ainsi de suite, en un jeu de domino, les Maranhenses ont épuisé leurs terres, passent chez le voisin, épuisent les terres là-bas, forcent les voisins à migrer à leur tour, avec eux, vers un autre Etat voisin, etc, le flux de migrants augmentant à chaque domino tombé.
Si le schéma se reproduit, à chaque fois à une plus grande échelle, c'est qu'il demeure de l'espace à occuper, ailleurs, plus loin. La saturation planétaire n'a pas été atteinte car, fort heureusement, il existe des populations humaines dont la croissance demeure liée aux ressources, où dont le décalage population/ressource n'est pas encore perceptible (par exemple l'Europe a largement épuisé ses ressources, mais elle dispose de moyens de paiements qui dispense les Européens de migrer, puisque les ressources viennent jusqu'à eux).
La question que je pose est la suivante: à quel moment est-il possible de parler de "croissance naturelle" des populations humaines? Après tout, l'objectif de parents maranhenses n'est pas de jeter leurs enfants sur les routes, ni d'embarquer eux-mêmes avec leurs dix rejetons sur un pau-de-arara (les camions de transport), pour franchir l'Oyapock de nuit et marcher jusqu'à Cayenne en coupant à travers la forêt. De même, les Maliens et Sénégalais qui risquent leur vie sur des embarcations précaires ne le font pas de gaieté de coeur mais sous une pression familiale d'ordre démographique. Pour eux, l'espace disponible se situe en Europe, la possibilité d'un salaire équivalant à une terre agricole.
Ce qui fausse le débat, c'est que nous pensons en termes de provenance, d'origine: des Maliens, des Maranhenses. En réalité, il nous faudrait observer les choses sur les modes d'occupation humaine de l'espace: les hommes circulent, épuisent naturellement les ressources naturelles, et migrent ou pillent les ressources des voisins.
Qu'est-ce qui fait que dans l'Etat de Maranhão, des humains aient une croissance démographique exponentielle alors même que les ressources en terre, en emploi, ne répondent pas à cette demande?
Il y a deux réponses à cela: la première est que la naissance d'un enfant fait au Brésil l'objet d'une aide sociale sous forme d'un "panier de base", comportant des denrées alimentaires ou leur équivalent en argent, qui permet aux familles pauvres de tenir quelques mois, jusqu'à la naissance du prochain enfant. Le problème de l'alimentation sur le long terme de ces enfants est réglé par la dynamique migratoire qui fait qu'il est toujours possible (pour l'instant), d'aller un peu plus loin.
Un peu comme cela se passe pour l'écholocation, le signal retour met toujours plus de temps à arriver à mesure que le migrant s'éloigne. Si l'objectif final du migrant est Miami, il mettra deux ans à parvenir jusque-là, et si rien ne lui permet de survivre là-bas, la réponse viendra deux ans trop tard pour ceux qui se sont déjà mis en route. De São Luis à Miami, tout l'espace intermédiaire est déjà saturé. Reste donc à aller plus loin encore, jusqu'au Canada, qui sait.
Il y a donc deux problèmes à affronter: le premier est celui de populations établies, sédentaires, qui surmontent l'épuisement de leurs ressources par la consommation de celles d'autrui. Ainsi procédèrent les Athéniens au Ve siècle par l'exploitation des membres de la Ligue de Délos, jusqu'à ce qu'ils soient vaincus par Sparte. Ainsi procèdent les Européens aujourd'hui. Un tel système peut se prolonger jusqu'à l'épuisement total des ressources.
L'autre est celui de populations à forte croissance démographique, dont le surplus humain est écoulé par l'émigration. Un tel système peut se prolonger jusqu'à épuisement total de l'espace disponible, jusqu'à saturation des lieux qui absorbent ces surplus.
La Chine est un bon exemple de la duplicité du système: à la fois consommatrice de 20% des ressources de la planète, et forte exportatrice de migrants, cette population paysanne qui n'a plus de terre pour travailler (épuisement ou pollution des sols, accaparement par l'industrie, inondation par les programmes hydroélectriques).
Le Maranhão, finalement, est le summum du processus: la loi électorale brésilienne permet en effet à un homme politique de se présenter et d'être éligible, comme député ou sénateur, dans plusieurs Etats. Le patriarche qui gouverne le Maranhão, José Sarney, celui-là même qui ne peut assurer les ressources de ses administrés, se fait élire sénateur de l'Etat voisin d'Amapa, grâce aux voix de l'immense contingent de Maranhenses qui se sont installés là-bas. Il encourage ainsi la migration qui lui permettrait, qui sait, de devenir président du Brésil par la seule dynamique migratoire de ses maranhenses bien-aimés.
Tout à fait d'accord pour l'dentification des deux problèmes qui mettent en cause l'équilibre de notre planète mais est-ce que le deuxième problème n'est pas une conséquence du premier? Depuis quand parle-t-on de pression démographique en Afrique? Est-ce que les chinois, avant de choisir ce modèle économique, avaient besoin de migrer?
Le Portugal était un pays d'émigrés. Désormais il reçoit des immigrés brésiliens, modalves, ukrainiens... Etait-ce un problème de pression démographique ou de choix politique et économique ?
Rédigé par : Guga | jeudi 16 juil 2009 à 19:16
Bonjour Guga.
Le problème n'est pas simple. A mesure que la population se concentre dans les pays dits riches, parce qu'ils semblent disposer de ressources inépuisables, la consommation des ressources de l'univers entier s'accentue dans ces mêmes pays.
Concernant le Portugal, l'émigration ne date pas d'hier - voir Oliveira Martins qui dès la fin du XIXe siècle déplorait que l'on parle de "cabeças de portugueses" en route vers le Brésil, comme s'il s'agissait de bétail. Donc si vous estimez que l'émigration des années 1960 est due à la politique de Salazar, vous n'aurez que partiellement raison. En effet, Salazar estimait que le Portugal devait demeurer un pays rural. Dans le même temps il favorisait quelques grandes familles d'entrepreneurs (Cruz, Champalimaud, si mes souvenirs sont exacts). Mais comment expliquer qu'une famille d'agriculteur, même dans le minifundio, ne puisse alimenter ses propres enfants? Sans doute 1) parce que les conditions faites aux agriculteurs sont déplorables et le patrimoine est mal transmis, et 2) parce que les agriculteurs ont trop de bouches à nourrir.
Dans la France du temps du servage, pas question d'émigration: les paysans étaient liés à la terre. Donc la solution en cas de famine était simple: relire le Petit Poucet.
Rédigé par : anthropopotame | mardi 21 juil 2009 à 17:38