Merci, Mouton, pour cette excellente idée d'Anthropopothon! Rappelons que 50 reais par jour suffisent à l'entretien d'un Anthropopotame (soit 32 euros environ). A partir de 100 reais, il pourra même quitter la rue et apprendre un métier.
Je reviens sur l'émission Brasil Urgente, qui a manifestement un accès direct à toutes les caméras de surveillance du pays. Avant-hier, nous avons eu droit à une scène particulièrement pénible: un vieil homme, 72 ans, sort de la banque, et se fait alors littéralement traîner par un voleur dans un renfoncement de l'édifice (ces vieux immeubles d'affaires à São Paulo). Cinq secondes plus tard, le voleur ressort, hésite, retourne dans le renfoncement et ressort en courant: il vient de tirer une balle dans la tête de l'homme qu'il a détroussé. Il se passe des choses comme ça tous les jours au Brésil où il y a trois fois plus d'armes en circulation dans la population que dans l'Armée et la police réunies.
Ce qui était frappant dans cette scène qui se passait en plein jour, c'est que la caméra de surveillance, qui est fixe, montre une surface d'environ trente mètres carré devant le renfoncement. Lorsque l'attaque se produit, le trottoir est plein de passants (une dizaine à vue de nez). Or, lorsque le voleur traîne le vieillard vers le renfoncement, ceux qui marchent dans leur direction détournent brusquement la tête et changent de trottoir. Tout le temps que dure le détroussage proprement dit, le trottoir est absolument vide de gens. Quand le voleur s'enfuit (25 ans environ, blanc, habillé en survêt plutôt élégant), alors certains reviennent voir ce qui s'est passé.
Eh bien j'ai obtenu ainsi la réponse à une question: pourquoi, en Afrique, les gnous et les gazelles ne font-ils pas corps face aux lions ou aux guépards? Pourquoi voit-on un individu se faire déchiqueter quand les autres se remettent à brouter un peu plus loin? Eh bien je sais pourquoi maintenant: parce que les autres ont les jetons. Ils préfèrent jouer l'indifférence et se consolent en se disant : "que pourrais-je faire de toute façon? Le lion a des griffes et des dents et moi je n'ai rien de tout cela. Je serai blessé ou même tué si j'interviens."
Viver a vida
J'en viens au sujet palpitant que sont les novelas. Celle de 19h ("Caras e bocas")présente une histoire compliquée de deux cousins, peintres, dont l'un a énormément de succès cependant que l'autre, victime d'une méchante galeriste, se fait arrêter pour un faux qu'il n'a pas réalisé (c'est son cousin le faussaire, mais celui-ci, brave homme au fond, est lâche et influençable). Mais il y a pire: le cousin qui a du succès doit tout à un chimpanzé nommé Chico qui peint des toiles psychédéliques.
Lors d'un vernissage, la fille du peintre emprisonné kidnappe le chimpanzé, l'amène à la galerie avec tout le matériel et évidemment Chico se met à peindre devant l'assistance médusée. Le méchant peintre avoue alors son forfait, et les visiteurs furieux exigent le remboursement des toiles qu'ils ont achetées au motif que "foram pintadas pelo macaco" -"elles ont été peintes par le singe". Viennent les commentaires: "Un singe qui peint, c'est inouï!" Ce qui est drôle ici c'est qu'à aucun moment ne s'élève la remarque qui s'impose: "pour avoir été peintes par un chimpanzé, ces toiles n'en sont pas moins très belles". Rappelons que Desmond Morris avait dans les années 60 organisé à New York une expo de toiles peintes par son chimpanzé, sans préciser qu'il n'était pas humain, et les critiques avaient été emballés, disant par exemple que "l'artiste avait su conserver la spontanéïté qui s'observe dans les dessins d'enfant".
La novela de 20h, destinée à un public averti, n'est pas un excellent cru cette année: elle s'intitule Viver a vida (vivre sa vie) et porte sur les couples mal assortis. Gageons qu'un grand brassage final attribuera à tout Martin sa Martine, et vice-versa. Je ne peux présager des rebondissements car les unités de temps sont fort lâches: un épisode (une quarantaine de minutes) peut porter sur une période de temps d'une dizaine de minutes éclatées entre cinq scènes différentes (hier, la Jordanie, Buzios, et trois lieux à Rio), avec des montages incluant parfois trois répliques lourdes de sens (comme par exemple "J'ai adoré le club de gym. Je suis rompue mais je crois que j'y retournerai tous les jours").
Un autre élément qui est la clé du succès est que les acteurs de la Globo se partagent les rôles à mesure que de nouvelles novelas apparaissent. En conséquence (j'en avais déjà parlé en mars 2008), ce sont toujours les mêmes visages qui reviennent, tantôt en gentil, tantôt en méchant, tantôt en riche, tantôt en pauvre, tantôt aujourd'hui, tantôt au siècle dernier, et cela je crois contribue à donner le sentiment qu'il y a une continuité d'une novela à l'autre, comme si depuis quinze ou vingt ans on suivait le lent processus de vieillissement des personnages, avec l'apparition de nouvelles têtes qui vieilliront à leur tout.
Dans la novela "Viver a vida" il y a toutefois un hic, c'est que le personnage nommée Luciane, mannequin, se trouve à Paris en position de tête folle à la recherche d'une aventure sentimentale, alors que son amant Jorge, architecte mais un peu pisse-froid, l'attend à Rio. Or la même Luciane se trouvait déjà à Paris dans la novela précédente, cette fois en qualité de journaliste, la tête sur les épaules, découvrant émue qu'un entrepreneur de Rio, pisse-froid tout autant que l'autre, l'aimait d'un amour profond quoiqu'un peu glacé.
Bref, voici la scène où les deux personnages (la Luciane en question et sa "madrasta" Helena -sa belle-mère du même âge vu que le père de Luciane a épousée une de ses collègues mannequins) évoque, l'une, le rôle des phéromones dans son état de sensualité intransigeante, et l'autre, les règles à suivre pour une relation monogame épanouie. On peut suivre le fil de l'argumentation sur le visage de Luciane, en imaginant des répliques du genre "C'est vrai que Jorge est super, mais Paris sera toujours Paris"). La scène a lieu dans leur chambre d'hôtel parisienne :
"Ce ne serait qu'un tout petit écart"
"D'aiileurs, ce n'est parce que nous partageons la même chambre et que tu es ma belle-mère que tu dois me surveiller."
"Loin de moi cette idée, mon trésor, mais pense au retour, pense à Jorge"
"Tu crois qu'il l'apprendrait? Mais comment? Héhé"
"Oh, mon Dieu, je ne sais plus où j'en suis"
"C'est parce que tu es jeune et influençable. Allez, viens, on va se balader dans Paris" - "D'ac"
"Tralala... C'est super chouette! Et maintenant, on va faire du shopping au Musée Rodin et déjeuner sous le pont d'Iéna"
"Ah, génial, on a acheté plein de vêtements chics et maintenant miam-miam, c'est l'heure du repas."
Et voilà pour l'épisode de lundi!
Je voudrais juste connaitre ta pensée gazelle! Irais tu braver le lion? Personnellement je suis sure de ne pas avoir les tripes pour le faire, et je me dégoute de ne pas être capable de défendre un innocent! Par contre je n'irais pas brouter un peu plus loin, j'en serais malade!
Rédigé par : bergere | vendredi 23 oct 2009 à 05:22
Bergère, ne jugeons pas mal la gazelle, ni le gnou. Le fait d'aller brouter un peu plus loin n'est pas le signe d'une indifférence coupable, mais s'apparente à une activité de dérivation. Comme un chat désemparé se met à faire sa toilette, ou une poule à picorer.
Pour moi, tu observeras que j'ai mentionné cette horrible affaire et que j'ai immédiatement embrayé sur la telenovela.
D'ailleurs, pour être parfaitement honnête, j'ignore absolument si les gazelles "vont brouter un peu plus loin", peut-être n'est-ce pas le cas...
Rédigé par : Anthropopotame | vendredi 23 oct 2009 à 12:28