Une scène dont l'interprétation relève de la psychologie, psychologie sociale, ou sociologie, et qui m'a laissé perplexe.
Dans le tramway qui dessert successivement la gare des Aubrais et celle d'Orléans, vendredi, début d'après-midi, soleil, temps froid et sec. Places assises disponibles, pas trop de monde.
Contrôle des billets.
Une jeune femme accompagnée d'une petite fille en poussette face à un contrôleur. Ils ont le même âge (un peu plus de vingt ans), pas tout à fait la même couleur de peau mais je ne crois pas que cela ait ici de l'importance.
La jeune femme n'a pas son ticket de tramway: elle a cru, dit-elle, que c'était là la navette entre les deux gares, et son billet SNCF le prouve (mais elle ne le montre pas). Elle n'a pas de documents d'identité, dit-elle. Je ne sais quel est son degré de bonne foi: je pense qu'elle a en effet pu se tromper, bien que ce soit peu probable (à l'arrivée du train, les hauts-parleurs annoncent la présence de la navette pour Orléans sur le quai d'en face). En revanche, je pense qu'elle avait bel et bien ses papiers d'identité.
Le contrôleur lui annonce qu'il doit la bloquer jusqu'à l'arrivée de la police si elle ne lui présente pas une pièce d'identité. La petite fille demande "Qu'est-ce qu'il veut le monsieur?", et la jeune femme s'indigne et se met à l'insulter: "Mais c'est quoi ça? Mais vous êtes con ou quoi?" Le deuxième contrôleur sort du tram. Le contrôleur resté sur place persiste à demander une pièce d'identité, sur le même ton mesuré, et bloque le couloir, cependant que la jeune femme continue de parler haut: "Mais vous avez pas le droit! Me touchez pas!"
Elle parvient à se faufiler, le contrôleur la re-bloque. Finalement, un groupe se forme autour d'eux, un groupe de jeunes gens d'une vingtaine d'année (5 ou 6).
Si j'avais été le contrôleur, j'aurais laissé tomber à cet instant, mais il insistait et continuait de bloquer la jeune femme. A l'arrêt qui suivit, un jeune homme se précipite et entraîne brutalement le contrôleur hors du tram, la jeune femme suit et le frappe à l'arrière du crâne. Tous les jeunes gens descendent et les entourent. Le tram repart, le jeune contrôleur reste seul entouré d'un groupe hostile qui le bouscule.
Ce qui m'a frappé, c'est la violence de la réaction de cette jeune femme: elle se trouve dans son tort, mais s'indigne qu'on puisse lui appliquer quelque sanction que ce soit - réaction que j'ai observée chez certaines de mes étudiantes, qui exige un très ferme rappel à l'ordre.
La solidarité des jeunes s'est porté vers elle, évidemment, puisque du fond du tramway on l'entendait dénoncer la violence du contrôleur qui ne pipait mot.
Le contrôleur n'a pas mesuré le degré d'hostilité des jeunes passagers, moment où la situation devenait vraiment délicate pour lui.
De mon côté, quarantenaire aspirant à la tranquillité, j'étais partagé. Ce qui m'irritait au plus haut degré c'était les arrêts obligés du tramway à cause du tumulte, alors que j'étais en retard. J'aurais volontiers pris le parti de la jeune femme si le contrôleur avait été incorrect et si elle avait montré un tant soit peu de contrition, fût-elle hypocrite. Mais là je me sentais plutôt du côté de l'ordre établi, puisque cette jeune femme voyageait sans ticket comme s'il était normal, dans la vie, de se servir sans payer, et anormal d'être sanctionné pour cela. Sa tape finale sur l'arrière du crâne du contrôleur m'a franchement déplu. Mais bon, peut-être que je vieillis.
Démission générale. Démission du 2ème contrôleur qui laisse son collègue dans la panade. Démission des passagers en règle qui ne font pas pression sur la resquilleuse, qui la laissent insulter le contrôleur, qui n'interviennent pas lorsque le groupe de jeunes se forme. Démission future du contrôleur qui aura compris que personne ne le défendra. A quoi bon contrôler ? A quoi bon demander le paiement de services ? A quoi bon créer et entretenir des lignes de trams ? Une société qui ne réagit plus aux violations de ses règles n'est plus une société, c'est la jungle.
Rédigé par : Drgoulu | dimanche 13 déc 2009 à 13:58
Bien d'accord avec vous, Dr Goulu, sauf sur un point : la jungle répond à des lois très strictes, comme l'avait très bien compris Rudyard Kipling.
Rédigé par : anthropopotame | dimanche 13 déc 2009 à 17:39