Je sors juste d'une friperie nommée "H... market", dans le Sentier. La vitrine est ornée de fleurs incrustées dans la vitre. Derrière ces fleurs des rangées et des rangées de manteaux de fourrure.
Je suis entré à contrecoeur, je déteste cela, mais comme on voit partout, autour de chaque col, à chaque affiche des Galeries Lafayette, de la fourrure, encore de la fourrure, je me dis que cette décomplexion doit bien pouvoir s'expliquer.
Je me suis donc adressé au gérant de la boutique, jeune homme sympathique qui venait juste de reprendre le fonds de commerce, et lui ai demandé s'il pouvait m'informer au sujet des fourrures.
- "Vous êtes du fisc?
- Non, disons que je suis un client qui vous demande quelques informations. Connaissez-vous l'origine de vos fourrures? Savez-vous, dans chaque cas, de quel animal il s'agit, quelles ont été les conditions d'élevage?
- Attendez, moi je suis un commerçant, je vends ce dont les clients ont envie, ce n'est pas à moi de vérifier. Mon fournisseur a pignon sur rue, je ne pense pas qu'en vendant de la fourrure d'occasion je commette quoi que ce soit d'illégal.
Il poursuit: la fourrure, tout le monde en veut, c'est "vibe", il compte en faire "entrer" encore plus la semaine prochaine. Quand il s'agit de reconnaître les animaux concernés, il ne reconnaît en fin de compte qu'un gilet en lapin. Pour les autres - renard, chat, chien, ours, il ne peut rien me dire.
Je lui explique d'abord que le premier chapitre du code de consommation invoque le droit à l'information que tout client peut réclamer à son fournisseur. Ensuite que la vente de fourrure en France est soumise à certaines règles, en particulier des restrictions dans la provenance à cause des conditions d'élevage et d'abattage régnant dans certains pays (j'espère que c'est vrai). Acheter à des fripiers allemands, comme il dit le faire, ne le dispense nullement de vérifier où ces manteaux ont été fabriqués, ni quels sont les animaux concernés. J'ai noté comme le mot "animal" fut peu prononcé dans la conversation: lui préférait parler de produit et de "qualités", et moi cela m'arrachait la bouche de dire ce mot face à ces pauvres peaux fripées au poil triste.
J'ai observé également la stratégie de défaussement déjà notée pour le thon rouge: c'est le client le responsable, c'est lui qui demande, ou bien c'est le fournisseur qui détient les informations, et cette affirmation répétée: "moi, je suis un commerçant", ce à quoi j'ai répliqué que cela ne le dispensait pas d'avoir un cerveau.
"Si vous faites ce que demande le client, cela veut donc dire que si je vous dis, en tant que client: cessez de vendre de la fourrure, vous allez cesser d'en vendre?" Il a pris un temps de réflexion. Je lui ai demandé alors si le client d'un côté, le fournisseur de l'autre, étaient ce qui lui tenait lieu de conscience réflexive.
Il a plusieurs fois tenté de déplacer le débat, expliquant par exemple qu'il travaillait aussi avec des vêtements bios et qu'il pouvait dire à présent qu'il s'agissait d'une vaste escroquerie: "Le bio, c'est une fraude monumentale" - perdant de vue son objectif initial, qui était d'affirmer sa conscience écologique, pour affirmer finalement que tout ce qu'il négociait était empreint d'illégalité.
Malgré tout ce jeune homme présentait une grande qualité: il a été correct de bout en bout, a toujours essayé de s'expliquer aussi posément que possible, en clair il réfléchissait avant de répondre. Raison pour laquelle je n'indique pas le nom de sa boutique, puisqu'il m'a demandé instamment de revenir une semaine plus tard, lorsqu'il aurait réuni toutes les informations sollicitées.
On espère donc une prochaine note, peut-être avec des infos croustillantes !
Rédigé par : Bardamu | vendredi 04 déc 2009 à 01:00
Tiens tiens, Bardamu, vous me lisez encore? Je croyais que vous aviez rayé anthropopotame de vos tablettes :)
Rédigé par : anthropopotame | vendredi 04 déc 2009 à 08:12