Pff. Je sens que je vais sombrer dans les lieux communs. Mais bon, allons-y.
Je corrige des copies - civilisation brésilienne 1ère année - et en l'état actuel des choses, je ne trouve qu'une chose à dire: soyons réaliste, si un jeune citoyen veut intégrer l'élite, alors oui, qu'il se dirige vers les grandes écoles et qu'on s'oriente vers un quota de boursier. Car cette politique ne fait qu'entériner ce qui était auparavant "hypocrite" - à la manière dont Sarkozy qualifiait "d'hypocrite" le processus de nomination à la tête de France Télévision, et trouvait donc normal, non de résoudre l'hypocrisie par une véritable indépendance dans le processus de sélection, mais dans l'affirmation que le Président de la République choisissait ouvertement son candidat.
Ce qui était auparavant "hypocrite", c'était de faire croire que les Universités permettaient d'accéder, par le mérite, à un bon statut social. Ce qui ne l'est plus, dans les quotas de boursiers pour Grandes Ecoles, c'est qu'on entérine le fait que l'Université est destinée au tout-venant, et ne le mène pas bien loin.
J'essaye de repenser à cette séance de correction. 70 copies dont vingt ont entre 00 et 02/20, neuf ont entre 03 et 05, et finalement quinze ont la moyenne et au-dessus.
Le tas de copies se présentait dans l'ordre inverse de leur remise par les étudiants. Quand j'ai commencé à corriger, j'avais donc affaire à ceux des étudiants qui avaient passé le plus de temps à composer. Je me permettais donc de faire la fine bouche, de réagir à ce qu'ils écrivaient, d'affirmer par exemple: "il est dommage que vous n'abordiez pas la question foncière", bref je m'engageais dans un processus d'échange à travers la correction. Pour ces copies, j'avais donc une grille assez stricte: je voulais voir apparaître un certain nombre de choses, et donc certains avaient 9 ou 10 parce qu'ils ne répondaient pas exactement à mes attentes.
Mais d'avoir pris les choses dans cet ordre a évidemment rendu plus exigeant le barème. Parvenu aux dernières copies - je me suis demandé si c'était ma lassitude - correspondant à ceux des étudiants qui avaient rendu en premier, je me trouvais confronté à un manque total de substance associé à une assurance désarmante consistant à m'assener des "pour ainsi dire", "si je puis m'exprimer ainsi", des "en effet" et des "ainsi" suspendus dans le vide, reliant le rien au rien.
J'avais prévenu les étudiants: révisez vos cours chaque semaine, c'est le seul moyen de reconstituer les liens logiques qui sont omis durant les prises de notes. Trois semaines avant l'examen, j'ai demandé à ceux qui avaient effectivement relu leurs cours et/ou consulté la biblio de lever la main: une dizaine de bras se sont tendus. Je leur ai alors tenu ce discours, ou plutôt j'ai tenu ce discours aux soixante autres qui étaient là:
"Vous êtes en première année, vous ne savez pas encore ce que c'est qu'un résultat de partiel. Je voudrais que vous ne vous affoliez pas, mais vous n'avez pas tenu compte des conseils que je vous ai donnés, vous n'avez pas fait le travail qui vous incombe en tant qu'étudiant intéressé par votre propre réussite. Aussi, ne vous désolez pas en entendant ceci : seule une dizaine d'entre vous devrait avoir la moyenne. Les autres apprendront quelque chose en prenant conscience de la manière dont nous notons et ce que nous attendons de vous."
D'abord vous entérinez un fait qui n'est pas avéré : il y aurait deux Supérieurs en France. Le lycéen qui choisit une classe préparatoire plutôt que l'Université choisit d'abord de ne pas se spécialiser mais en même temps il sait ce qui l'attend : une école de commerce ou d'ingénieur. Les autres grandes écoles sont négligeables (Ens : quelques dizaines d'étudiants chers payés ; les vétos ; j'oublie Sciences Po, qui n'est pas (plus ?) franchement une grande école). Il est très rare que les deux filières soient en compétition pour un même débouché (il y a en outre de plus en plus de passerelles). Par ailleurs vous enseignez l'anthropologie : qui choisit de l'étudier à bac + 0 à votre avis ? Ceux qui ont visiblement été mal orientés car ce n'est pas un diplôme très monnayable (peut-être quelques illuminés qui ont lu bien jeune Levi-Strauss ou Clastres) : on se retrouve avec la cohorte des immotivés, souvent les éléments faibles des Générales faibles (ES, L ; vous n'avez de techniques quand même ?). Donc d'une part vous héritez de lycéens qui n'auraient pas eu leur bac naguère (vos collègues du secondaire ont des quotas à respecter), d'autre part vous n'êtes pas réputé pour enseigner une matière noble qui force le respect des étudiants (c'est-à-dire qu'en choisissant votre discipline, vos étudiants ne se tournent pas immédiatement vers le labeur).
Si le niveau baisse, alors il baisse partout (aussi en prépa : on vient de supprimer le latin/grec obligatoire à Ulm, est-ce le signe que ça y bouillonne ?).
Par ailleurs, colporter de tels préjugés consiste à jouer le jeu de l'actuelle Ministre : l'Université est douteuse, bancale, envoyez vos enfants dans des filières professionnalisantes. Se vident depuis plusieurs années les départements de Sciences humaines : quand les effectifs d'étudiants seront ridicules, on pourra les supprimer (et faire des économies ; et pourquoi pas en un sens réélitiser ces départements, ce qui me gêne moins). C'est la pensée de derrière d'une certaine droite, la faire vôtre n'implique que vous.
Pardon de la sécheresse, mais il est parfois pénible d'entendre de tels propos (j'enseigne en Terminale : quand j'ai 80 dissertations à corriger, vous croyez que je prends mon pied ?).
Rédigé par : Bardamu | vendredi 15 jan 2010 à 02:51
Mon cher Bardamu, je suis obligé de vous reprendre. Je m'exprime par litote.
J'observe le procédé suivant:
La désignation officieuse du président de FT par le président de la république est hypocrite. Supprimons l'hypocrisie. Comment? Selon moi, en rompant le lien et en trouvant une procédure autonome. Selon le gouvernement, en officialisant la nomination par le président de la République.
Procédé appliqué à la fac de la manière que vous dénoncez: La fac est en désarroi total faute de sélection. Supprimons l'hypocrisie. Comment? Selon le gouvernement, en orientant les bons élèves vers les grandes écoles.
Selon moi, il faudrait un tant soit peu de sélection en première année pour qu'elle ne soit pas du temps sacrifié - pour les bons élèves, obligés de se traîner, et pour les mauvais, qui seraient mieux ailleurs.
J'ai déjà parlé de cette question en décembre 2008 je crois, justement j'y répondais à Richard Descoing qui parlait de démocratiser les Grandes Ecoles, alors que je prône l'inverse: rendre les Universités sélectives.
Rédigé par : anthropopotame | vendredi 15 jan 2010 à 08:35
"rendre les Universités sélectives", c'est une idée, le problème est alors de savoir quoi faire de la "cohorte des immotivés" ?
Rédigé par : AubeMort | vendredi 15 jan 2010 à 12:23
@ AubeMort: les bacheliers ont toute une palette de formations, plus ou moins techniques, plus ou moins intellectuelles. Ce n'est pas à l'Université de décider quoi faire de ceux qui n'y entreraient pas. Jusqu'à nouvel l'ordre, l'université, au contraire de l'école, n'est pas obligatoire.
Rédigé par : anthropopotame | vendredi 15 jan 2010 à 14:11