Une amie m'apprend qu'il est impossible de retirer son profil de Facebook, même si l'on est mort. C'est le cas d'une de ses connaissances, décédée, qui reçoit encore des "Demandes d'ajout à la liste d'amis" ou pire encore, des suggestions de jeux communautaires. Pourquoi, lui dis-je, ne déposes-tu pas un message sur son mur, signalant qu'elle est morte? "Je n'ose pas le faire", me dit-elle.
Notre rapport à la mort - et c'est bien rassurant - n'a jamais changé. Voilà bien quelque chose qui n'entrera jamais dans les moeurs, et cela quel que soit l'état d'avancement de la société.
Les Yanomami - et bien d'autres Amérindiens - pensent que les maladies ou accidents mortels sont le fait d'actions malveillantes, exigeant réparation. Le principe de circulation du mal demande une dynamique constante, la remise en mouvement de l'agent pathogène jusqu'à ce que la boucle soit bouclée. Si l'un des leurs est tué par une morsure de serpent, la question qui est posée n'est pas celle de la létalité du venin, indiscutable, mais celle de la coïncidence: pourquoi ce serpent s'est-il trouvé sur le chemin du mort? C'est ici que réside l'acte malveillant.
J'avais lu il y a quelques années un entrefilet du Canard: une vieille dame, âgée de 90 ans, résidant au cinquième, avait basculé dans la cage d'escalier faute de panneau annonçant une réfection en cours. "Si les travaux avaient été affichés, concluait le journaliste, cette dame ne serait sans doute pas morte."
Pieuse pensée.
De même, l'idée que la mort pourrait croiser bêtement notre chemin, dans le tunnel du Mont-Blanc, par exemple, ou au ski nautique, ou collé au siphon d'une piscine, devrait nous sembler normale, du moins imaginable. Mais non: procès, déballage, "désir de comprendre", "plus jamais ça!"... et l'on assène la phrase fatidique: les parents de la victime "refusent de croire en la fatalité de l'accident". Mais chez nous, ce que les Yanomami nomment "malveillance", nous l'appelons "négligence". L'accident, certes envisageable théoriquement, n'aurait pas dû se produire. C'est donc forcément qu'il y a faute, responsable, et paiement.
Cela n'a que peu à voir, mais j'aime cette histoire des mille et une nuits, intitulée "la Mort à Samarcande". Dans les rues de Damas, un jour de marché, le grand Vizir croise la mort qui lui jette un regard mauvais. Effrayé, le Vizir annonce au Khalife qu'ayant croisé la Mort il a décidé de fuir, et de partir à l'instant pour Samarcande. Le Khalife comprend et pardonne, le Vizir s'en va.
Le lendemain le Khalife se rend à son tour au marché, et croise aussi la Mort. Il n'a pas peur d'elle, s'approche et lui demande: "Pourquoi as-tu effrayé mon vizir?"
"Je ne voulais pas l'effrayer, répond la Mort. J'ai juste exprimé ma surprise de le voir hier encore à Damas, quand je l'attends ce soir à Samarcande."
en ce qui concerne Facebook, il est clair que quand on est mort on ne peut plus se désinscrire !!! Cela reste néanmoins tout à fait possible pour les vivants ;-)
Rédigé par : Narayan | lundi 15 fév 2010 à 17:23
J'imagine que la famille peut s'adresser à Facebook pour demander le retrait du profil. Car il faut en effet posséder les identifiants nécessaires pour accéder à son compte, et notamment pour le supprimer (ce dont je confirme également la possibilité !). Il faut ainsi faire très attention aux prélèvements automatiques quand on est à l'article de la mort : les héritiers pourraient nous en vouloir même enterré !
Rédigé par : Bardamu | mardi 16 fév 2010 à 01:22
Bon! Je voulais ouvrir une nouvelle catégorie intitulée "Memento Moris" mais je crois que je ferais mieux de l'appeler "Réseaux sociaux- Nouvelles technologies" :(
Rédigé par : anthropopotame | mardi 16 fév 2010 à 09:26
mais non!!!
Je suis entièrement d'accord avec toi, il n'y a plus de place ni pour la mort, ni pour la maladie, ni pour les accidents. Nous sommes priés de mourir en bonne santé.
Rédigé par : Narayan | mardi 16 fév 2010 à 21:03
Vous dites que notre rapport rapport à la mort n'a jamais changé mais ne change-t-il pas suivant notre spiritualité? Vous connaissez la chapelle des os à Evora? Le rapport à la mort d'un moine franciscain du 16ème siècle est-il le même que celui d'un jeune lycéen français?
Je pense au contraire que notre rapport à la mort a changé avec l'évolution de la science et de la médecine et le recul de la spiritualité.
Rédigé par : Guga | vendredi 26 fév 2010 à 23:32