30 avril, arrivée à 8 heures. Tout le monde très occupé. Brigitte m’annonce une quinzaine de veaux nés dans la semaine, un mort seulement (très gros, a eu besoin d’aide, ne tenait pas sur ses pieds). Si n’ont pas le colostrum de la mère dans les 24 heures, ils ne prennent pas de force, ne gagnent pas d’anticorps, etc. Cédric épandait du fumier, Jean nettoyait les étables, Jérôme les paillaient. En début de semaine, ils ont fait deux ensilages d’herbe, à présent vont planter du maïs. Comme ils empruntent le matériel lourd à la CUMA, ils sont obligés de faire très vite.
Jérôme m’a demandé de passer du temps avec les veaux, pour qu’ils s’habituent à la présence humaine. Je leur ai donné un seau de granulé, me suis accroupi, mais tous timides, sauf deux petites jumelles qui se laissèrent caresser tant qu’il y a eu à manger. Puis je me suis mis dos à eux, le long de la barrière, et ils sont venus me renifler et mâchouiller mon pull.
Jean me propose de m’emmener aux champs éloignés, là où ils ont sorti la plupart des vaches. Il doit vérifier un hydrant, tout rouillé. Il m’explique où se trouvent les troupeaux par rapport à la forêt d’Aizenay, et je vais y faire un tour. Jusque là-bas, tout était assez bucolique : des étangs, des grenouilles, de longues allées bordées de chênes… Mais dans la forêt, quelle tristesse ! des épicéas, le sol mort, des fougères séchées sur pied, rien, quasiment pas d’oiseaux. Je l’ai traversée, me suis un peu perdu, suis arrivé au lieu où un superfortress s’est écrasé pendant la dernière guerre, et j’ai recoupé à travers champs jusqu’à tomber sur un troupeau.
En chemin, croisé deux lièvres, et surtout une malheureuse corneille retenue en cage, avec un compartiment de chaque côté. Elle avait un peu d’eau, du maïs et des œufs. Je n’ai pas hésité, je l’ai relâchée.
J’ai reconnu le troupeau parce que les numéros commençaient par des 7, j’avais donc bien affaire aux vaches de mon élevage. Surtout, j’ai reconnu le taureau : c’était Basilic, devenu gigantesque. Je me suis assis à l’intérieur du champ – pas trop loin de la clôture, et je les ai laissées venir. Elles ont fait un arc de cercle, sont venues me flairer. Je prenais l’air indifférent… Quand Basilic s’est mis à me surplomber en soufflant, je me suis glissé de l’autre côté de la clôture, ai attendu un moment, puis suis repassé à l’intérieur. Pendant un bon quart d’heure elles sont restées autour de moi, à me regarder. On dirait que celles qui sont à l’arrière plaisantent, poussant les autres vers moi, comme font les gamins dans les cours de récré. Elles chevauchent celles qui sont tout près de moi, du coup les chevauchées paniquent et m’évitent de justesse. On peut mettre cela sur le compte de la nervosité, aussi, elles se chevauchent souvent quand sont excitées, mais franchement je sentais qu’il y avait là une bonne blague.
Le champ était parfait, car il y a un enclos en bois à l’intérieur où je peux déposer mes affaires, et tout au bout, un étang plein de grenouilles. Il doit faire un peu moins d’un hectare, elles sont seize vaches dedans, plus le taureau.
Je leur ai donné des noms. Basilic est le n° 7833, puis viennent Alexandra (7809), Cristina (7636), Maria (7703), Lucinda (7764), Madalena (7793), Carla (7832), Luisa (7248), Yasmina (7743), Marta (7858), Laura (7782), Julia (7612), Sonia (7227), Eva (7635) et Sarah (7823) (je crois que j’ai fait une erreur, je vois qu’il y a également une 7791).
Alexandra, Laura et Julia étaient les plus dégourdies. Alexandra est venue renifler mon cahier quand soudain Lucinda lui a donné un coup de corne dans les fesses, c’est pourquoi je pense qu’elles plaisantent.
Après une demi-heure, elles se sont éloignées d’un mètre cinquante environ, pour brouter. Le taureau reste tout proche, Alexandra passe la tête sous lui pour me regarder – malheureusement, plus de pile dans mon appareil, parce que c’était très drôle.
Je décide de changer de place (j’ai le soleil en face). Je vais de l’autre côté du champ, dans la partie étroite, et elles me suivent doucement. Plus j’approche de la bordure, plus elles accélèrent, et finissent par sauter et gambader. Je me rassois, Basilic recommence à me flairer, puis s’éloigne un peu, gratte la terre et se met à meugler. Je repasse sous la barrière le temps qu’il se calme. Très vite, je peux revenir m’asseoir. Et le manège recommence, elles se remettent en arc de cercle et semblent intéressées justement par le brin d’herbe qu’il y a sous mes fesses. Cette fois-ci c’est Laura et Lucinda qui lèchent mon cahier pendant que j’écris. C’est drôle, elles se sont précipitées de l’autre bout du champ et maintenant elles n’ont rien de plus pressé à faire que de brouter. Basilic, lui, rumine en poussant des soupirs.
Après une bonne demi-heure, elles s’étalent et se répartissent dans le champ, en ligne.
Je décide alors d’aller voir l’étang, à l’autre extrémité mais dans le sens de la longueur. Et ça ne rate pas : elles m’accompagnent, les plus téméraires marchent à côté de moi, mais à deux mètres, et plus j’avance plus elles s’exaltent, bondissent, se courent derrière. Je marche très lentement mais je sens leur galopade juste derrière moi. Je m’arrête au bord de l’étang, je regarde à l’intérieur, et elles regardent à leur tour. Elles entourent l’étang, certaines se pressent derrière moi, en particulier Laura qui semble m’apprécier. Puis, midi passé, je décide de rentrer (il faut que j’achète des piles. Je dois donc retraverser le champ sur toute sa longueur, et là, une cavalcade extraordinaire ! Elles me suivent, puis me précèdent, repassent derrière moi, se bousculent, galopent en remuant la queue, même Basilic qui ne me met pas tout à fait à l’aise. J’essaye de me rapprocher de la clôture mais Laura s’y tient collée, alors je poursuis ma route, je récupère mon sac, toutes les vaches folles de joie autour de moi.
Vraiment j’étais ravi, tout content. Quand je raconte cela à Jean, il est surpris. Peut-être ont-elles cru que j’allais les changer de champ ?
Après ces mots, je raconte à Jean que j’ai vu une corneille en cage. « Ah oui, c’est moi, c’est que je suis piégeur, j’ai un brevet, alors j’ai la cage et l’appelant pendant quinze jours ». Je lui dis alors que j’ai libéré la corneille ; là il est embêté parce qu’il doit rendre la corneille à la préfecture. « Mais qu’en fais-tu de ces corneilles ? » « J’les tue. C’est maintenant qu’on plante le maïs, et on n’a plus droit d’enrober les graines de corvicide, alors on a le droit de réguler les populations à cette période de l’année. » Je suis bien embêté, mais Jérôme s’amuse, et j’explique que j’ai moi-même un brevet de libérateur de corneilles. J’espère qu’il n’aura pas d’ennuis.
Finalement, nous allons voir les cases où se trouvent les veaux et leurs mères. De tout mignons petits veaux, de huit jours à peine !
Bonjour je suis votre blog depuis un certain temps et il me plaît bien. C'est adorable l'attitude de ces vaches avec vous. Elles sont curieuses mais peu farouches car elles vous connaissent quand même depuis peu. Cela veut dire que vous réussissez à mettre les gens à l'aise.
P.S.: je n'ai pu laisser d'appréciation sur votre enseignement l'an dernier, en première année, mais si tel avait été le cas, je n'en aurai dit que du bien.
P.P.S.:Aujourd'hui je n'ai aucun intérêt à le dire(pas de hausse de note),donc c'est bien que je le pensais!
Bonne continuation
CB
Rédigé par : Nyark | dimanche 02 mai 2010 à 00:34
toujours aussi fascinant. j'en lirais des tonnes des notes comme celle-là. la suite ! la suite !
Rédigé par : Dodinette | dimanche 02 mai 2010 à 03:30
Dodinette, les choses se corsent à l'épisode suivant: Marta me donne un coup de corne et Eva et Julia, surmontant leurs différends, deviennent amies.
Nyark, votre témoignage est un vibrant démenti aux accusations portées par Le Piou et Narayan, ces méchant(e)s :) Cela dit je suis curieux de savoir qui vous êtes...
Rédigé par : anthropopotame | dimanche 02 mai 2010 à 11:02