16 juin : contrairement à la prédiction de Jérôme, il a plu toute la journée d’hier. Jérôme s’esquive en disant « mais j’ai dit mercredi ! » Huhu. J’en doute fort. J’arrive dans le champ B à 7h30, il y a un vent à décorner les bœufs, un froid glacial. J’ai trois pulls. Je fais la tournée de mes amies. Deux vaches se font des câlins : c’est Maria et Eva, bien sûr. Dès qu’il y a des câlins elle est dans le coup. Quand j’approche de Julia, elle pousse un bref meuglement, que je suppose être d’inquiétude, et qui va dans les aigus plutôt que dans les graves.
C’est l’heure où elles broutent. Elles sont plutôt au sud ouest, mais dispersées, et Luisa est éloignée du groupe. Quand je veux me mettre à l’abri du vent derrière le chêne sud, Basilic est bouleversé, ne fait ni une ni deux et vient me déloger, frottant longuement sa tête contre l’arbre, grattant le sol et meuglant. Il doit bien m’identifier à une sorte de rival ? Ou un petit veau ? Il protège les endroits stratégiques du champ.
08h20 Marcia est à 1,50m et broute dans ma direction. Je fais obstacle à sa progression : elle s’arrête pour réfléchir et se gratter, puis change d’angle pour me contourner. Elle vient lire ce que j’écris par-dessus mon épaule, puis s’éloigne en un souffle.
J’ai observé les sabots de Cristina tout à l’heure ; et elle est la seule dont les sabots ont une usure correcte. Les autres les ont trop long à force de patauger dans la litière, et cela altère leur démarche quand se retrouvent sur le sol sec. Plus ça va plus je trouve que Cristina est belle, de cette beauté mûre et sûre d’elle-même, elle broute avec lenteur, sans hâte, elle marche doucement.
Sabot poussé trop long:
Je cherche un coin un peu abrité du vent mais je n’en trouve pas. Je ne peux me réfugier derrière un chêne à cause de Monsieur Basilic. J’observe la manière dont elles marchent quand elles ont pris leur décision, même si leur décision est de se calquer sur celles qui ont décidé quelque chose : pas vif, balancement de tête, queue battante, corps tanguant. Il y a une suggestion de trot. Elles franchissent ainsi de ce pas alerte de bonnes distances à chaque fois.
Lucinda, à 4m. de l’abreuvoir, décide de boire. Elle adopte
à son tour la position de la vache décidée. Yasmina qui était plus au sud la
suit, colle sa tête à son arrière-train et
Il est 8h50 et déjà plusieurs sont couchées. Moi je suis glacé jusqu’à l’os. Photo de Basilic en train de penser à quelque chose. Son regard est posé dans le vide sans être vide lui-même. Il était couché avec Eva mais s’est à présent relevé.
Vaste mouvement de translation vers l’Est, longeant la clôture nord. Le froid finit par me chasser, je vais prendre un café chez ma cousine.
17 juin. Petit arrêt aux stalles d’engraissement où je retrouve Cyril. Il me montre une vache énorme, prête à éclater, absolument furieuse, donnant des coups de tête et soufflant dès qu’on s’approche. Cela me serre le cœur, on dirait de la révolte, la conscience du malheur. Elle ne peut plus rien avaler manifestement, tellement elle est grosse.
Arrivé au champ à 9h. Sous
Basilic surgit de derrière le tronc, entre deux
vaches, et menace de me charger. Je commence à en avoir assez de sa
possessivité. Mais en fait il est surtout irrité par le taureau Vison, qui à
100m. de là vient le provoquer.
Vison est plus massif que Basilic, il ne se
mêle pas au vaches alors que Basilic veille toujours au grain. Sous l’arbre, on
se donne des coups de tête en série : dès qu’une en reçoit un, elle
s’empresse d’en donner un à une autre, ainsi de suite jusqu’à ce que l’énergie
se dissipe. Cela tend à indiquer que recevoir un coup de tête n’est jamais
agréable, mais est plutôt énervant et humiliant.
A présent je suis seul sous l’arbre avec Manuela. Très massive, se déplace avec difficulté. Elle rumine en me regardant. La pointe de son oreille gauche est abîmée ; ses cornes ne sont pas symétriques. On voit le veau bouger à l’intérieur de son ventre. Toutes les autres sont au Nord-Ouest du champ, près des abreuvoirs. Manuela se frotte à l’arbre. C’est une distraction pour elle de me regarder en ruminant. Nous sommes à un mètre l’un de l’autre, sous l’arbre, elle rumine tandis que je prends des notes.
9h20 Le temps se dégage un peu. Réunion autour des abreuvoirs. Je reconnais l’arrière-train de Sonia entre mille.
Câlins Marta
Alexandra, que je filme.
9h35 : départ à l’est par le nord, suivant le chemin coutumier. Et moi je les suis. Je me suis assis sur une souche calcinée et Basilic se demande s’il doit intervenir ; finalement il renonce, mais il y a sérieusement songé.
Elles sont à l’est mais ne broutent pas vraiment. Certaines oui, mais la plupart rumine encore, tandis que le soleil fait son apparition. Le champ est bordé par un fossé rempli d’eau, d’iris, de digitales. Je note que Cristina est rarement avec les autres. Elle a l’âge d’Eva mais se comporte plutôt comme une vieille vache, un peu isolée, ou alors comme une veuve de guerre.
Un avion de la deuxième guerre mondiale passe au dessus de nous.
Il est 9h45 et tout le monde broute à présent, sauf Basilic.
Carla puis Madalena viennent me voir. Madalena me lèche le genou et y dépose quantité d’herbe. On voit de loin quand elles ont décidé de vous rendre visite, même si elles s’arrêtent entre temps pour brouter.
Sonia broute avec lenteur. Elle écarte les ronces, arrache l’herbe brin à brin. Toute cette masse musculaire mobilisée pour trois brins de graminée, c’est impressionnant.
A 10h elles repartent vers l’ouest en broutant, sans esprit de système, mais elles aiment bien brouter d’est en ouest, en tous cas dans ce champ.
Julia était mal lunée avant-hier, aujourd’hui elle est plus tranquille. Elle a les pattes avant très courtes, 4 mamelles bien dessinées, assez grosses, bien parallèles ; la base de sa queue est gigantesque, elle est fessue et ses organes génitaux regardent le ciel.
Carla, elle, est crémeuse, ses cornes sont très blanches. Deux gros tétons à l’avant, deux petits à l’arrière.
Sarah est plus sombre. Ses cornes sont fines, elle est menue, son sabot avant gauche est très long.
Manuela est massive, a quatre longs tétons, un épi à la jonction de la cuisse et du corps. Plutôt trapue mais plus longue que Julia. Sa queue est fine, bien que la base soit charnue, dessinant un triangle. Elle broute par longs balancement de gauche à droite.
Alexandra est minuscule vue de près. Elle doit faire 1,30m au garrot.
10h20 : Julia est venue manifester sa mauvaise humeur devant moi : souffles courts, répétés, mouvements de tête brusque, puis est allée à 10m de là donner un coup de tête à Sarah. Je ne sais ce qui l’a empêchée de s’en prendre à moi.
10h30 A présent, grand départ vers l’ouest, sous les meuglements de Basilic. Toutes les vaches des autres champs se précipitent également : c’est qu’arrive le tracteur qui apporte l’eau, et qu’elles ont entendu bien avant qu’il ne paraisse. Pourtant, aujourd’hui, il ne s’arrêtera pas ici : les abreuvoirs sont pleins, il fait froid et elles boivent très peu.
A l’abreuvoir, Lucinda donne coup de tête assez violent à Sonia, ce qui me surprend. Long face à face avec Madalena.
A 10h35, aux abreuvoirs, je fais face à Julia et Yasmina. Celle-ci cherche à éviter le contact, me regarde, soupire, s’approche un peu. Basilic la fait dégager et se pose face à moi.
Je remarque qu’elles utilisent les cuisses des collègues pour se frotter les yeux et le cou, ce qui ne doit rien arranger.
10h40 Ca va être l’heure de
Depuis un quart d’heure, je les regarde s’allonger progressivement, choisissant un endroit pour dormir. Elles se couchent au feeling, par affinité ?
A 11h10, il en reste deux debout. Je prends une photo par minute environ, pour observer les déplacements et échanges de position. Des vaches meuglent dans le lointain, mais personne ne leur répond.
11h20 : voilà, tout le monde est couché et rumine progressivement. Je me retire sur la pointe des pieds, je dois rentrer et faire ma valise.Voici la série de photo qui montre, en quarante minutes, le cérémonial du coucher:
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