17 juillet,
Arrivé à 7h. Il n’y avait personne, je me suis baladé dans les étables cherchant à retrouver mes amies. Sonia était à l’étable, elle venait d’avoir son veau, ainsi que Lucinda et Manuela qui a eu des jumeaux. Les autres – Cristina, Marcia, Marta, Luisa, Alexandra et Madalena étaient dans un champ proche des étables. Petits veaux de la nuit, des placentas éparpillés – ils sont énormes, les vaches mettent un temps fou à les manger.
Lucinda n’a pas eu l’air content, était même un peu furieuse. Sonia indifférente. Suis resté longtemps dans le troupeau, parmi des vaches connues et inconnues, puis je suis retourné aux étables. Brigitte préparait les rations ; plein de taurillons allaient partir, m’explique qu’elle ne s’y attache pas, qu’au vache c’est plus dur de ne pas s’attacher, parce qu’elles restent longtemps. Jérôme n’est pas réveillé, il a dormi deux heures à cause des vêlages. Jean et Cyril reviennent des champs de maïs qu’ils irriguent.
C’est l’heure de trier les vaches, Jérôme apparaît. Il faut faire rentrer celles qui n’ont pas vêlé, toucher une veine près de la queue. Si on la sent encore, le vêlage n’est pas pour demain, et ils relâchent le troupeau. Une génisse qui inquiétait Jean (les génisses demandent plus d’attention au vêlage) a compris, par les regards, qu’on attendait qu’elle rentre à l’étable. Jean demande à Cyril de montre l’ensileuse pour qu’elle comprenne qu’il y a de quoi manger à l’intérieur. Tout le troupeau (au moins 30 vaches) se précipite à l’intérieur, sauf elle qui reste indécise, au milieu du champ, regardant tantôt vers l’étable, tantôt vers nous qui sommes à trente mètres. Jean ronchonne : « elle a compris, on est baisé, y’a rien à faire… » Je suis stupéfait qu’une génisse, qui n’a jamais accouché, comprenne des choses aussi complexes, et que dans un immense troupeau elle perçoive que des regards sont dirigés vers elle, que c’est après elle qu’on en a. Jean l’avait repérée justement parce qu’elle se tenait à l’écart des autres, nerveuse, et il l’a trop regardée. Elle restera comme cela pendant plusieurs dizaines de minutes, au milieu du champ, prête à fuir.
Parmi celles qui rentrent, suivant la clôture du champ où se trouvent celles qui ont déjà vêlé, il y en a qui a repéré une vieille ennemie. Les deux se mettent de part et d’autre de la clôture et grattent le sol en meuglant. Elles se sont reconnues de loin, et manifestement se détestent.
Je passe un peu de temps avec celles qui viennent de vêler, sans trop m’approcher même si elles ne font rien tant que le veau est à côté d’elles (scène pénible ce matin où deux jumeaux ont été effrayés par ma présence et se sont empêtrés dans la clôture électrique, tandis que la mère s’affolait – c’était Manuela). Les veaux sont gardés ensemble, Cyril me dit que quand les vaches viennent manger à l’étable il y a toujours une mère pour garder tous les veaux. Un petit veau de deux jours s’égare dans le champ d’à côté. Une toute jeune génisse se précipite vers lui et reste à ses côtés. Je la soupçonne d’avoir reconnu en Sonia sa propre mère.
Après, c’est le moment pénible où on s’empare des veaux pour leur percer l’oreille. Ils ne sentent rien, mais les mères sont prises aux cornadis et s’affolent, tandis qu’il faut plaquer les veaux à terre. L’opération prend moins de deux minutes, ensuite le veau est conduit au champ, la mère est libéré et le rejoint. Une mère ne l’ayant pas vu partir a passé longtemps à renifler deux veaux qui n’étaient pas les siens, allant de l’un à l’autre, très inquiète, jusqu’à être conduite dehors guidée par les bâtons.
En fait je trouve dommage que le premier contact des veaux avec les humains soit un contact violent. Un petit qui venait de se faire poser le numéro s’est précipité vers moi comme s’il voulait que je le protège, il s’est collé à mes jambes, je l’ai caressé. Un autre, né à cinq heures du matin, restait couché, grelottant. Il était encore plein de sang séché. Je l’ai caressé longtemps, longtemps, il était très doux, pelotonné dans la paille.
Vers 9h30, j’accompagne Jérôme en tracteur dans les champs. Je retrouve mon Basilic. « Il a fait une bêtise » me dit Cyril : Basilic a renversé le râtelier. Quand on verse le maïs ensilé, Basilic donne de grands coups de corne dedans. Il est dans un troupeau où il y a autant de vaches que de veaux, mais des veaux de dix jours au moins. Les vaches sont troublées par ma présence, elles courent vingt mètres d’un côté, vingt mètres de l’autre, on entend le lait remuer dans leurs pis, et Basilic est de la partie ; lorsque je les contourne, elles se précipitent vers moi, puis s’arrêtent, repartent dans l’autre sens. Quand Jérôme est avec moi, la nourriture servie, elles se calment. Jérôme m’explique que les veaux nés au printemps sont plus calmes, une fois adultes, que ceux qui naissent en été ; il me demande pourquoi ; je n’en sais rien, lui dis-je, et toi qu’est-ce que tu en penses ? Il ne sait pas non plus. Je lui demande sur combien de temps il a mené ses observations – depuis deux ou trois ans seulement. Tu sais, lui dis-je, j’aimerais revenir ici plusieurs années d’affilée. « Pourquoi pas, si tu ne nous empêche pas de travailler ».
Il me dit qu’il a chaque mois mille euros pour lui : ce dont il a besoin pour vivre. Vit en colocation au village voisin, paye trois cents euros de loyer, il a deux voitures (une pour les champs, une pour sortir). « Un agriculteur qui paye des impôts, c’est pas un bon agriculteur », me dit-il, ce que je trouve mystérieux.
Moi je lis pas les posts où y'a pas de photos! (mais merci quand-même d'avoir caressé le petit qui grelottait!)
Rédigé par : Dr. CaSo | dimanche 18 juil 2010 à 04:47
Ah oui mais comme j'ai oublié le câble qui relie l'appareil photo à l'ordinateur, il va y avoir quinze jours sans photos :(
J'espère garder quelques lecteurs tout de même.
Rédigé par : anthropopotame | dimanche 18 juil 2010 à 13:53
Ah ben t'as intérêt à mettre à jour les bons billets avec plein de photos ensuite hein. (moi comme lectrice de la série des Blondes, tfassons, je suis vendue d'avance, même sans photos...)
Je ne comprends pas très bien ce que Cyril ou Jérôme (sais plus lequel) veut dire à propos de la génisse qui "a compris". Compris quoi ? Qu'on veut la faire rentrer, mais pourquoi est-ce qu'elle le perçoit comme un danger ?
L'histoire des veaux dans le fil électrique, brr. J'espère que tu t'en veux comme il faut. ;) (mais tu sembles t'être racheté par la suite)
Rédigé par : Dodinette | dimanche 18 juil 2010 à 16:47
Merci Dodinette, tu es ma plus fidèle lectrice! La vachette qui ne voulait pas rentrer, c'est une génisse qui allait accoucher et qu'il fallait surveiller car les premiers accouchements sont délicats. Donc Jean (le père de Cyril et Jérôme) avait repéré son comportement le matin et voulait à tout prix la rentrer car il sentait le vêlage proche. Mais comme il la regardait avec un peu trop d'attention, la vachette a compris que c'était après elle qu'on en avait et elle s'est méfiée. Voilà...
Rédigé par : anthropopotame | dimanche 18 juil 2010 à 18:54
Devenu accro aux Blondes ! Je ne sais pas où va ce récit, ni qui est "anthropopotame". Mais c'est plein d'humanité et d'intelligence.
Une idée pour lui, s'il lit ce billet : la perception neuro sensorielle chez l'homme est tellement performante qu'il perçoit les émotions d'autrui par des signaux très faibles (dilatation des pupilles, position du corps dans l'axe vertical, fréquences vocales, reconnaissance du débit lexical, etc.) En fait, la communication non verbale porte davantage de signes que la communication verbale. Idem pour les Blondes ?
Rédigé par : Zuc | vendredi 23 juil 2010 à 11:31
Enfin, qu'on soit clair : je ne pense pas que la communication verbale des Blondes soit très au point (encore que...) Mais j'ai toujours eu la sensation que la gestion des échanges émotionnels entre les animaux et les humains était bien plus complexe que les humains ne l'expriment.
Rédigé par : Zuc | vendredi 23 juil 2010 à 11:33
Bonjour Zuc, merci pour cette appréciation flatteuse d'Anthropopotame, l'anthropologue paresseux. Vous avez bien compris où je voulais en venir: pour appréhender la subjectivité d'un animal, il faut développer la subjectivité du chercheur, plutôt que de chercher à tout prix des dispositifs expérimentaux "inattaquables". Vous avez parfaitement raison, il passe un nombre incroyable de chose entre une vache et un humain, et sans doute bien davantage entre deux vaches, et pour en donner une idée il faut travailler notre matériel de description, la parole, de manière à la plier aux incertitudes de ces échanges de signes.
Bonne lecture.
PS: si vous des avez des éléments de biblio au sujet de la communication par signe, et sur la perception, je suis preneur...
Rédigé par : anthropopotame | vendredi 23 juil 2010 à 11:50